Le processus engagé avec Emmanuel Macron pour doter la Corse d'un statut d'autonomie a des bâtons (de dynamite) dans les roues. Le FLNC, qui avait déposé les armes en 2014 après 40 ans de lutte armée et quelque 10.000 attentats à son tableau noir, a repris du service. Il vient de revendiquer vingt-sept plasticages perpétrés dans la nuit du 8 octobre disséminés sur tout le territoire insulaire et dirigés contre des cibles choisies pour frapper les esprits : des résidences secondaires, des logements locatifs en construction (en partie accessibles à la défiscalisation) et une agence immobilière. Une riposte explosive au refus de l'État de satisfaire une parmi les revendications phares des nationalistes : l'instauration d'un « statut de résident » pour n'autoriser l'acquisition d'un bien qu'au terme de cinq années de résidence alors que, selon l'Insee, la Corse est la région métropolitaine qui affiche le plus fort taux de croissance démographique, de l'ordre de 1,1 % par an. Un phénomène à rapprocher de la vague spéculative exponentielle qui fait flamber les prix du foncier et de l'immobilier au détriment des Corses, notamment des jeunes, qui ont toutes les peines du monde à se loger.
Un rapport de force avec l'État...
Bien sûr, la population rejette en bloc la violence clandestine, mais il n'en demeure pas moins que dans l'imaginaire collectif insulaire le FLNC a été un rempart contre la bétonisation du littoral et que les bombes ont été plus efficaces que les contrôles de la légalité de l'État ou les recours devant le tribunal administratif de Bastia, détenteur du record national du nombre de litiges en matière d'urbanisme. En même temps, cette série d'attentats post-visite présidentielle peut se concevoir comme un énième rapport de force face à un Président de la République qui, dans son discours à l'Assemblée de Corse le 28 septembre dernier, n'a pas accédé aux deux grandes revendications originelles des nationalistes : la reconnaissance du Peuple corse et l'officialisation de la langue corse. En quelque sorte, la « nuit bleue » contre les « lignes rouges ».
Encouragé par une longue expérience empirique de près d'un demi-siècle, le FLNC a fait sien le précepte de Victor Hugo selon qui toutes les violences ont un lendemain. Il suffit de regarder dans le rétroviseur pour constater que chaque grande concession institutionnelle faite à la Corse a été précédée d'une poussée de violence clandestine. La création du premier statut particulier après l'élection de François Mitterrand, le statut Joxe de 1991 comme la loi de janvier 2002 qui élargit le champ des compétences et introduit une expérimentation législative ont été consécutifs à des actions particulièrement spectaculaires et destructrices assorties de retentissants échos médiatiques.
... et un message à la majorité de Gilles Simeoni
Mais la dernière équipée clandestine n'est pas qu'un avertissement sonore au gouvernement. C'est un message subliminal adressé à Gilles Simeoni. Les indépendantistes, qui n'ont plus de groupe à l'Assemblée de Corse, et les nationalistes les plus radicaux (militants de la première heure mais aussi des jeunes, protagonistes des émeutes musclées après la mort d'Yvan Colonna qui a mis en exergue les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire) reprochent au président du Conseil exécutif de Corse de céder à trop de compromis pour obtenir le statut d'autonomie. Déjà, en septembre 2021, le FLNC avait fait savoir que 68 % des suffrages en faveur des nationalistes aux élections régionales ne constituaient qu'une victoire à la Pyrrhus : « Les ambitions de la Lutte de Libération Nationale sont jetées aux oubliettes de l'histoire » dénonçaient les clandestins. Même sur le terrain démocratique, Jean-Guy Talamoni, figure de proue du combat nationaliste et ancien président de l'Assemblée de Corse, déclarait au moment de son recul forcé : « L'idée de l'indépendance corse a encore de beaux jours devant elle... »
Ce mardi, Gilles Simeoni a bénéficié de l'oreille attentive, à défaut d'approbatrice, du président du Sénat Gérard Larcher. Prenant clairement ses distances avec les attentats, il demeure profondément convaincu que seule une solution politique globale est susceptible de mettre un terme aux relations conflictuelles avec l'État et d'assurer la paix : « Il ne saurait y avoir d'avenir heureux dans le fracas des bombes. ». Malgré tout, les parlementaires appelés bientôt à se pencher sur la mention de la Corse dans la Constitution et l'octroi d'un pouvoir normatif/législatif encadré vont eux-mêmes s'interroger sur le risque d'atteinte à l'unité républicaine à lâcher trop la bride.
L'avenir immédiat dira si le FLNC va brouiller le processus jusqu'à le remettre en cause. La nuit bleue va sans doute générer des nuits blanches. Une chose est sûre : à une grande majorité, les Corses veulent l'autonomie et sont hostiles à ce que l'avenir puisse seulement s'entrevoir à travers la fente d'une cagoule.
Sujets les + commentés