Le Grand Paris a du mal à tenir ses promesses

Dix ans après leur lancement, le super-métro et les programmes d’aménagement ont pris du retard. La densification urbaine, pourtant indispensable face à la flambée des prix dans la métropole, patine aussi.
César Armand
Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, et Nicolas Sarkozy critiquent la gouvernance du projet d'Emmanuel Macron.
Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, et Nicolas Sarkozy critiquent la gouvernance du projet d'Emmanuel Macron. (Crédits : Sipa)

« Vos successeurs n'ont pas été au rendez-vous ! Ils ont réduit le Grand Paris à une strate administrative supplémentaire et à un grand métro certes indispensable mais qui
accumule les surcoûts et les retards. » Le 3 mai dernier, sous le sceau du dixième anniversaire du Grand Paris, la présidente du conseil régional d'Île-de-France Valérie Pécresse, qui rêve matin, midi et soir de supprimer la métropole du Grand Paris, interpelle son invité d'honneur : Nicolas Sarkozy. En réponse, ce dernier s'amuse de la situation : « Vous voyez la force du Grand Paris ? Même mon successeur n'a pas réussi à le défaire ! »

Un surcoût de 15 milliards d'euros

Certes avec la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), François Hollande a fait naître la métropole du Grand Paris en 2016, une institution de plus entre les départements et le conseil régional, mais en matière de gouvernance, l'actuel locataire de l'Élysée n'a pas non plus pris cet écueil à bras-le- corps. Pourtant, peu après son élection, Emmanuel Macron promettait de « simplifier
drastiquement les structures ». Devant le Sénat le 17 juillet 2017, il déclarait en effet que « l'idée du Grand Paris mérite mieux que ce que nous en avons collectivement fait ! » Force est de constater que deux ans se sont écoulés et que... le problème n'a toujours pas été résolu. Et pourtant, il continue d'annoncer qu'il va s'exprimer sur le sujet. Le 24 mai dernier, devant les architectes lauréats du Pritzker Price, il a promis d'y revenir « dans quelques semaines », en sortant « des débats institutionnels sans issue ».

Quant au super-métro, nier « les surcoûts et les retards » évoqués par Valérie Pécresse
serait de la mauvaise foi. Il y a dix ans, le coût estimé s'élevait à 20 milliards d'euros, alors qu'actuellement, le chiffre de 35 milliards est avancé. Au minimum... La Société du Grand Paris, l'établissement public d'État chargé de construire le Grand Paris Express, bénéficie de prêts de la Banque européenne d'investissement et de la Caisse des dépôts, et reçoit bon an mal an 500 millions de recettes fiscales, sous forme de taxes payées par les entreprises et les contribuables franciliens, sans compter les nouvelles taxes votées fin 2018. Aujourd'hui comme il y a dix ans, Nicolas Sarkozy considère, pour sa part, que la question du coût est « mal posée » : « L'augmentation de la fréquentation des transports en commun mieux adaptés générera des rentrées supplémentaires et diminuera considérablement le coût de la pollution générée par le trafic automobile. »

Lire aussi : Gouvernance du Grand Paris : la métropole presse l'Etat d'agir vite

En matière de délais, le gouvernement a présenté en février 2018 un nouveau calendrier, selon ses termes, « réaliste, tenable mais extrêmement tendu » avec un accent mis en priorité sur les lignes desservant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Cet échéancier a été quelque peu modifié depuis cette date, mais il reste, dans l'ensemble, conforme à ces annonces. En réalité, la première trace du Grand Paris dans les discours présidentiels remonte au 17 septembre 2007. Lors de l'inauguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine au Palais de Chaillot, Nicolas Sarkozy déclare souhaiter que « nous réfléchissions, au-delà des clivages des uns et des autres à un nouveau projet d'aménagement global du Grand Paris ». Il propose alors que « huit à dix agences d'architectes puissent travailler surun diagnostic prospectif, urbanistique et paysager sur le Grand Paris à l'horizon de vingt, trente voire quarante ans », leur demandant « une réflexion globale, approfondie et débouchant sur des solutions concrètes et d'envergure sur l'abord des villes ».

Le célèbre discours sur le Vrai, le Beau, le Grand et le Juste date, lui, du 29 avril 2009. À la différence de son allocution prononcée un an et demi plus tôt, le président de la République d'alors y affirme « l'ambition du Grand Paris ». Parmi les exhortations clés, il y est question de « rompre avec le fonctionnalisme qui a fait tant de dégâts dans nos villes en spécialisant et en séparant là où il aurait fallu au contraire mélanger et réunir ». Sur ce point, les concours d'urbanisme portés par la Ville et la métropole du Grand Paris ambitionnent de réintroduire de la mixité d'usages dans des endroits où il en manque cruellement. En mars dernier, la première pierre du premier site du premier concours « Inventons la métropole » a ainsi été posée à la frontière de Pierrefitte-sur-Seine et de Stains (Seine-Saint-Denis). La foncière Atland y construit 25.000 mètres carrés en ossature bois, dont 5 000 d'espaces verts, des bureaux et un centre de R&D pour Engie Lab Crigen lui-même composé de laboratoires et de halls d'essais.

Une autre approche de la densification

Par ailleurs, dans cette allocution d'il y a dix ans, Nicolas Sarkozy défendait Le Havre (ville de l'actuel Premier ministre, Édouard Philippe) comme port du Grand Paris, estimant que la Seine constitue « l'axe nourricier autour duquel la métropole à vocation à s'ordonner ». Dans ce domaine, les choses avancent aussi... à leur rythme. Le 7 février dernier, la ministre des Transports Élisabeth Borne a chargé les directions des ports de Paris, Rouen, Le Havre de plancher sur la création d'un établissement public portuaire unique au 1er janvier 2021. D'ici à septembre, elles doivent proposer un projet stratégique pour 2020-2025 ainsi qu'une trajectoire financière sur cinq ans. En termes de densification de la ville, là encore, cela bouge doucement mais sûrement.

À la Cité de l'architecture et du patrimoine, Nicolas Sarkozy s'exclamait : « On peut construire haut, on peut construire bas, on peut construire petit ou construire grand pourvu que ce soit beau. Pourquoi s'interdire de bâtir des tours si elles sont belles, si elles s'inscrivent harmonieusement dans le paysage urbain ? » Lauréat de la consultation internationale sur le Grand Paris en 2008, l'Atelier Castro Denissof Associés réfléchit avec le promoteur Nexity à la notion d'« Habiter le ciel », mais il a fallu attendre plus de dix ans pour qu'une commune accepte un tel projet. Ce n'est que le 11 février dernier qu'a été inaugurée à Aubervilliers la tour Emblématik, un immeuble de 18 niveaux mesurant 54 mètres. Tous les quatre étages, ont été installés des jardins partagés de dix mètres de haut offrant des vues sur la butte Montmartre, la Défense et la Plaine Saint-Denis et comportant chacun une petite parcelle.

Vus du sol, les poteaux qui soutiennent les planchers et les plafonds de ces espaces verts ressemblent à des arbres. Entre-temps, entre juin et septembre 2018, l'architecte de cette tour, Roland Castro, a été missionné par le président Macron pour donner de la chair au projet du Grand Paris. Depuis, le chef de l'État a fait sienne la formule « Paris en grand » en déclarant, durant le Grand débat national de l'hiver dernier : « Je crois plus au Paris des grands projets qu'au Grand Paris des compétences et du millefeuille. » La boucle est bouclée.

César Armand

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Commentaires 2
à écrit le 24/06/2019 à 10:30
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Pour nuancer, les politiciens ont du mal à tenir leurs promesses... c'est connu depuis 40 ans, alors pourquoi changer une attitude qui gagne (de moins en moins).

à écrit le 23/06/2019 à 6:11
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Le Grand Paris, l'idée la plus absurde qui ait jamais été lancée. Comme si Paris n'était pas assez grand, pas assez dense. Comme si la banlieue était forcément "moins bien" que Paris. Comme s'il n'y avait pas assez de centralisation en France. Qu'on ...

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