Marie-José Pérec : « Ramener la flamme olympique à la maison  !  »

ENTRETIEN. La triple championne olympique fera la traversée jusqu’aux Antilles avec Armel Le Cléac’h et un équipage de personnalités.
Solen Cherrier
Marie-José Pérec est triple championne olympique de la discipline reine (l'athlétisme).
Marie-José Pérec est triple championne olympique de la discipline reine (l'athlétisme). (Crédits : p6 haut Philippe Millereau/kmsp via afp)

Au début, Marie-José Pérec devait juste naviguer avec la flamme entre la ­Guadeloupe et la ­Martinique à bord du « Maxi Banque populaire XI ». Ça lui allait bien même si la grande aventure la tentait. Puis Armel Le Cleac'h l'a titillée lors d'un reportage diffusé sur l'émission de France Télévisions Aux Jeux, citoyens ! La présentatrice Carole Gaessler a insisté auprès de la ­Guadeloupéenne, lui rappelant ­qu'enfant, elle allait à la pêche, et qu'elle partait désormais en vacances en catamaran.

La triple championne olympique (400 mètres en 1992, 200 et 400 mètres en 1996) a donc fait passer le message au vainqueur de la dernière Transat Jacques-Vabre, à la télé puis par SMS : « J'aimerais trop partir de Brest ». C'est ce qu'elle fera le 7 juin pour porter la flamme outre-mer avec un équipage 4 étoiles. En attendant plus ?

LA TRIBUNE DU DIMANCHE - Pouviez-vous imaginer qu'un jour il y aurait la flamme olympique en Guadeloupe et que c'est vous qui l'apporteriez en bateau ?

MARIE-JOSÉ PÉREC - Jamais. L'image qui m'est venue immédiatement, c'est : ramener la coupe à la maison ! Ramener la flamme à la maison, donc. C'est le prolongement de mon histoire : athlète, je me battais pour mon île. Les gens, chez moi, en Guadeloupe, quand ils me voient, ils ne me disent pas bravo mais merci. Et ce sont deux choses différentes. Ça signifie : tu nous as représentés, on est fiers, on a relevé la tête. C'est pour ça que cette aventure me tient vraiment à cœur. Même si je vomis tout le trajet, ce n'est pas grave : c'est plus grand que ça. Beaucoup d'amis ont fait des retours de course et ont été très malades. Je ne suis pas encore tombée sur quelqu'un qui m'a dit que c'était génial.

Vous avez déjà navigué sur ces monstres des mers. Quels souvenirs en gardez-vous ?

La rapidité. Le bruit. Je sais que ça tape très fort. Mais je veux vivre l'aventure. Dès que j'ai su que la flamme allait en outre-mer, je me suis dit qu'il fallait que je l'emmène. C'est un vrai symbole. La ­Guadeloupe a une belle histoire avec les Jeux. Je suis la première championne olympique de là-bas mais on a monté un groupement des olympiens : on en a trouvé 103 pour 380.000 habitants. C'est bien de mettre ça en valeur. Quand on vit hors de la métropole, tout ce qui se passe paraît loin et déconnecté. Donc j'aime l'idée que les gens aient un bout des Jeux. C'est une chouette reconnaissance car tous ces départements lointains ont contribué à cette belle équipe de France, dans tous les sports.

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Paris 2024 approchant, on reparle beaucoup de vos exploits.
Vous le vivez bien ?

C'est beau et ça fait partie de moi. Depuis trente ans, il n'y a pas un jour où, quand je sors de chez moi, il n'y a pas quelqu'un qui m'interpelle : « Moi, le jour où vous avez gagné, j'étais en vacances à tel endroit, je faisais ci ou ça... » Tout le monde me raconte une anecdote liée à une de mes courses. Certains pleurent. On rentre dans l'intimité des gens et, parfois, on ne sait pas comment réagir. Une dame m'a même raconté son accouchement... C'est hallucinant de voir ce que le sport peut faire. Je ne l'ai pas cherché, mais je peux ne pas le changer. Même mon fils de 14 ans n'en revient pas que les gens me reconnaissent encore. Il a vu les images, mais il ne comprend pas non plus.

Échangeriez-vous vos trois médailles d'or contre une participation à Paris 2024 ?

Tout de suite et à qui les veut ! Je donnerais tout pour vivre ça. On n'a pas conscience de ce que sont des Jeux à la maison. Il y a une telle pression : tu veux bien représenter, que ta famille soit fière, que tout ce que tu as mis en place depuis dix ans paye à ce moment-là. Pas après, pas avant. Là. Ce n'est pas facile. C'est le rendez-vous de ta vie, et il va changer celle de beaucoup de monde. Même pour les bénévoles ou ceux qui vont travailler : ils ne vont jamais bosser sur un truc avec tant d'émotions.

Et vos médailles contre l'allumage de la vasque ?

Oui, pareil. Je me suis déjà fait le film...

Pour la majorité des Français, ça coulerait de source que ça soit vous. Comment le prenez-vous ?

Si on réfléchit de manière classique, oui, ça serait bien que ça soit des athlètes ayant fait des belles choses aux Jeux. Mais si on veut casser les codes, il faut prendre d'autres personnes. Des enfants, par exemple. Mon plus beau moment aux JO, c'est quand Mohamed Ali a allumé la vasque en 1996. Et la boxe n'est pas un sport majeur de l'olympisme. Mais ce qu'il incarnait était plus grand. C'est le moment où le pays prend la parole. Donc la question est : qu'est-ce que la France veut dire au monde entier à ce moment-là ? Je suis persuadée que le président de la République, ­Emmanuel Macron, a son mot à dire. On a voulu faire de Paris 2024 un phare de l'inclusivité ; le logo raconte cette histoire. Comme le dit Tony [Estanguet, à la tête du comité d'organisation] : la première mi-temps, ce sont les Jeux ; la seconde, ce sont les Paralympiques. La narration a lié les deux et il serait logique de la prolonger.

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Donc un quatuor avec une femme et un homme non-valides, une femme et un homme valides, et vous en faites partie ?

[Elle rigole.] Voilà.

Vous évoquiez Mohamed Ali. Replongez-vous à Atlanta il y a vingt-huit ans.

Je suis happée, hypnotisée. Ça me renvoie à mon enfance. Chez ma mamie, la radio restait allumée. Un jour, elle nous avait demandé d'écouter les commentaires du combat de Kinshasa. Et je la revois qui n'arrête pas de danser. Je sens bien qu'elle n'y connaît rien à la boxe, mais le bonhomme, lui, l'intéresse. J'ai grandi avec ces grandes figures que ma mamie me racontait. Des femmes fortes comme Gerty Archimède [avocate et militante guadeloupéenne]. Des vies qui n'apparaissaient dans aucun livre d'Histoire. Elle a dû planter une graine.

C'était enfoui en vous durant votre carrière ?

Mais moi, je ne parlais pas dans les médias et je trouvais ça normal. J'aimais bien le secret. Pas besoin de se livrer, de s'étaler... Avec les personnes qui me connaissaient réellement, ce n'était pas pareil. Toutes me disaient que les journalistes racontaient n'importe quoi. Certaines comprenaient le fonctionnement du milieu et me suggéraient de combler le vide pour empêcher ça. Je n'ai jamais lu un papier de cette époque-là dans lequel je me reconnaissais. Tout le monde reprenait une idée préconçue. Et ça a créé un personnage. Je m'en fichais, je n'avais pas envie de faire cet effort. Et j'adorais aussi l'idée d'arriver discrètement, et boum, de faire un beau truc en course. Sans arrière-pensée, sans rien.

À votre époque, la santé mentale était un sujet tabou. Ça l'est moins depuis Simone Biles et Naomi Osaka ?

Il n'y a plus de tabou, même. La parole s'est-elle libérée ? Ou a-t-on pris conscience du problème ? En discutant avec d'anciens sportifs, je me suis rendu compte que très peu n'ont pas été déprimés pendant leur carrière, puis une fois qu'ils ont arrêté. J'ai été la première à avoir subi ça de plein fouet : tout le monde pouvait voir que ça n'allait pas, mais les gens ne comprenaient pas. Moi non plus, je ne voulais pas en parler. Quand je suis revenue de Sydney [JO 2000], ma grand-mère a insisté : « Il faut que tu t'expliques. » Mon entourage professionnel me l'avait dit vingt fois avant. Mais là j'ai dit : « Oui, mémère, j'y vais. » Elle m'a regardée et m'a appelée pour me dire que c'était bien. Puis elle m'a lâché : « Maintenant, il faut que tu ailles voir un psy. » Quoi ? Quand une mamie antillaise dit ça, c'est que tu as un problème. Parce que ces femmes-là, le potomitan [le pilier]de la maison, se prennent en main et font en sorte que ça aille. J'ai pris une claque.

Donc elle a vu que ça allait vraiment très, très mal.

Oui mais je lui ai dit que j'étais assez forte pour sortir seule de mon trou noir. Donc je ne suis pas allée voir un psy. J'ai voyagé. J'ai tourné en rond. Je ne trouvais de sens à rien. Au bout de deux ans, je suis retournée en Guadeloupe. Ça m'a fait du bien de discuter avec les gens et de regoûter à une vie normale. Mais j'ai voulu faire les championnats du monde trop vite, et je me suis blessée. J'ai senti que j'étais épuisée et que j'allais m'arrêter. Mais j'ai mis un an à intégrer ça. Ça demande de la force d'accepter qu'on ne soit plus un athlète de haut niveau. Un jour, j'ai donc décidé de faire le 20 Heures de TF1 pour ne plus revenir en arrière. Ça a été très compliqué après. Les voyages humanitaires que j'ai faits à cette époque ont été utiles. C'est comme ça que je me suis soignée.

Les sportifs français sont prêts à faire face à la pression des Jeux à la maison ?

Je pense, oui. En tout cas, certains. Quand je vois Léon Marchand qui est parti bosser aux États-Unis... C'est tellement court une carrière qu'il vaut mieux se fier à une personne qui connaît le chemin pour ne pas perdre de temps. Si tu veux marquer l'histoire, tu ne peux pas attendre que ton coach tâtonne. Il faut que tu aies quelqu'un de confirmé, qui ait déjà montré qu'il est capable de faire. Et si cette personne est au Pôle Nord, tu dois y aller.

Pour lui comme vous, c'était aux États-Unis.

Mon but était de me mettre en difficulté, de me confronter à ce qui se faisait de mieux. Je voulais gagner les Jeux en étant décontractée. J'avais repéré aux JO de Barcelone en 1992 que John Smith et son équipe dansaient avec des casques de Walkman sur les oreilles à l'échauffement. Avant la finale, je me suis dit qu'ils allaient se planter. Bilan : champions olympiques et record du monde ! Moi, j'étais stressée, j'avais envie de vomir. Mon coach avait une autre approche. Alors, certes, on y est arrivé, mais j'étais fascinée en voyant qu'on pouvait faire autrement. C'est resté dans un coin de ma tête. Aujourd'hui, on parle de bien-être mais je cherchais déjà ça. Quand ça s'est fini avec mon entraîneur, j'ai pris l'avion pour Los Angeles. J'ai demandé à John Smith s'il me prenait dans son groupe. Il a refusé car il n'entraînait pas les filles. Puis il m'a dit : « Comme tu es là, tu peux faire un petit entraînement avec nous. Mais ne te fais pas de film : après, tu rentres ! » Je me suis mise minable et il s'est dit que ça allait booster son groupe. Donc il m'a pris.

Quel athlète vous fait vibrer aujourd'hui ?

Tous. Parce que je sais le travail qu'il y a derrière. Chacun a son histoire et c'est souvent douloureux. Je respecte beaucoup ça. Cela étant, je reste élitiste : seule la perf de dingo me transcende.

Légitime pour allumer la vasque mais...

Triple championne olympique de la discipline reine (l'athlétisme), Marie-José Pérec coche toutes les cases pour allumer la vasque le 26 juillet. L'ex-nageuse Laure Manaudou et le judoka Teddy Riner postulent aussi. L'ex-biathlonien Martin Fourcade est, lui, connoté Jeux d'hiver. Et il serait surprenant que Zinedine Zidane imite Michel Platini, qui avait été le dernier aux JO d'Albertville en 1992. Mais il faudrait pour cela que le comité d'organisation (Cojop) opte pour un ou une athlète, comme Tokyo en 2021 avec la tenniswoman Naomi Osaka ou Rio en 2016 avec le marathonien Vanderlei de Lima (privé de victoire par un spectateur en 2004). Londres en 2012 avait mis en lumière sept espoirs du sport anglais. Paris 2024 ayant tendance à casser les codes, il faut s'attendre à de l'inédit. Des victimes des attentats de 2015 ou des symboles de l'inclusivité, par exemple.

Solen Cherrier

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Commentaires 8
à écrit le 08/05/2024 à 19:48
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On aura vu plus JUL que la flamme olympique à Marseille , c’est la fête du RAP

à écrit le 08/05/2024 à 13:19
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Donne deux années de salaire à une association de sport pour faire le voyage avec la flamme, jusqu’aux Antilles.

à écrit le 08/05/2024 à 13:04
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Il faut arrêter le délire : un briquet Bic est suffisant pour tous ces dopés. Et sur le plan écologique, on nous gave avec ces tribulations incroyables et anti-écologiques ! Après ça, il y en a encore qui critiquent le barbecue et les arbres morts à...

à écrit le 08/05/2024 à 11:13
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La "Gazelle " favorite pour allumer la vasque le 26 juillet vers 23 h43 A moins que Zizou nous refasse le coup de " Platoche ,92 " Affaire à suivre.. 🤔🤔🤪🤪🤪

à écrit le 08/05/2024 à 10:34
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Circem et Panem …comment amuser la galerie aux frais du contribuable de moins de moins nombreux - seul un français sur deux paye pas l impôt! Forcément si les redevables étaient plus élevés individuellement, comme pour les entreprises taxées de 2...

le 10/05/2024 à 11:12
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@JO BIMBO. Quitte a utiliser les locutions latines, ecrivez les correctement. "Panem et circense" est plus adapte.

à écrit le 08/05/2024 à 9:39
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"et un équipage de personnalités" LOL ! Le cirque indécent.

à écrit le 08/05/2024 à 7:33
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On préfère les médailles à cette grotesque mascarade de relais de la flamme olympique mise en place par les nazis. Ah un moment faut aussi arrêt rde faire du sport et réfléchir, merci.

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