Un dirigeant ne devrait pas dire ça. Ces dernières semaines, les patrons de trois équipes sportives ont été épinglés pour leurs critiques virulentes formulées contre des employés vedettes. Patrick Lefevere, manager de la formation cycliste belge Soudal Quick-Step, a attaqué son double champion du monde, Julian Alaphilippe, au portefeuille, dans le journal flamand Humo : « Après avoir signé son méga-contrat, on ne l'a plus vu. » Ce n'était pas la première fois que le Belge, qui n'a pas eu le couteau sous la gorge pour augmenter le Français, s'en prenait à sa rémunération. Mais le piquant patron s'en est aussi pris au mode de vie et à la compagne du coureur. Ligne rouge franchie ?
« L'employeur, comme le salarié, jouit de sa liberté d'expression, cadre Avi Bitton, avocat au barreau de Paris. Mais ça semble constituer une atteinte à la vie privée quand il évoque "trop de fêtes et d'alcool" et affirme que le sportif est "sous le charme de Marion [Rousse]". » Répété, le dénigrement « peut constituer une forme de harcèlement ». Selon le Code du travail, un salarié a le droit de demander la rupture du contrat aux torts de l'employeur, donc le versement d'indemnités de licenciement et de dommages et intérêts pour le préjudice moral. Alaphilippe, qui a encore abandonné sur chute hier en Italie, une semaine après son gadin en Belgique (lire ci-dessous), n'a pas répondu directement à Lefevere. Marion Rousse, elle, a jugé « inadmissible » cette énième sortie.
Il faut prouver une intention malveillante
Pour le syndicat des coureurs cyclistes français (UCPF), il s'agit de « harcèlement ». De même pour l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) dans le cas de Jonathan Clauss. Le défenseur international de l'Olympique de Marseille a été visé à trois reprises, publiquement, par le président Pablo Longoria et son conseiller sportif, Mehdi Benatia, pour qui l'international a eu « un comportement [...] parfois un petit peu limite ». Par manque d'investissement, à leurs yeux. « Si les faits ne sont pas fondés, ça peut être considéré comme de la diffamation ou de la dénonciation calomnieuse », estime Johan Zenou, spécialiste en droit du travail. Des attaques par médias interposés risquent d'être « mal perçues par une juridiction », et le préjudice d'image, « beaucoup plus grand pour une personnalité publique que pour un employé lambda », peut engendrer des poursuites devant le tribunal correctionnel et des amendes élevées.
Il existe néanmoins « une zone grise ». Mettre la pression sur un employé pour atteindre un objectif est l'une des prérogatives d'un manager, « à condition de ne pas tomber dans le règlement de comptes ». Pour que le harcèlement soit reconnu, il faut prouver une intention malveillante. Or entre pousser un subordonné à donner le meilleur de lui-même et aller trop loin, la frontière est « ténue ».
Pour Nacer Bouhanni, pas de doute. Cédric Vasseur, son manager chez Cofidis entre 2017 et 2019, l'a « humilié publiquement » et « dégoûté » du cyclisme. Vasseur n'a pas toujours été tendre, agacé par ses échanges « stériles » avec le sprinteur vosgien et ses abandons fréquents. « Les commentaires publics sont acceptables dans la mesure du raisonnable », rappelle Johan Zenou. Le jeune retraité du peloton n'a pas mâché ses mots lors d'interviews récentes à L'Équipe et au Parisien. Vasseur a réagi brièvement, pour qualifier ses propos de « faux et diffamatoires ». De là à se retourner contre l'ancien sprinteur ? « Si c'est un droit de réponse à des propos parus dans la presse, ça ne me choque pas », conclut l'avocat.
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