Formule 1 : Ayrton Senna les a marqués

Il y a trente ans, le 1er mai 1994, le génie brésilien trouvait la mort au Grand Prix de Saint-Marin. Tout le monde se souvient où il était ce jour-là. Témoignages.
(Crédits : © LTD / XPB/ICON SPORT)

Il affirmait parfois ressentir la présence de Dieu au volant de sa formule 1. Ayrton Senna a été brutalement rappelé à lui, le 1er mai 1994, sur le circuit d'Imola (Italie). Après six tours de course, le Brésilien est en tête lorsqu'il perd le contrôle de sa Williams Renault sans raison apparente dans la courbe de Tamburello. Il est 14h18, sa monoplace file droit et percute un mur en béton à 210 km/h. Cause officielle de l'accident: rupture de la colonne de direction. Il est héliporté vers l'hôpital de Bologne. Vingt minutes plus tard, le Grand Prix se poursuit dans une atmosphère irréelle. Peu après 18h30, le verdict tombe. Ayrton Senna est mort. Le Brésilien n'a pas survécu à ses lésions au cerveau et à l'hémorragie causées par un triangle de suspension brisé sous la violence du choc.

À 34 ans, il était déjà entré dans l'histoire de son sport, grâce à ses trois titres, son pilotage fougueux et son duel de titan contre Alain Prost. Il laisse les fans de sport bouleversés et incrédules. Pas lui, si habile, si habité, si fort. Ses obsèques, dignes de celles d'un chef d'État, et la couverture médiatique mondiale disent tout de la déflagration ressentie. Trente ans plus tard, beaucoup se souviennent d'où ils se trouvaient le jour de sa mort, ce qu'ils ont ressenti, signe des événements les plus marquants.

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Marie-José Pérec

Triple championne olympique en athlétisme

« J'étais à Paris et ça a été un choc. Parce qu'en dehors d'être ce grand champion, il incarnait la gentillesse et la douceur. Le contraste avec la violence des images de son accident était terrible. Irréel. J'ai eu du mal à me dire qu'il n'était plus là. On n'arrive jamais à envisager la mort de tels grands noms. Surtout quand ça se passe dans le cadre de leur activité, là où ils sont des dieux... »

Lionel Froissart

Journaliste proche du Brésilien, auteur de « L'Icône immolée »

« C'était un week-end bizarre avec un temps merveilleux, printanier, qui contraste avec cette montée en puissance de l'horreur, de l'accident de Barrichello [le vendredi] aux drames Ratzenberger [mort le samedi] et Senna. J'avais croisé Ayrton vite fait le jeudi et on avait convenu d'un rendez-vous téléphonique le lundi suivant pour une interview dans Libération. Au moment de l'accident, quand j'ai vu sa tête bouger, j'ai su que c'était la fin alors que beaucoup pensaient que c'était bon signe. Mais j'étais à l'antenne sur Canal+ Horizons et j'ai gardé ça pour moi. TVGlobo était juste à côté, avec son frère Leonardo en studio, et ils n'en savaient pas plus que nous. Ensuite, j'ai dû produire deux pages pour Libé; c'était l'événement. Le journal m'a laissé un peu de temps, j'avais beaucoup de mal à écrire entre deux larmes. Pendant la retransmission télévisée, l'émotion n'était pas aussi présente. Là, je prenais conscience de l'ampleur de la catastrophe. »

René Arnoux

Pilote de Formule1 entre  1978 et1989
« J'étais en Angleterre. Avant qu'Ayrton tape le mur, j'ai compris que sa direction avait cassé, car on l'a bien vu à la télé. C'était un garçon sensible, agréable, avec cette façon de parler très arrondie et tranquille qu'ont les Brésiliens et qui contrastait avec sa vitesse sur la piste. On s'est retrouvés assis l'un à côté de l'autre dans un avion Boeing 747 entre Bali et l'Australie à la fin des années 1980 : on avait échangé quelques banalités et, à un moment, il m'a demandé: "René, toi qui as couru un an avec Prost, comment est-il?" Je lui avais répondu. Il fait partie de ces personnes qui vous marquent, même sans dire grand-chose. Je n'aime pas parler d'idolâtrie mais il était très aimé. On ne pouvait que l'apprécier. »

Leonardo

Champion du monde de football 1994 avec le Brésil
« J'ai vécu un moment très particulier. C'était jour de derby entre le FC São Paulo, où je jouais, et Palmeiras. Avec le décalage horaire, le Grand Prix avait lieu le matin. Au Brésil, Senna, c'était énorme. Tout le monde avait regardé. Donc, au stade, on attendait des nouvelles, fébriles. Tous les matchs avaient failli être annulés. Et on a appris sa mort en début de rencontre. Le Morumbi était plein à craquer, mais on n'entendait plus un bruit. Personne n'avait envie d'être là. Les gens pleuraient en tribune et, sur la pelouse, nous ne bougions pas. Surréaliste. On avait joué dans cet esprit-là. »

Formule 1 : Ayrton Senna les a marqués

Ayrton Senna, dans le paddock en début de saison 1994. (Crédits: © LTD / FIRO SPORTPHOTO/PICTUREALLIANCE/ICON SPORT)

Margot Laffite

Présentatrice à Canal+ et pilote automobile

« Le jour de l'accident, je n'étais pas devant une télé mais dans une voiture avec ma mère, de retour d'un cours d'équitation. C'est sa stupeur qui m'a fait prendre conscience que c'était un événement très grave. Elle était très connectée à la formule 1 par l'intermédiaire de mon père [Jacques Laffite], puis d'Alain Prost, et c'est à travers elle que j'ai ressenti le choc. À ses débuts en formule 1, Senna avait fait apporter une bouteille d'un très bon vin à la table de mon père, qui s'était trouvé dans le même restaurant que lui. Il a gardé un souvenir fort du respect de ce petit jeune pour ses pairs. Sa personnalité singulière, très mystique, et son talent inné ont marqué des pilotes qui ne l'ont pas côtoyé, comme Lewis Hamilton, un grand fan. »

Philippe Vandel

Journaliste et chroniqueur

« J'étais devant ma télé, je n'ai pas loupé un Grand Prix depuis que j'ai 10-12 ans. Le
matin, j'avais regardé Automoto et j'avais été marqué car, pour un reportage, Ayrton Senna avait fait le tour du circuit d'Imola. Puis il avait lancé: "Alain! Tu me manques!"
L'après-midi, il se tue. Dingue. Ce qui me marque, avec du recul, c'est que ça a duré
des heures. Et dans mon souvenir, on voyait tout en direct, y compris l'évacuation en
hélicoptère. À l'époque, on ne s'embarrassait pas du politiquement correct. Il faut dire
qu'on n'avait pas le même rapport à la mort en F1, elle était presque tolérée. Dans ma
chambre, j'avais des posters de pilotes et beaucoup n'étaient plus là. J'étais d'autant plus ému que j'avais une histoire personnelle avec Senna. Quand je travaillais à Actuel, j'avais parlé à Jean-François Bizot de ce jeune pilote brésilien bourré de talent. Il n'y connaissait rien mais m'avait dit de foncer. Trois mois plus tard, je déjeunais en tête à tête avec Senna. »

Mourad Boudjellal

Éditeur, ancien président du Rugby club toulonnais
« J'étais au stade Mayol pour assister à un match du RC Toulon. J'étais éditeur, sans
responsabilité au sein du club. Le député juste derrière moi me dit: "Ayrton Senna
est mort." Ça m'a paru incroyable. À l'époque, je regardais la formule 1 parce que
Prost gagnait. C'était la baston. Moi, j'étais pour le Français, bien sûr, un énorme
champion. Dans les jours qui ont suivi sa mort, je me suis vraiment rendu compte
de ce que ce Senna représentait. »

Armel Le Cléac'h

Navigateur, vainqueur de la Transat Jacques-Vabre 2023

« Au moment de l'accident, j'étais en régate, sur l'Obélix Trophy, une course de plusieurs jours à Bénodet [Finistère]. En rentrant de la journée de navigation, le dimanche soir pour aller là où on logeait, on a mis la radio dans la voiture. Et là, on apprend le truc. On était un équipage de mecs, passionnés de sports et de formule 1. Le duel Prost-Senna, c'était quelque chose. On ne déconnait pas, on a tous pris un coup sur la tête. On pense que ce sont des personnalités immortelles et ce genre d'événement te ramène à une "drôle de réalité". La disparition d'Éric Tabarly en 1998 m'a fait à peu près la même chose. »

Dante

Footballeur brésilien de l'OGC Nice

« J'étais au stade pour le derby de Salvador, entre Bahia et Vitória. À la mi-temps, nous avons appris son décès sur un écran. Beaucoup de gens se sont mis à pleurer, mais tout le stade a aussi chanté pour lui, en hommage. C'était un moment incroyable, très beau. Je n'avais que 10 ans, mais j'étais fan de lui, je regardais toutes ses courses. Le Brésil a perdu un vrai champion, mais il était bien plus que cela, c'était avant tout un homme inspirant. Il continue de l'être. On n'oubliera jamais notre Ayrton.

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Commentaire 1
à écrit le 28/04/2024 à 16:27
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Moi aussi j'étais devant ma TV. On a rapidement su que c'était grave. Mais c'était un "risque du métier". La preuve pour tant d'autres. De là à faire de ce pilote un demi dieu, ça fait plusieurs décennies que la question se pose. Ce besoin "des gens"...

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