« Mon sport se porte très bien sans les JO » (Loïc Bruni, vététiste)

ENTRETIEN - Le quintuple champion du monde de descente aimerait faire connaître davantage sa discipline. Mais pas à n’importe quel prix.
Loïc Bruni au Mont-Sainte-Anne (Canada), le 7 octobre 2023.
Loïc Bruni au Mont-Sainte-Anne (Canada), le 7 octobre 2023. (Crédits : © LTD / BARTEK WOLINSKI/RED BULL VIA REUTERS)

Trois fois vainqueur de la Coupe du monde et cinq fois champion du monde, le descendeur Loïc Bruni est un gros poisson dans une petite mare. Le Niçois, qui aura 30 ans demain, espère encore contribuer à la popularité d'un sport spectaculaire, mais apprécie d'éviter les pièges dans lesquels tombent, d'après lui, des disciplines mieux dotées.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Faut-il regretter la diffusion assez confidentielle de votre sport ?

LOÏC BRUNI - Oui, j'aimerais le faire mieux connaître. Ce serait un bel objectif pour ma future reconversion. Cette saison, nous sommes diffusés sur Eurosport après l'avoir été sur la chaîne L'Équipe et Red Bull TV. C'est mieux, mais j'aimerais qu'on passe sur France Télévisions, ce serait un énorme cap. Les droits ne doivent pas être très élevés. En attendant, je veux encore gagner des courses et des titres pour rester dans les annales le plus longtemps possible.

Dans d'autres sports, votre palmarès ferait de vous une immense star ?

Oui, c'est possible. J'aurais peut-être la Légion d'honneur comme Fabio Quartararo [champion du monde de MotoGP en 2021]. D'un autre côté, je suis très content que la descente reste à échelle humaine, préservée de l'aspect business et d'une trop forte pression économique. Nous avons une vraie proximité et du temps pour les fans qui assistent aux courses.

L'absence de la descente au programme olympique est-elle une anomalie ?

Non, je n'ai pas cette frustration. Mon sport se porte très bien sans les JO. De l'extérieur, beaucoup d'acteurs économiques des Jeux me donnent l'impression de s'engager sur du court terme. Ce n'est pas sain. Pour autant, je regarderai les épreuves à la télévision depuis la montagne, où je préparerai la deuxième partie de ma saison. Nous aurons une longue pause estivale entre l'épreuve aux Gets, début juillet, et les championnats du monde en Andorre, fin août.

Quelles sont les qualités d'un excellent descendeur ?

La concentration est essentielle, car nos courses durent trois minutes et se jouent à quelques centièmes de seconde, comme au ski. C'est un équilibre entre la recherche de la perfection et la prise de risque. Physiquement, les meilleurs allient puissance et explosivité pour utiliser le terrain et absorber les chocs.

Loïc Bruni

Faut-il un goût du risque prononcé ?

J'aime les sports extrêmes. Si ça n'avait pas été la descente, j'en aurais sûrement pratiqué un autre. Notre marge d'erreur est infime ; si on chute, on peut se faire vraiment mal. Sur le plateau, il y a eu de graves accidents, beaucoup de vertèbres cassées mais heureusement, peu de moelles épinières sectionnées. Moi, je me suis blessé aux épaules, aux coudes, aux clavicules et j'ai subi des déchirures musculaires dues aux impacts. Rien de sérieux, je touche du bois. Une semaine avant la première manche de la Coupe du monde, le weekend dernier [victoire à Fort William, en Écosse], je suis tombé sur la tête. Ma mère angoisse quand je l'appelle de l'hôpital. Elle a pourtant l'habitude, car mon père a fait de la descente avant moi. Je fais le maximum pour éviter les problèmes, et le plus souvent j'y arrive. La descente n'est pas une discipline si périlleuse.

Pour moi, le vélo sur route est plus dangereux

La sécurité des coureurs est une question brûlante sur la route. Et pour vous ?

Les organisateurs font des efforts pour éviter les arbres et les pierres au bord des pistes. Tous les pays n'ont pas les mêmes règles ; en France, nous devons porter un équipement complet qui pèse jusqu'à 6 kilos : coudières, genouillères, protections dorsales et casque intégral. Certains ajoutent un short conçu pour protéger les hanches et les quadriceps. Pour moi, le vélo sur route est plus dangereux, car les coureurs sont très peu protégés.

La sagesse vous rattrape à la veille de la trentaine ?

Les carrières sont courtes, sauf celle du Sud-Africain Greg Minnaar [42 ans]. Au-delà de 35 ans, il n'y a quasiment plus aucune chance de bien rouler. J'essaie de me maintenir et de progresser, mais je me rends compte que ma mentalité et mon approche ont déjà commencé à évoluer.

Wout Van Aert, Tom Pidcock ou Mathieu Van der Poel passent du cyclo-cross à la route. Les descendeurs aussi ?

Oui, les frontières entre les disciplines s'amenuisent. En Andorre, où je réside, j'échange avec Sepp Kuss [vainqueur de la Vuelta 2023 avec Jumbo-Visma] et d'autres. L'émulation nous enrichit. Quand j'étais plus jeune, les descendeurs avaient la réputation d'être cool, les routiers étaient considérés comme des losers. Ça n'a plus rien à voir : nous avons beaucoup de respect pour eux, tandis qu'ils ne nous jugent plus seulement comme des casse-cou.

Vous avez contribué à modifier une règle de l'Union cycliste internationale [UCI] ?

Oui. Longtemps, l'UCI a interdit les tailles de roue différentes à l'avant et à l'arrière. Avec mon mécanicien, Jack Roure, nous avons insisté, car cela change la géométrie et le pilotage du vélo. Quand mon équipe a signé avec le leader mondial des VTT, Specialized, en 2021, nous sommes entrés dans la cour des grands. Mon image a pris de l'ampleur à l'international. Aujourd'hui, neuf descendeurs sur dix utilisent des roues dépareillées.

Tous les descendeurs gagnent leur vie ?

Dans le haut du panier, oui. Pour les autres, il y a une façon de générer des revenus importants : la création de contenus vidéo. Beaucoup de freeriders utilisent YouTube ou Instagram pour accroître leur audience. Certains concurrents n'ont pas remporté grand-chose sur le vélo, mais gagnent plus d'argent que moi. J'ai du mal à m'y mettre. Un copain gère mon compte TikTok, car je n'ai pas l'appli sur mon téléphone. Je n'ai pas cette tendance à être connecté en permanence. J'ai déjà l'impression de perdre trop de temps avec les écrans. Je n'ai pas envie d'inciter d'autres personnes à gâcher le leur.

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Commentaire 1
à écrit le 12/05/2024 à 9:20
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En effet c'est un sport spectaculaire, le Redbull Rampage en est une preuve flagrante mais pas que, internet déborde de vidéos particulièrement impressionnantes et souvent belles de cette discipline. Il faut voir celles de Danny Macaskill par exemple...

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