Sporting Club de Bastia : un modèle économique unique en France

Entre le bannissement chez les amateurs et la remontée parmi l’élite du football, le club phare de la Corse s’est reconstruit sur un statut juridique et un modèle économique inédits dans le monde du football tricolore. Explications.
Claude Ferrandi, président du Sporting Club de Bastia, a repris les rênes du club, épaulé par Pierre-Noël Luiggi, fondateur d'Oscaro, le spécialiste des pièces détachées automobiles
Claude Ferrandi, président du Sporting Club de Bastia, a repris les rênes du club, épaulé par Pierre-Noël Luiggi, fondateur d'Oscaro, le spécialiste des pièces détachées automobiles (Crédits : DR)

En Corse comme à Marseille, le football est bien davantage qu'une passion inextinguible, c'est une religion, l'opium du peuple redirait Karl Marx et un marqueur identitaire puissant. Le stade mythique de Furiani, où évolue le club phare de l'île, le Sporting Club de Bastia, affiche une affluence moyenne de 12.000 supporters, l'équivalent de 25 % de la population de la ville, un ratio qui imposerait une capacité de 250.000 places au stade Vélodrome ou de 500.000 au Parc des Princes à Paris...

Aussi, à l'été 2017, lorsque le club dépose le bilan, accablé financièrement - un passif estimé à plus de 20 millions d'euros - et se retrouve banni en National 3 chez les amateurs, l'onde de choc se propage dans toutes les couches de la société insulaire. Comme en 1992, après la tragédie de Furiani qui a fait 18 morts et 2.300 blessés, le monde du football ne donne pas cher de sa peau. Mais malgré le traumatisme, le club renaît de ses cendres. De retour en Ligue 2, il retrouve son rang professionnel et ses rêves d'accession au sein de l'élite. Entre temps, deux chefs d'entreprise corses issus du milieu automobile et biberonnés aux exploits du Sporting, ont relevé le défi de la reconstruction : Claude Ferrandi, à la tête du réseau corse de distribution de carburant Esso-Mobil - porté à la présidence du club - et Pierre-Noël Luiggi, fondateur d'Oscaro, leader mondial de la vente en ligne de pièces détachées de voitures.

Sur les conseils de Luc Dayan, ancien président de Nantes, de Lens et de Strasbourg, consultant spécialisé dans le sauvetage des clubs et médecin de formation, le tandem de repreneurs opte en 2019 pour un statut juridique inédit et en totale rupture avec ce qui se fait dans l'univers du football, en créant une SCIC : une société coopérative d'intérêt collectif.

Un modèle démocratique : une action une voix

Un modèle unique, inspiré par l'économie sociale et solidaire, qui promeut une philosophie conforme à ce que la chute libre de 2017 avait déclenché : une union sacrée. Le mode de fonctionnement est démocratique : le nombre de voix ne dépend pas du niveau de participation financière au capital et une personne égale un suffrage en assemblée générale. Ce modèle de société participatif permet aux adhérents d'accéder à toutes les décisions stratégiques. Des adhérents répartis dans cinq collèges : les fondateurs, les entreprises, les supporters, les salariés et les collectivités dont la Collectivité de Corse, les communes et les communautés de communes.

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L'actionnariat du club est ouvert à partir d'un ticket minimum de 50 euros. À ce jour, le capital levé est de 1,5 million d'euros et la société recense 1.850 supporters, 20 salariés, 25 collectivités et 35 acteurs économiques. « Nous ne voulions pas nous approprier le club mais le partager en proposant aux citoyens d'y participer, explique le président Claude Ferrandi. Tout est transparent. Le plus modeste de nos actionnaires peut demander à voir les comptes, ce qui n'existe nulle part ailleurs. Ceci étant, pour un club aussi populaire qui a généré autant d'engouement lorsque nous sommes venus à son chevet pour le sauver d'une disparition quasi certaine, j'estime le nombre d'actionnaires insuffisant. Les supporters, eux, nous suivent massivement mais on peut légitimement espérer davantage de souscripteurs. »

C'est là où le bât blesse. Une SCIC est, par nature, non spéculative. Il n'y a pas de distribution de dividendes. Contrairement à ce qui se passe dans le monde professionnel du football, aucun financeur ne viendra mettre 10 millions d'euros sur la table avec l'intention de repartir avec des bénéfices. « Les entreprises qui nous rejoignent le font par amour du club et de leur île, c'est une démarche culturelle et désintéressée. Bien sûr, si elles étaient plus nombreuses, notre budget serait moins difficile à constituer. Mais comme il n'y a pas de rendements, c'est l'histoire du serpent qui se mord la queue. »

Les villages de la ruralité comme actionnaires...

Le Sporting, est une bannière identitaire pour la Corse. Celui qui endosse son maillot en devenant actionnaire endosse les valeurs cardinales que sont la combativité, la générosité, la solidarité. La Ville de Bastia a été la première à souscrire à hauteur de 100.000 euros. « Le club représente une vitrine pour nous et un levier de promotion du territoire » justifie le maire nationaliste Pierre Savelli. À l'autre bout de l'île, la mairie de Bonifacio s'est engagée pour 7.000 euros. « Malgré la distance géographique, Bastia fait partie intégrante de notre projet sportif et culturel », assure Jonathan Catoire, adjoint délégué aux Sports.

Mais le désir d'adhésion a aussi été exprimé par de toutes petites communes du littoral ou de l'intérieur. Elles ont rejoint le projet en phase avec l'esprit de la SCIC baptisé U Paese turchinu (le village bleu en langue corse). « Tout le monde s'accorde à dire que le Sporting, c'est le club de la Corse, poursuit Claude Ferrandi qui connaît tous les chemins de son pays. Le petit village de montagne comme la grosse commune veulent en faire partie. La participation oscille entre 3.000 euros, parfois moins, et 20.000 euros, parfois plus, chacun selon ses moyens. En contrepartie, nous nous déplaçons sur place avec joueurs, entraineurs, staff médical, pour échanger avec les jeunes, assouvir leur passion et peut-être éveiller des vocations. Le souci de rentabilité pèse moins que celui de faire rayonner le club et de cultiver un engouement qui n'a jamais faibli dans les périodes les plus glorieuses comme les plus éprouvantes de son histoire. »

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Fondations solides, gouvernance démocratique et transparente, projet de société pour faire du stade de Furiani, la Corse en miniature : « La SCIC, c'est une première en France dans l'univers du sport et la meilleure formule pour permettre à un club familial comme Bastia de se restructurer et de grandir de façon professionnelle et apaisée » argumente Luc Dayan.

Certes, le Sporting ne rivalisera jamais avec la majorité des clubs sur le terrain budgétaire. Qu'importe, son but n'est pas de réussir mais de réaliser ses rêves.

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Commentaires 2
à écrit le 08/02/2024 à 15:26
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Un "modèle" unique c'est bien, mais en attendant quelle est la finalité? On peut toujours se pencher sur les réalités du Foot français, en général et en Corse, en particulier, en lisant l'enquête en ligne: "Ajaccio : Le foot flingué par la mafia". Ne...

le 16/02/2024 à 21:51
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les langues de vipères seront toujours trop pendante

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