Savoir-faire industriel  : la filière nucléaire doit s'inspirer de l'aéronautique

OPINION. La filière nucléaire française est au pied du mur : le rapport remis par Jean-Martin Folz au gouvernement le 28 octobre dernier a dressé un bilan sévère du chantier de l'EPR de Flamanville. Un constat d'échec qui souligne notamment « une perte de compétences généralisée » à laquelle la filière devra rapidement apporter des réponses. De ce point de vue, le secteur de l'aéronautique offre des pistes de réflexion pour restaurer et sauvegarder le précieux savoir-faire industriel. Par Jérémie Aboiron (*), ingénieur diplômé de l'Institut technologique de Valencia.
Chantier de Flamanville.
Chantier de Flamanville. (Crédits : Reuters)

Dans son rapport au vitriol remis au gouvernement, l'ancien PDG de PSA Jean-Martin Folz est revenu sur les déboires autour de la construction du réacteur de troisième génération à Flamanville, dans la Manche. Préparé à la demande du ministre de l'Économie Bruno Le Maire, le document dresse un constat sans appel : « La construction de l'EPR aura accumulé tant de surcoûts et de délai qu'elle ne peut être considérée que comme un échec pour EDF ».

Si le rapport de Jean-Martin Folz ne remet pas en cause « la pertinence du concept et du design de l'EPR », l'audit égrène les nombreuses faiblesses et les carences qui se sont accumulées tout au long du chantier : mauvaises relations et communication entre EDF et ses partenaires, mauvaise gouvernance du chantier et, surtout, une perte de compétences « généralisée ».

Carence en savoir-faire

Une carence en savoir-faire qui touche l'ensemble de la chaîne de production, des bureaux d'études « coupés des réalités du monde industriel en émettant des spécifications irréalisables » à la mauvaise exécution de certaines tâches sur le chantier, comme les soudures. Les industriels fabricants de composants et les organismes chargés du contrôle des travaux ne sont pas non plus épargnés par le rapport Folz.

Cette situation est largement due à la raréfaction des grands projets nucléaires ces dernières années, un avis partagé par le président de l'ASN Bernard Doroszczuk. De fait, le dernier réacteur mis sur le réseau en France est celui de Civaux en 2000, dont la construction avait été décidée en 1991, soit 16 ans avant le début du chantier de l'EPR de Flamanville.

Une perte d'expérience accentuée par le renouvellement des effectifs et le départ à la retraite de salariés expérimentés, notamment dans la maintenance et l'exploitation des centrales.

La responsabilité de toute une filière

Rendu public, le rapport a aussitôt été assorti d'une demande du gouvernement d'obtenir un « plan d'action » d'EDF d'ici un mois pour remettre la filière nucléaire aux « meilleurs niveaux d'exigence ». Une déclaration politique qui met l'opérateur au pied du mur, mais qui permet aussi d'apporter une meilleure visibilité à toute la filière : l'État, actionnaire à 84 % d'EDF, rappelle ainsi publiquement qu'il attend beaucoup de cette industrie stratégique dans les années à venir.

D'ailleurs, ces dernières années, EDF a adopté plusieurs mesures pour conserver et améliorer son savoir-faire et son expérience. La division « production nucléaire » du groupe investit chaque année entre 12 % et 13 % de sa masse salariale dans la formation, soit le double de la moyenne des entreprises françaises.

Manque de professionnels qualifiés

Ailleurs dans la filière, plusieurs métiers souffrant d'un manque de professionnels qualifiés ont fait l'objet de plans d'action ad hoc. A titre d'exemple, deux centres d'entrainement et de maintien des compétences ont été créés pour former et entrainer des soudeurs aux exigences de haute qualité requises sur l'EPR de Flamanville.

Car c'est bien toute la filière, et pas uniquement EDF, qui est concernée par le sujet. Une filière nucléaire qui ne se coordonne pas suffisamment sur le sujet de la formation, et qui pâtit aussi du manque de perspective et de visibilité. Une responsabilité partagée donc, qui s'étend aussi à la classe politique.

L'exemple d'Airbus

Sur de nombreux points, la filière aéronautique française pourrait à ce titre représenter une forme de « modèle ». Face au renouvellement de près de 40 % de ses effectifs d'ici 2027, l'entreprise Airbus a multiplié les outils informatiques afin de fluidifier les évolutions de carrière en interne et de permettre aux salariés d'être formés pour de nouveaux savoir-faire, selon les besoins du groupe.

Pour répondre aux besoins de recrutements, c'est toute la filière (et pas uniquement Airbus) qui s'est rapprochée du système éducatif. C'est par exemple le cas du centre de formation « CampusFab » mis en place dans l'Essonne par le conseil régional en coopération avec le GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), Dassault, Fives et Safran. Même si le secteur est toujours confronté à des difficultés pour assurer un nombre de recrutements suffisant, la filière aéronautique a le mérite de « voler en escadrille » sur ce dossier, là où les acteurs du nucléaire sont peut-être encore trop isolés, laissant EDF assurer l'essentiel de l'effort.

Enfin et surtout, la filière aéronautique dispose d'une visibilité à long terme et d'un véritable soutien politique, que ce soit dans le domaine civil ou militaire. Un élément essentiel pour assurer l'attractivité d'une filière car le nucléaire français peine à attirer des jeunes diplômés dans son secteur où les perspectives d'avenir demeurent trop floues.

Nœud gordien

C'est finalement là que se trouve le nœud gordien qui concentre les difficultés de la filière atomique française. Industrie considérée comme vieillissante et manquant de dynamisme et de perspectives aux yeux des jeunes générations, le nucléaire ne les fait plus rêver professionnellement. Si elle veut se relancer, la filière nucléaire doit, comme à ses débuts dans les années 1960, redevenir une voie d'excellence et d'avenir pour toute une génération, du soudeur à l'ingénieur. De facto, le soutien affiché de l'État ces derniers mois pour faire du nucléaire un secteur d'avenir, notamment pour la transition énergétique, est une première étape. Mais les retards du chantier de Flamanville rappellent à quel point la route sera longue pour cette filière fragilisée.

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(*) Jérémie Aboiron est également diplômé en marketing de la Harvard Business School et en management des organisations de l'Université Panthéon Assas. Il est aussi Auditeur en intelligence économique et stratégique de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale.

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Commentaires 5
à écrit le 12/11/2019 à 16:07
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C'est vrai ça ! on a qu'à signifier l’arrêt au nautique et l’arrêt au nucléaire !

à écrit le 12/11/2019 à 13:38
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Le nucléaire (3% dans le monde ) c’est dépassé , coûteux et risqué . Nos poubelles nucléaires vont ruiner financièrement nos enfants et générations à venir . Dementellemrnt, stockages pour des milliers d’années etc..... Les ingénieurs australiens v...

à écrit le 12/11/2019 à 13:01
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A l'encontre des industries de l'automobile et de l'aviation, qui voient leurs nécessités d'innover constantes, avec des incidences d'erreurs moins onéreuses et plus facilement corrigibles (bien que chez certains avionneurs à voir ?), le nucléaire vo...

à écrit le 12/11/2019 à 11:20
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La filière nucléaire industrielle française doit se ressaisir et repartir de l'avant. Pendant un certain nombre d'années, EDF n'a pas construit de réacteur de 1991 à 2002 et a perdu dans ses capacités et ses competences à concevoir correctement des r...

à écrit le 12/11/2019 à 10:22
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Peut-être que la production de SMR avec le pré-assemblage en usine servira de pilote pour ce changement de pratiques ?

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