Ukraine : derrière Poutine, il y a la Russie, qui sera toujours voisine de l'Europe (1/2)

La guerre en Ukraine arrive à un moment charnière. C'est le moment où les Etats-Unis et l'Europe doivent trouver une voie qui permettra à la Russie (sans Vladimir Poutine si possible) de sortir d'une impasse guerrière sans être laminée. Par le groupe de réflexions Mars.
La paix en Europe ne dépend que des Américains. Ils avaient intérêt au déclenchement de cette guerre pour délégitimer les prétentions européennes à l'autonomie stratégique, re-légitimer l'OTAN et affaiblir la Russie au point qu'elle ne soit plus une menace pour ses alliés. Les buts de guerre étant atteints, au prix d'épouvantables souffrances pour le peuple ukrainien, il est temps de siffler la fin de la partie et forcer l'Ukraine à consentir à des concessions (Le groupe Mars).
"La paix en Europe ne dépend que des Américains. Ils avaient intérêt au déclenchement de cette guerre pour délégitimer les prétentions européennes à l'autonomie stratégique, re-légitimer l'OTAN et affaiblir la Russie au point qu'elle ne soit plus une menace pour ses alliés. Les buts de guerre étant atteints, au prix d'épouvantables souffrances pour le peuple ukrainien, il est temps de siffler la fin de la partie et forcer l'Ukraine à consentir à des concessions" (Le groupe Mars). (Crédits : SPUTNIK)

La guerre en Ukraine vient d'entrer dans une nouvelle phase pleine de dangers et d'incertitudes. Le régime Poutine aux abois, non content d'assumer les crimes de sa soldatesque, poursuit sa fuite en avant en annexant les territoires occupés depuis sept mois et mobilise pour préserver ses conquêtes. Poutine est prêt à faire massacrer les forces vives de son peuple appelées sous les armes non pour protéger la patrie, mais uniquement pour lui sauver la face. Mal équipés, mal entraînés, mal commandés, ces hommes dépourvus d'autre force morale que l'instinct de survie vont se faire hacher menu comme chair à canon. Dans sa folie paranoïaque, Poutine n'en a cure. Le Kremlin attend « la chute » (en référence à un film célèbre) dans un moment crépusculaire.

Mais le parallèle avec Hitler s'arrête là. Ou plutôt, il faut se mettre à la place de Staline, Roosevelt et Churchill, et imaginer le IIIe Reich doté de l'arsenal nucléaire le plus puissant. Évidemment, Berlin ne serait pas tombée et Hitler ne se serait pas suicidé. Il n'y aurait pas eu de capitulation sans condition. Alors, il aurait fallu négocier avec un IIIe Reich ruiné par la guerre et affaibli.

C'est la Russie que Macron voit derrière l'odieux Poutine

Dans ses mémoires (« The Second World War », vol.I, pp.312), Churchill, que l'on peut difficilement accuser de lâcheté ou de pacifisme, jugeait en ces termes l'entrée en guerre de son pays et de la France : « ... la Grande-Bretagne s'avance, menant la France par la main, pour garantir l'intégrité de la Pologne qui, seulement six mois auparavant, avait pris part avec un appétit de hyène au pillage et à la destruction de l'État tchécoslovaque. Il y avait quelque sens à vouloir se battre pour la Tchécoslovaquie en 1938 (...) mais on avait jugé cela déraisonnable, téméraire, indigne de la pensée et de la moralité modernes. Et cependant, maintenant, les deux démocraties occidentales se déclaraient enfin prêtes à risquer leur vie pour l'intégrité territoriale de la Pologne. Il faut vraiment fouiller de fond en comble l'histoire (...) de l'humanité pour trouver l'équivalent de ce renversement total et soudain après cinq ou six années d'une politique nonchalante d'apaisement et de conciliation se muant presque du jour au lendemain en acceptation de l'éventualité évidemment imminente d'une guerre dans des conditions bien plus difficiles et sur la plus vaste échelle... »

Aujourd'hui, quand Emmanuel Macron assume de maintenir malgré tout le dialogue avec la Russie de Poutine, il a raison. En leader mondial raisonnable, il sait qu'il n'a pas le choix. Contrairement aux autres États membres de l'UE, la France est une puissance nucléaire membre du P5, les cinq membres permanents du conseil de sécurité des Nations unies et aussi les cinq États « dotés » au sens du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Rappelons que le TNP ne prohibe pas la menace nucléaire à l'encontre d'une autre puissance nucléaire ; c'est le principe-même de la dissuasion, et c'est bien ce qui distingue la France de tous les autres membres de l'UE. Cela aide à rester raisonnable. C'est la Russie que Macron voit derrière l'odieux Poutine, et cette Russie sera toujours la voisine de l'Europe. C'est à l'avenir qu'il pense. L'avenir de la Russie, mais surtout de la France, de l'Europe, et de l'humanité.

L'arme nucléaire, un équilibre stabilisateur

A l'inverse, on se demande à quoi pensent ceux qui poussent à l'accélération de l'armement de l'Ukraine. Bien sûr, tout le monde souhaite la reconquête par l'Ukraine de ses territoires injustement et illégalement occupés. Mais il ne faut pas rêver, Poutine n'admettra jamais son erreur et encore moins sa défaite. C'est pour lui une question de survie. Donc, à moins d'une nouvelle révolution russe qui conduise à une nouvelle paix de Brest-Litovsk (mais où est le Lénine envoyé par l'Allemagne dans un wagon plombé ?), plus la Russie sera acculée, plus le risque d'une catastrophe nucléaire sera élevé. Il ne faut surtout pas acculer Poutine. Lui promettre la corde est le meilleur moyen de l'encourager dans sa fuite en avant. Évidemment, il faut qu'il sauve la face, même si cela nous répugne, car c'est la seule condition pour aboutir à un compromis arrêtant la guerre.

N'en déplaise à toutes les mêmes bonnes âmes qui considèrent immorale la possession de l'arme atomique et la dissuasion nucléaire, le président Zelensky aussi a raison : si Kiev avait gardé et maintenu l'arsenal nucléaire qu'il possédait en 1994, l'Ukraine vivrait aujourd'hui en paix dans ses frontières de 1991. Le droit n'est qu'un « chiffon de papier » pour un agresseur sans foi ni loi. Seule la capacité d'utiliser la force protège contre la force. Les dizaines de milliers de vies brisées aujourd'hui en Ukraine préfigurent les millions de victimes d'un monde dénucléarisé. Dieu merci, la fin des armes nucléaires à un horizon proche paraît illusoire, offrant paradoxalement un équilibre stabilisateur entre États.

Prolonger la guerre ne peut conduire qu'à la catastrophe

On peut comprendre la haine des Ukrainiens contre les Russes, entretenue de part et d'autre depuis plus de dix ans. On peut croire que leur nationalisme est légitime, car nourri de trois siècles d'oppression russe contre l'esprit de liberté cosaque et la mémoire de la terrible famine des années 1930. On peut soutenir l'ambition polonaise de reconstituer une nouvelle « république des Deux-Nations », sorte de résurgence du royaume polono-lituanien, ennemi héréditaire de la Grande Russie, après l'échec de 1921 (il y a un siècle) à Kiev contre l'armée rouge de Trotski. On peut vouloir intégrer la main d'œuvre ukrainienne dans le marché unique pour abaisser les coûts de production et faciliter les exportations européennes. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de la paix du reste du monde ni de nos intérêts, à nous Français.

C'est en 2014 qu'il aurait fallu rappeler Poutine à ses engagements vis-à-vis du Mémorandum de Budapest. Et c'est en Ukraine, et non en Roumanie, qu'il aurait fallu envoyer un contingent français, et ce, dès janvier. Le geste, pour symbolique qu'il eût été, aurait été compris par tous les protagonistes. Il aurait favorisé la négociation et ouvert la voie à un compromis. Contribuer à prolonger la guerre aujourd'hui ne peut conduire qu'à la catastrophe.

La paix en Europe ne dépend que des Américains

Le président Macron a raison de refuser le chantage nucléaire russe. Mais il faut aussi refuser le chantage des nationalistes ukrainiens, des nationalistes polonais et de tous les nationalistes européens prêts à jouer à la roulette russe au nom de leur haine ou de leurs intérêts. Dans un article au titre éloquent publié le 27 septembre (Russia's Defeat Would Be America's Problem), la revue Foreign Policy ne dit pas autre chose que Churchill : « No one will be able to stop the Ukraine hawks from taking a victory lap, but it is essential to keep them from leading the West to repeat its past mistakes. » De la part d'une revue réputée proche des démocrates américains, c'est un avertissement.

Il paraît aujourd'hui évident que l'administration Biden est la seule à pouvoir forcer les Ukrainiens au compromis. Il suffit du jour au lendemain de cesser l'appui en renseignement et en moyens de commandement (nul ne sait où est localisé le centre ukrainien de conduite des opérations et qui le commande) et d'interrompre les livraisons, notamment de munitions. Encore une fois, la paix en Europe ne dépend que des Américains. Ils avaient intérêt au déclenchement de cette guerre pour délégitimer les prétentions européennes à l'autonomie stratégique, re-légitimer l'OTAN et affaiblir la Russie au point qu'elle ne soit plus une menace pour ses alliés. Les buts de guerre étant atteints, au prix d'épouvantables souffrances pour le peuple ukrainien, il est temps de siffler la fin de la partie et forcer l'Ukraine à consentir à des concessions. C'est à ce prix que le risque d'une catastrophe nucléaire sera évité.

Les Etats-Unis n'ont plus aucun intérêt à ce que la guerre se prolonge au point que la Russie implose. Les chances qu'un régime libéral s'installe à Moscou au départ de Poutine sont minces. Les Russes ne veulent plus revivre l'ère Eltsine. La probabilité est plus grande qu'un régime encore plus nationaliste et corrompu (que l'on pense à Prigojine, le parrain de Wagner, qui vient de déclarer ses ambitions) lui succède, soutenu par le ressentiment de la population. Poutine semble encore maîtriser les luttes d'influence internes au Kremlin, mais pour combien de temps ? Le rêve polonais (théorisé par Pilsudski) d'une Russie partagée entre différentes entités autonomes ne correspond en rien aux intérêts américains, car cela renforcerait considérablement la Chine qui dominerait alors immédiatement la Sibérie et l'Extrême-Orient russe. L'intérêt des Etats-Unis est bien de maintenir au Kremlin un régime affaibli mais non entièrement défait.

Ukraine, pas de reconnaissance pour la France

Livrer quelques chars Leclerc à l'Ukraine serait donc une idée funeste et à contretemps. L'armée française a besoin de garder son matériel et ses stocks militaires dimensionnés pour un juste besoin afin de continuer à s'entraîner (ces chars sont bel et bien utilisés pour la préparation opérationnelle), assumer ses engagements et défendre son territoire sur tous les continents et tous les océans. La France est déjà engagée militairement, son armée est au maximum de ses capacités après 30 ans de budgets sacrifiés à la solidarité européenne.

Car il faut rappeler que les dividendes de la paix n'ont pas été réinvestis en France, mais dans une contribution européenne qui a permis à des pays comme la Pologne d'être aujourd'hui en capacité d'acheter des milliers de blindés, de chars, d'obusiers et d'avions de combat en Corée du Sud, aux Etats-Unis, un peu en Allemagne, mais surtout pas en France.

L'expérience tragique de 1939 devrait nous ouvrir les yeux sur le risque mortel que nous courrions à suivre aveuglément nos alliés. N'ayons aucune illusion : pas plus que la Pologne, l'Ukraine n'aura envers la France la moindre reconnaissance d'un appui militaire qui se serait fait au propre détriment de l'armée française. L'armée ukrainienne sera équipée de matériel américain, point.

Les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts. Or, depuis Anne de Kiev au XIXe siècle, les intérêts français ont rarement croisé ceux de l'Ukraine. Rien de ce qui est humain n'est étranger à l'universalisme des valeurs portées par la République française, à ce titre chaque État démocratique, aussi récent soit-il, est un ami et un allié potentiel, mais l'avenir de la France est ailleurs : non sur les rivages de Chersonèse, mais sur tous les océans dans son positionnement de puissance d'équilibre. L'invitation du président Macron au forum Asie-Pacifique de Bangkok en porte témoignage.

La leçon de 1940 nous interdit d'hurler avec les loups

Nous avons déclaré la guerre à l'Allemagne en 1939 en solidarité avec les Polonais, et nous avons subi la pire défaite de notre longue histoire. La question n'est pas aujourd'hui de s'interroger sur la pertinence des alliances automatiques. Si le groupe MARS est de ceux qui défendent l'appartenance à l'alliance atlantique, c'est précisément parce que les leçons de l'histoire ont été retenues : politiquement, cette alliance n'a rien d'automatique (il faut relire attentivement le fameux article 5), et militairement, l'OTAN est d'une efficacité potentielle sans égale dans l'histoire du fait de l'organisation de son commandement et de ses standards d'interopérabilité.

La haute stratégie et la communication politique convergent rarement. C'est le propre d'un homme d'État de trouver le courage de s'opposer à l'esprit de meute. La leçon de 1940 nous interdit aujourd'hui d'hurler avec les loups. Comme le disait de Gaulle, si la France fait la guerre, il faut que ce soit sa guerre, il faut qu'elle puisse la conduire en toute liberté et en toute autonomie, fût-ce au sein d'une alliance.

Le régime de Poutine n'est pas notre ami, mais il n'est pas non plus, à ce stade, notre ennemi direct. Certes, nul ne le regrettera quand il sera renversé (espérons que ce soit le plus vite possible), mais en attendant, il règne encore au Kremlin et il reste capable de nous détruire en une fraction de seconde, quels que soient les dommages que lui infligeront la cinquantaine d'ogives nucléaires ciblées en permanence sur sa tête du plus profond des océans. La dissuasion, ce n'est pas seulement un système d'armes, c'est d'abord une volonté, une crédibilité, un langage et une diplomatie.

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Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Commentaires 7
à écrit le 22/11/2022 à 0:18
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Donc la guerre en ukraine est une guerre russe américaine. Biden à toujours dit qu'il voulait mettre la Russie à genoux. La Russie pouvait elle supporter l'OTAN à sa frontière ?

à écrit le 31/10/2022 à 21:31
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Je ne partage absolument pas le commentaire de MARS, qui est UNE vision du conflit à la sauce occidentale évidemment, et il ne faut pas s'attendre à une juste analyse de ce conflit militaire (qui n'est d'ailleurs pas que militaire). Il est impensabl...

à écrit le 23/10/2022 à 0:25
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Comme aveuglés, les dirigeants européens suivent les USA dans leur sale guerre en Ukraine. L'invasion de l'Irak par les USA et la guerre en Syrie qui ont provoqué un afflux massif de réfugiés, l'Europe doit s'attendre encore à l'arrivée massive des...

à écrit le 18/10/2022 à 20:54
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Situation ubuesque : le sujet majeur est la sobriété énergétique est de consommation et plusieurs pays par Ukraine interposée font un gâchis considérable de vies, de matériels, de ressources. Homo Sapiens est-il Sapiens ?

à écrit le 10/10/2022 à 19:51
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Bonjour, Personnellement, je reste opposé à une intervention directs dans se conflit ( Ukraine Russie). Pour revenir à la genèse de cette guerre , s'est la demande d'adhésion de l'Ukraine a l'OTAN de l'oncle Sam . .. Nous autre les européenne somm...

le 11/10/2022 à 7:30
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Pour le service obligatoire, apres la formation initiale ( militaire) de 3 mois pour tous les jeunes français, nous pourrons activer un service militaire et un service civile pour tout les jeune francais et francaise sans emplois .. un moyen de ré...

à écrit le 10/10/2022 à 11:20
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RESUME DE L'ARTICLEe : Faut-il mourir pour Kyev ?

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