Turquie : autopsie d'une déroute

CHRONIQUE. C'est un pays qui s'est égaré dans des projets immobiliers grandioses et au final très peu rentables. Par Michel Santi, économiste (*)
Début mai 2022, l'inflation frôlait les 70%, le caillou dans la chaussure Président turc, Recep Tayyip Erdoğan.
Début mai 2022, l'inflation frôlait les 70%, le caillou dans la chaussure Président turc, Recep Tayyip Erdoğan. (Crédits : SPUTNIK)

Au lieu de sortir de son stade d'économie en voie de développement en misant de façon prioritaire sur la voie classique - et encourageante pour les investisseurs étrangers - consistant en une industrialisation progressive, la Turquie a préféré enrichir le puissant secteur de la construction, lui-même généreusement financé par les banques. Cette création monétaire artificielle - puisque basée sur un secteur non productif - autorisa néanmoins la haute administration publique et l'exécutif à arroser leur base électorale, à faire monter une élite des affaires leur étant acquise et à conforter in fine leur pouvoir et leur assise sur l'État turc.

Bien sûr, comme toujours, la faiblesse structurelle de ce type de montages est que le pays en question finance ses investissements par des capitaux étrangers par l'entremise de taux d'intérêt élevés. Lesquels capitaux sont très prompts à se retirer dès lors que le loyer de l'argent baisse, ou que l'instabilité politique se manifeste. La prospérité de l'économie turque du début des années 2000 fut en effet redevable à son addiction aux capitaux étrangers ayant logiquement abouti à une surévaluation de sa monnaie, la livre. Investi principalement sur des secteurs d'activité peu porteurs comme l'immobilier, très peu sur des activités industrielles qui auraient bénéficié à la productivité du pays, cet influx de liquidités a généré un énorme déficit de la balance des paiements, car il n'a pas été équilibré par un taux d'épargne national privé et public équivalent.

La formule de Fisher

La prise de conscience des investisseurs étrangers de la précarité politique du pays et de la relative stérilité de leurs placements provoqua en 2018 ce qu'il est convenu d'appeler dans le jargon un «sudden stop» qui se manifeste lorsque la perfusion de capitaux étrangers se tarit et que l'Océan se retire. Dès lors, la banque centrale turque dut monter énergiquement ses taux d'intérêt afin que cette ruée de liquidités hors du pays ne se termine en déroute, mais également pour juguler la forte inflation due à l'effondrement de la livre. C'est à ce moment que le Président turc, Recep Tayyip Erdoğan, intervint pour la première fois publiquement dans la politique monétaire de son pays en forçant ces taux à la baisse, et ce en vertu d'une théorie (s'inspirant de l'économiste américain Fisher) qui prétend que des taux d'intérêt bas sont une arme contre l'inflation.

Comment blâmer Erdoğan dès lors que toute une frange d'économistes assure que c'est des taux élevés qui génèrent l'inflation, tandis que c'est la déflation qui la résultante de taux d'intérêt bas? Ils reprennent en cela à leur compte la fameuse formule de Fisher qui enseigne que la somme de l'inflation et des taux réels donne le taux d'intérêt nominal d'une économie en question. Le verdict de ces «néo-fishériens» peu réalistes est que l'inflation finira bien par baisser si le taux d'intérêt de la banque centrale est maintenu sous pression pendant une durée suffisamment longue. Diamétralement opposé à l'acception conventionnelle, et vérifiée par la pratique ces dernières décennies, qui a clairement montré que des taux d'intérêt bas pendant trop longtemps sont une des sources fondamentales de l'inflation qui doit être combattue par un raidissement de politique monétaire.

Ce qui n'a point empêché Erdoğan de s'obstiner en limogeant tous les banquiers centraux et ministres qui s'opposaient à lui et qui avaient tenté de combattre la flambée inflationniste et l'effondrement de la livre en remontant les taux d'intérêt turcs. N'écoutant que la voix de son maître, le nouveau patron de la banque centrale turque baissa davantage ses taux, générant une liquéfaction de sa monnaie et une explosion de l'inflation qui se retrouve aujourd'hui à 75% ! Que les néo-fishériens aient tort ou raison est un débat technique. Ce qui ne l'est en revanche pas est une constatation évidente: l'hyperinflation survient quasiment toujours lorsque c'est la même personne qui détient à la fois les manettes de la politique monétaire et de la politique fiscale et budgétaire.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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Commentaires 6
à écrit le 31/05/2022 à 8:36
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c'est faux ce qui est écrit c'est un sans culotte de l'Europe

à écrit le 31/05/2022 à 8:04
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C'est bizarre, toujours c'est les autres, un temps on a oublié la Turquie pour l'Ukraine, on rebelote là, sacré journaliste français. Et l'Ukraine rien à dire, tout est propre pour l'Ukraine? Bientôt c'est la Russie avec des titres apocalyptiques. On...

à écrit le 30/05/2022 à 23:38
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Tout d’abord je suis marocain… pour ne pas dire que je défont mon mon pays … non c’est pas mon pays … mais tout simplement la Turquie c’est un pays puissant et très puissant , seulement le temps va vous montrer … les médias vous font comprendre des ...

à écrit le 30/05/2022 à 20:32
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En 2018 ne pas oublier le coup d'état mené par la cia.. qui fût aussi financier ( les marchés qui seraient la rencontre de l'offre et de la demande est une aimable plaisanterie ). Depuis lors la marche économique de la Turquie est non conventionnell...

à écrit le 30/05/2022 à 18:18
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Pays terroristes, de toute façon, on ne récupère que la M......

à écrit le 30/05/2022 à 12:45
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On a tous le souvenir de l'histoire de Burj Al Babas, qui n'est toujours pas finie, d'ailleurs, dans laquelle la Turquie s'est complètement ridiculisée

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