Report modal de l'avion vers le train : la grande illusion

OPINION. Alors que le gouvernement a interdit les vols intérieurs dès lors qu'il existe une alternative ferroviaire en moins de 2h30 (hors vols en correspondance) et que le PDG de la SNCF demande la mise en place en place d'une taxe kérosène sur le transport aérien pour faciliter le transport modal, Thomas Juin, Président de l'Union des Aéroports Français (UAF), fait valoir que la substitution du train à l'avion n'entraînerait pas de réduction des émissions de CO2. Explications.
(Crédits : DR)

Dans la lutte contre le changement climatique, les idées simples ont la vie dure. Il en est ainsi du report modal air-rail qui est la croyance en la substitution du train à l'avion, source de réduction des émissions de CO2. Les propos du Président de la SNCF, le 1er décembre dernier à l'Assemblée nationale, le démontrent. Or, la plupart des lignes aériennes ne sont aujourd'hui pas en concurrence avec le train.

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Là où le train est pertinent, le report modal a déjà eu lieu. Sur les axes entre Paris et Strasbourg ou Paris et Bruxelles, l'avion a cédé légitimement la place au TGV proposant une offre commerciale qualitative. Et s'il existe encore des vols entre Lyon, Nantes et Paris, il s'agit avant tout d'alimenter le hub de Paris-Charles de Gaulle avec des passagers en correspondance. La suppression forcée des lignes aériennes vers Roissy, comme le réclament certains lobbys ferroviaires ou écologistes, n'aurait pour seul effet que d'affaiblir le hub français au seul profit des concurrents européens comme Londres- Heathrow.

Le report modal a en France un potentiel très limité en termes de trafic

17 liaisons aériennes ont une alternative ferroviaire sans correspondance de moins de 4h. Le mode ferroviaire représentait déjà en 2019 près de 90% du trafic sur les 5 liaisons de moins de 2h30 et près de 85% sur les 12 liaisons de moins de 4h. Cette prédominance du mode ferroviaire diminue fortement sur les liaisons aériennes dont l'alternative ferroviaire est supérieure à 4h de trajet, s'établissant en moyenne entre 40% et 60% de part modale (1). Notons également que les vols avec une alternative ferroviaire directe de moins de 4h ne comptaient en 2019 que pour 2,4% des émissions de CO2 du transport aérien (2).

Lire aussi 3 mn"Qui vous dit qu'en 2029, il n'y aura pas de loi climat qui interdira de faire des lignes de TGV" ? (PDG d'ADP au Paris Air Forum)

Le report modal pose finalement la question de l'absence d'alternative ferroviaire crédible, comme dans le cas des liaisons transversales région-région, pour lesquelles la grande vitesse ferroviaire n'est pas envisageable. Qui peut croire en effet que l'on pourra déployer à l'infini de nouvelles LGV en France et en Europe ? Le modèle économique d'une LGV requiert des marchés potentiels de plusieurs millions de passagers par an alors que les liaisons aériennes peuvent compter pour la plupart moins d'un million de passagers.

De plus, la réalisation de nouvelles lignes ferroviaires demande de longs délais -de 18 à 26 ans en moyenne-, et affiche un bilan écologique et environnemental négatif, notamment en termes de CO2, si l'on tient compte du cycle total de vie du carbone. Il y a d'ailleurs beaucoup de tartufferies de la part des écologistes à se faire les chantres du report modal air-rail tout en s'opposant sur le terrain à la construction de nouvelles LGV au titre des nuisances environnementales occasionnées.

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La question du coût pour la collectivité n'est pas non plus à écarter

Selon les calculs d'Eurocontrol, construire les 10.000 km de LGV prévues aujourd'hui en Europe coûterait déjà 250 milliards d'euros, ce qui fait environ 25 millions d'euros le kilomètre de LGV. On rappellera par ailleurs utilement qu'en France le service public ferroviaire coûte plus de 5,5 milliards d'euros par an au contribuable (3).

La problématique carbone solutionnée, le transport aérien sera un des modes de transport les plus durables. Le nombre de personnes exposées à de hauts niveaux de bruit est 5 fois plus élevé pour le rail que pour l'aérien, avec une exposition nocturne au bruit ferroviaire près de 13 fois plus élevé (4). L'avantage de l'avion est également une évidence si l'on considère l'emprise au sol, l'artificialisation des surfaces, l'utilisation des produits phytosanitaires ou encore la préservation de la biodiversité.

Laisser penser que le train peut remplacer l'avion est une erreur ne faisant que retarder la mise en place de politiques publiques indispensables à la transformation énergétique du secteur aérien. L'investissement collectif est nécessaire pour accélérer le déploiement plus large de technologies radicalement nouvelles telles que les avions électriques ou à hydrogène et pour généraliser l'usage des carburants aéronautiques durables. La décarbonation du transport aérien par les innovations technologiques et le développement des carburants alternatifs pourra de fait bénéficier au transport aérien dans son ensemble, vols long-courriers compris, qui représentent 80% des émissions de CO2 de l'aviation.

L'opinion n'attend pas des dirigeants du secteur des transports des polémiques stériles sur le mode de transport environnementalement le plus vertueux, mais des réponses concrètes et décarbonées aux différents besoins de mobilité.

VOIR LE DEBAT | #ParisAirForum - Comment réconcilier le train et l'avion ?

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(1) Source ART d'après DGAC et entreprises ferroviaires
(2) Source DGAC
(3) Source ART d'après entreprises ferroviaires
(4) Data for EU-28

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Commentaires 7
à écrit le 13/01/2022 à 7:14
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Bonjour, drôle de démocratie ou Obs vous impose les choses....

à écrit le 12/01/2022 à 21:32
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« Et s'il existe encore des vols entre Lyon, Nantes et Paris, il s'agit avant tout d'alimenter le hub de Paris-Charles de Gaulle avec des passagers en correspondance. » : Une « petite correspondance » pour le passager qui a « grand » impact pour la ...

à écrit le 12/01/2022 à 17:00
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"PDG de la SNCF demande la mise en place en place d'une taxe kérosène" dans l'incapacité de résoudre la faible productivité et le service calamiteux des cheminots, la rentabilité catastrophique qui n'est qu'un gouffre financier... le pdg sncf veut pl...

le 12/01/2022 à 22:13
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Pour faire un commentaire se concluant par "... pour le bien des deniers de l'état et contribuable client" à la suite de cette article, vous ne semblez pas tellement concerné par la question du changement climatique. Je parie que vous ne participez p...

à écrit le 12/01/2022 à 16:27
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L'une des phrase employée est juste croustillante à savoir :"La problématique carbone solutionnée, le transport aérien sera un des modes de transport les plus durables". C'est franchement prendre des vessies pour des lanternes ! L'auteur oublie jus...

le 12/01/2022 à 22:08
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J'avais retenu la phrase également pour faire un commentaire "La problématique carbone solutionnée, le transport aérien sera un des modes de transport les plus durables."... on aura bien rigolé à la lecture de cette article !! S'en suit ..."pour géné...

à écrit le 12/01/2022 à 16:27
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L'une des phrase employée est juste croustillante à savoir :"La problématique carbone solutionnée, le transport aérien sera un des modes de transport les plus durables". C'est franchement prendre des vessies pour des lanternes ! L'auteur oublie jus...

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