Corse : « La véritable autonomie, c’est le pouvoir législatif » (Gilles Simeoni)

Plus d’une semaine après la venue d’Emmanuel Macron en Corse, le chef de file de la majorité nationaliste se dit optimiste quant à l’issue du processus : article dédié dans la Constitution et statut d’autonomie. Il a six mois pour convaincre les parlementaires…
Pour Gilles Simeoni, « ce qui se passe en Corse ne peut pas être mécaniquement applicable ailleurs ».
Pour Gilles Simeoni, « ce qui se passe en Corse ne peut pas être mécaniquement applicable ailleurs ». (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Avec le recul, quel bilan tirez-vous de la visite d'Emmanuel Macron ?

GILLES SIMEONI - Le recul manque encore. Le Président de la République a lui-même indiqué que son discours intervenait dans un moment qualifié d'historique. C'est l'issue que connaîtra le processus en cours qui validera définitivement ou pas cette analyse. Quoi qu'il en soit, la presse étrangère, italienne, allemande, espagnole, souligne unanimement qu'Emmanuel Macron a acté le principe d'une autonomie pour la Corse. Elle considère, vu depuis l'extérieur de la France, qu'il s'agit d'un pas considérable qui consacre la légitimité du combat historiquement mené pour l'autonomie de la Corse. Elle dit aussi, avec lucidité, que ce combat n'est pas encore gagné. J'en suis conscient, mais je reste fondamentalement optimiste.

Dans votre esprit, le pouvoir normatif qui a constitué le point d'orgue du discours présidentiel, c'est un pouvoir législatif ?

Le terme de pouvoir législatif n'a pas été prononcé comme d'ailleurs le terme « peuple corse ». Je le regrette. Je l'avais dit personnellement au Président : un des critères essentiels d'une véritable autonomie, c'est la compétence législative sans laquelle il ne saurait y avoir, pour nous, de point d'équilibre. Il faut donc un pouvoir législatif reconnu à la Collectivité de Corse. Le contrôle a posteriori du Conseil constitutionnel évoqué dans le discours présidentiel montre que l'option est admise en son principe. Reste à savoir ce que seront les compétences concernées par ce pouvoir législatif et selon quel calendrier nous arriverons au modèle d'autonomie de plein droit et de plein exercice prévu par la délibération votée à une très large majorité par l'Assemblée de Corse le 5 juillet dernier. Cela fait partie de la deuxième phase de discussions désormais ouverte.

Pas de référence donc au peuple corse dans la Constitution. Un crève-cœur pour les nationalistes ?

Nous savions depuis le début qu'intégrer la notion de Peuple corse, qui est pour nous centrale, dans la Constitution pose une difficulté juridique majeure et sans doute indépassable en l'état. Par contre, que le Président de la République se soit déclaré prêt à ce que l'article ou le titre dédié à la Corse mentionne expressément une communauté historique, culturelle et linguistique, ce qui est en soi la définition d'un peuple, constitue un pas immense pour un État historiquement jacobin. Cette avancée ouvre la voie à une reconnaissance constitutionnelle et juridique de ce que nous sommes collectivement et doit permettre à la loi organique de mettre en œuvre des droits spécifiques.

Ne craignez-vous pas une poussée d'urticaire chez les sénateurs ?

J'ai confiance en notre capacité à convaincre les forces politiques françaises et les parlementaires français, toutes familles politiques confondues. Je les sais profondément démocrates et je suis persuadé qu'ils écouteront ce que le suffrage universel et le peuple corse ont dit et décidé. Le fondement de la démocratie, c'est le respect du fait majoritaire. S'agissant du Sénat, j'ai d'ores et déjà rencontré les présidents des groupes LR et Union centriste pour de premiers échanges qui ont vocation à se poursuivre. Une entrevue est prévue avec le président Larcher, que j'ai félicité pour sa réélection, la semaine prochaine. Je vais bien sûr également solliciter des rendez-vous avec la présidente de l'Assemblée nationale et les représentants des différents groupes de celle-ci. Un vrai travail de conviction commence. Il va porter ses fruits car nous sommes dans le sens de l'histoire, celui qui permettra de sortir de la logique de conflit qui a empoisonné les relations entre la Corse et la République depuis plus d'un demi-siècle. Cela demande des efforts de part et d'autre.

Que d'autres régions veuillent ce que la Corse aura, ça vous contrarie ?

Non, bien sûr. Je respecte profondément et comprends l'aspiration de nombreuses régions, qui se traduit souvent par une demande de décentralisation plus large. . Si un titre ou un article spécifique sont demain consacrés dans la Constitution, c'est bien pour dire la singularité historique de la Corse qui remonte au Siècle des Lumières avec la première Constitution démocratique écrite d'Europe. De même, le combat qui a été mené depuis 60 ans pour le peuple corse et sa reconnaissance n'existe nulle part ailleurs en France. Enfin, aux dernières élections, 70 % des Corses se sont exprimés en faveur de listes autonomistes et nationalistes et de tout ce qui est consubstantiel de ce combat. Non, la Corse n'est pas une région de droit commun, y compris comparativement à des régions à forte identité dont certaines aspirent, en quelque sorte, à lui emboîter le pas, ce que certains interprètent comme un risque de contagion. Nous ne sommes pas non plus la Nouvelle-Calédonie, même si le peuple kanak est un peuple frère. Nous sommes la Corse, une île de Méditerranée avec un peuple, une histoire, une langue, une culture.

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Le Président a peu parlé d'économie mais il a annoncé un nouveau PTIC, plan territorial d'investissement de nouvelle génération. Qu'en attendez-vous ?

Économie et autonomie vont de pair. Pas d'autonomie sans pouvoir législatif mais pas d'autonomie non plus sans autonomie fiscale. Dans le statut d'autonomie qui a vocation à être évolutif, il faut à la fois un transfert de compétence fiscale, c'est-à-dire la faculté reconnue à la Collectivité de Corse de lever l'impôt, la territorialisation d'un certain nombre d'impôts qui relèvent de l'État, la possibilité de fixer des taux additionnels, pour la fiscalité écologique par exemple, et enfin des subventions de type PTIC et de l'Union européenne qui aideront à parfaire l'équation budgétaire avec une modélisation et des garanties, notamment dans des domaines aussi essentiels que les retraites et la sécurité sociale.

Emmanuel Macron donne six mois pour vous accorder sur un texte constitutionnel : quelle serait pour vous sa rédaction idéale ?

Six mois, c'est ce délai fixé pour arriver à un titre ou article dans la Constitution, mais aussi à la rédaction d'un projet de loi organique qui définit le statut d'autonomie. La rédaction idéale est celle qui réunira le plus large consensus. Définir cet accord et le faire valider, y compris aux 3/5ème par le Congrès, est un défi qui s'apparente à une course d'obstacles, mais j'ai confiance dans la capacité collective de notre peuple à les surmonter. Et à aboutir à un statut d'autonomie qui soit le reflet d'une solution politique globale pour construire un avenir apaisé. L'histoire est encore à écrire.

Avant fin 2024, les Corses seront consultés par référendum sur le projet de réforme constitutionnelle. Vous êtes confiant ?

Il faut toujours faire confiance au peuple, et respecter ses choix. Si demain nous proposons une réforme constitutionnelle, un statut d'autonomie, de nouvelles perspectives sur les plans économique, social, culturel et politique, il est normal que le peuple soit consulté et, in fine, il aura raison. Nous sommes lucides sur les difficultés qui nous attendent mais il y a aussi, et elles sont bien plus fortes, la force de la volonté et la contagion de l'espoir. Nous allons réussir.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2023 à 17:18
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Oui, donnons leur la souveraineté législative, à travers l'indépendance. Vite un référendum sur le continent !

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