« Rester plus longtemps en bonne santé » (par Antoine Flahault, Institut de Santé Globale de l’Université de Genève)

ENTRETIEN - Le professeur Antoine Flahault, directeur de l’Institut de Santé Globale de l’Université de Genève, détaille les vertus de la prévention en santé, afin d'accroître l’espérance de vie sans maladie.
Antoine Flahault, directeur du service de médecine tropicale et humanitaire des hôpitaux universitaires de Genève.
Antoine Flahault, directeur du service de médecine tropicale et humanitaire des hôpitaux universitaires de Genève. (Crédits : LTD / Shervine Nafissi pour La Tribune Dimanche)

Sa parole durant l'épidémie de Covid était bienvenue, scientifique et posée. Le professeur Antoine Flahault expose dans un essai original* écrit sous forme de roman les bienfaits d'une politique de santé qui serait davantage fondée sur la prévention des maladies.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Dans votre livre, vous démontrez que la prévention en santé pourrait nous faire vivre beaucoup mieux...

ANTOINE FLAHAULT - L'enjeu n'est pas seulement de vivre plus longtemps mais de rester plus longtemps en bonne santé. En France, la population peut certes atteindre des âges élevés, nos statistiques sont bonnes ; mais si l'on regarde l'espérance de vie en bonne santé, qui mesure l'âge où surviennent des maladies graves, nous avons le même niveau que la Grèce, la Suisse ou l'Allemagne et nous nous situons cinq années au-dessous des pays du nord de l'Europe et sept années au-dessous du Japon.

La politique de santé publique n'est pas assez ambitieuse sur ce plan ?

La part consacrée à la prévention représente 5 % des dépenses de santé. Nicolas Sarkozy, lorsqu'il était président de la République, avait ambitionné de la doubler et Emmanuel Macron avait promis d'en faire une priorité peu avant sa réélection. En réalité, les politiques de prévention sont généralement peu coûteuses et elles peuvent même permettre de réaliser d'importantes économies. On pourrait croire qu'il serait préférable qu'un individu meure d'une maladie grave avant 65 ans car cela allégerait les comptes de la santé et des retraites. Mais des économistes ont montré que les seniors qui vivent plus longtemps en bonne santé recourent moins aux soins, sont autonomes chez eux, continuent à consommer, à garder leurs petits-enfants, etc., et tout cela représente des gains substantiels pour les comptes de la nation.

Quelles sont les priorités pour vivre plus longtemps et mieux ?

J'ai compté une cinquantaine de mesures de prévention dont la science nous dit qu'elles sont efficaces. Au premier rang, lutter contre le tabagisme et contre la consommation problématique d'alcool. Puis réduire la part de la viande rouge dans l'alimentation, sans forcément devenir végétarien. Et marcher vingt minutes par jour, par exemple en descendant une station de bus ou de métro plus tôt. C'est accessible au plus grand nombre, et on sait aujourd'hui que ces quatre mesures rallongeraient substantiellement l'espérance de vie en bonne santé de la population. Toutes ces actions ont, en même temps, un impact très favorable sur l'empreinte carbone et donc sur la santé de la planète.

C'est un changement d'habitudes qui peut rebuter...

Ce n'est pas faux, ceux qui disent à longueur de journée « faites pas ci, faites pas ça » en rebutent plus d'un ! Il faut s'appuyer sur les habitudes culturelles favorables à la santé. Adopter le vélo des Néerlandais, le tabac sans combustion des Suédois, les spiritueux sans alcool des Italiens... Dans la culture française, nous avons trois repas par jour et cela contribue beaucoup à limiter l'obésité. Agir demande du courage politique. La cigarette occasionne certes des coûts sanitaires et économiques énormes, mais elle rapporte beaucoup à l'État par les taxes sur le tabac. Les gouvernants peuvent-ils recommander la bière sans alcool lors des matchs de foot ? La filière bovine est-elle prête à entendre qu'il faudrait manger moins de viande ?

Que doit donc faire le gouvernement, concrètement ?

Dans les années 1980-1990, la France a lancé des campagnes de prévention contre le tabagisme. Les catégories les plus aisées de la population y ont été très sensibles. La consommation de cigarettes a chuté chez les hommes de CSP+, passant de 40 % à moins de 20 %. Mais durant la même période, elle a augmenté chez les femmes ouvrières, la proportion passant de 15 % à 30 %. Les autorités ont corrigé le tir. Les images chocs sont apparues, puis les paquets neutres, beaucoup plus efficaces dans toutes les strates de la société. Aujourd'hui, on pourrait taxer les sodas et le sucre ajouté, à condition de baisser les taxes sur les fruits, les légumes, les œufs, le poisson et la volaille. L'idée est de rendre plus accessible à tous une alimentation favorable à la santé.

La science peut-elle nous aider ? Que nous apprend-elle ?

J'ai cherché dans mon livre à ne promouvoir que des mesures de prévention pour lesquelles nous avions de bons niveaux de preuves scientifiques, à la fois de leur efficacité et de leur innocuité. Par exemple, on dénombre douze actions capables de prévenir la maladie d'Alzheimer. Elles ne sont pas efficaces à 100 % mais elles peuvent réduire de 40 % le risque de survenue d'une démence sénile. Il existe en outre dix axes de prévention qui permettent de réduire de 90 % le risque de faire un accident vasculaire cérébral [AVC]. Je cite les cinq plus importants : le contrôle de l'hypertension artérielle, le contrôle de l'obésité, du diabète, la lutte contre le tabagisme et contre la pollution atmosphérique aux particules fines. Le dépistage de l'hypertension, la prescription médicamenteuse et son suivi sont largement pris en charge par l'Assurance maladie. Cependant, il n'y a que 20 % des hommes et 30 % des femmes hypertendues qui sont correctement dépistés et traités !

Avez-vous tiré ces leçons de l'épidémie de Covid, durant laquelle vous avez défendu le travail scientifique ?

La confiance dans la science est centrale pour la santé publique. La science évolue. Les scientifiques ne sont pas toujours d'accord. C'est parfois désarçonnant pour l'opinion. Il faut donc augmenter les compétences de la population, dès l'école. Par exemple, la pandémie nous a appris que le coronavirus se transmettait par voie aérosol, dans des lieux clos, bondés et mal ventilés, où l'on restait longtemps. Cette connaissance nouvelle devrait nous aider à atténuer l'impact sur la population des maladies infectieuses respiratoires. Mais cela prendra du temps, il faut être opiniâtre ! Les mouvements populistes ou anti-science et les formations politiques qui les entretiennent dans leurs croyances sont des freins puissants. Mais si l'on regarde le bilan, notamment celui de la vaccination contre le Covid, les Français ont massivement fait confiance à la science et aux autorités. Les gens de bonne foi ont pu voir, de leurs yeux, que la pandémie avait profondément changé de visage après les décisions prises.

* Prévenez-moi ! Une meilleure santé à tout âge, Robert Laffont, 2024.

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Commentaire 1
à écrit le 14/04/2024 à 8:53
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