La navigation se donne des ailes

Sous l’impulsion du skipper Yves Parlier, la relève de Beyond the Sea teste à Arcachon des ailes de kitesurf pour tracter bateaux de plaisance et navires marchands.
Maxime Giraudeau
Lorsque tout l’équipage a les mains en l’air, démonstration est faite que la voile (le « SeaKite ») vole en mode automatique et propulse le navire à 12 nœuds.
Lorsque tout l’équipage a les mains en l’air, démonstration est faite que la voile (le « SeaKite ») vole en mode automatique et propulse le navire à 12 nœuds. (Crédits : © LTD / Thibaud Moritz)

La météo, c'est une question très subjective. À terre, les touristes maudissent le mauvais temps. Sur les flots du bassin d'Arcachon, les trublions de la voile exultent. Ce jour là, les nuages menaçants ont dépeuplé la dune du Pilat et le vent nord-nord-est souffle à 15 nœuds dans les voiles des kite-surfs. Loin des addicts aux sensations fortes, l'une d'elles tracte l'ancien hydraplaneur, un catamaran de légende, ex-détenteur d'un record de vitesse, qui doit désormais terrasser les émissions carbone. En équilibre sur le trampoline du bicoque sans mât, Alexis Mounard, ingénieur d'essais trentenaire, règle avec quatre collègues le pilotage automatique de la voile par vent de travers. Les risées fusent. « Comment il fait, Charles [le stagiaire], pour ne pas avoir froid avec ses chaussures bateau ? », lance le skippeur. « Il est breton ! » Chez Beyond the Sea, on a l'humour salé.

Lire aussiPropulsion à la voile : le concepteur de kite pour cargo Airseas est racheté par le japonais K Line

L'entreprise fondée en 2014 par le navigateur Yves Parlier, cador des mers notamment vainqueur de la Transat Jacques-Vabre en 1997 avec Éric Tabarly, conçoit des ailes de kitesurf géantes pour tracter les yachts de plaisance et les navires de la marine marchande. Prendre le vent pour économiser jusqu'à 30 % de carburant, telle est la mission de la trentaine de salariés où la parité est quasi parfaite et la moyenne d'âge autour de 30 ans. Sur ces mêmes flots, le capitaine Parlier s'exerçait à la traction à voile à bord d'une pinasse (ces bateaux motorisés à fond plat typiques du bassin) il y a encore quelques années. En 2022, sa société a équipé au Japon un yacht avec un LibertyKite de 25 mètres carrés. Elle compte désormais 150 clients dans le monde qui utilisent ces ailes facilement maniables pour la plaisance. Mais ce n'est que le début.

« Les navires marchands vont être obligés de montrer patte blanche, ils devront justifier d'engagements environnementaux pour continuer à pouvoir naviguer », prévient Alexis Mounard au sujet des réglementations internationales. Cette transition s'est longtemps fait attendre. « Il y a encore quelques années, on prenait Yves pour un fou », glisse-t-on dans l'équipe. Le navigateur chevronné mais humble est épris d'innovation depuis toujours. Il a été le premier à équiper son embarcation d'un mât en carbone. C'était en 1985 sur la Mini-Transat, sa première victoire. Après un record sur la Route du Rhum en 1994 et trois participations au Vendée Globe, il cherche des performances non plus sportives mais environnementales.

La navigation se donne des ailes

La voile (le « SeaKite ») vole en mode automatique. (Crédits: © LTD / Thibaud Moritz)

« Laisser les jeunes tester leurs idées »

L'innovateur a pour habitude de présenter ses ailes aux plaisanciers sur le salon nautique local, où le petit système amusait les visiteurs. « J'y ai tout de suite vu la vocation industrielle », se rappelle Marc Thienpont. Cet ancien de la marine marchande est devenu directeur général de Beyond the Sea en septembre 2022 pour relayer le capitaine de bord. Le binôme accorde une grande confiance à la jeune garde. « Ce qu'on fait, dit-il, c'est de la décarbonation et de l'innovation de rupture dans des domaines où il y a encore des verrous technologiques à lever. Donc c'est hyper important de laisser les jeunes tester leurs idées, je ne veux pas les freiner. » Depuis son bateau motorisé, il scrute les « huit » dessinés par la voile dans le ciel. Les ingénieurs d'essai sont autonomes.

La navigation se donne des ailes

 Le navire navigue à 12 nœuds grâce à la voile (le « SeaKite ») qui vole en mode automatique. (Crédits: © LTD / Thibaud Moritz)

À la poupe du catamaran, ce n'est pas tant la vitesse qui fascine mais la force de la traction. « Tout le monde les mains en l'air ! » ordonne le pilote, pour montrer que la voile vole désormais en mode automatique et nous propulse à 12 nœuds [équivalent de 22,2 km/h]. « Pour moi, la priorité en ce moment c'est de décarboner, précise Zoé Daguin, cheffe de projet du SeaKite. Faire du mieux qu'on peut pour avoir un monde sain demain. » Une mission partagée dans une forme de bouillonnement collectif. Mais l'entreprise doit aussi se concentrer sur la commercialisation de sa technologie. Un premier navire gazier de la compagnie Geogas va être équipé cette année d'une aile de 50 mètres carrés.

Une petite victoire, mais la start-up cherche à convaincre de grands armateurs ou des propriétaires de yacht pour tendre vers des ailes plus grandes. Les jeunes mousses ne pensent pas aux réticences tant la question environnementale leur paraît naturelle. Mais pour la marine marchande, milieu réputé conservateur, l'intégration d'une telle technologie se fera sous contrainte. Côté yachting, les jeunes ailes tenteront de séduire les plaisanciers sur le salon nautique d'Arcachon en avril. Beyond the Sea espère assister au grand sursaut du monde maritime. « On a prouvé que l'aile fonctionnait, on a un vrai kiteboat aujourd'hui », certifie Marc Thienpont. À croire qu'on peut faire tourner le vent en battant des ailes.

Maxime Giraudeau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 14/04/2024 à 9:00
Signaler
Avec ce principe, une embarcation légère d'un porte container ne serait elle pasp lus adaptée du coup ? Des sortes de radeaux, parce qu'on parle de porte containers de 260000 tonnes quand même hein, ils ont déjà fait n'importe quoi à la base de leur ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.