« Parfois, je me force à penser que c’est du plaisir » (Quentin Fillon Maillet, biathlète)

ENTRETIEN - En lice aux Mondiaux, le lauréat du gros globe 2022 détaille les sensations extrêmes d’un sport alliant vitesse, endurance et précision.
Aux Mondiaux de biathlon, à Nové Mesto (République tchèque), le 7 février.
Aux Mondiaux de biathlon, à Nové Mesto (République tchèque), le 7 février. (Crédits : ©MICHALCIZEK/AFP)

Il n'a pas gagné de l'hiver, mais avec un champion comme Quentin Fillon Maillet, 31 ans, quintuple médaillé olympique à Pékin (dont deux titres) et triple champion du monde, la victoire peut arriver quand on s'y attend le moins. La preuve aux Mondiaux de Nové Mesto (République tchèque), qui ont commencé mercredi par une victoire en relais mixte. Hier, au lendemain de la razzia des Bleues, il a fini huitième du sprint.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Êtes-vous plutôt glisse ou vitesse ?

QUENTIN FILLON MAILLET - La vitesse me titille. On skie à 50 km/h, avec quelques pointes à 80. Je ressens parfois de la frustration lorsque les conditions sont lentes. On essaie de freiner le moins possible à l'entrée des virages, d'éviter le chasse-neige ou le dérapage qui font décélérer. La petite appréhension en descente procure une décharge d'adrénaline instantanée. La vitesse prend tout son sens quand il y a une petite part de risque.

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La réflexion est l'ennemi du descendeur ?

Il faut jauger sa vitesse en fonction de son niveau et des conditions. On a parfois l'impression de maîtriser et c'est là que la course part en cacahuète. D'autres fois, on se dit qu'on aurait pu pousser un peu. Nous sommes comme les cyclistes, à la différence que leurs chutes sont plus violentes, voire dramatiques. Et nous avons l'avantage de pouvoir repérer les pistes plusieurs fois. Ça nous permet de chercher le juste milieu entre la prise de risque et le gain de temps.

Avez-vous déjà eu peur sur la piste ?

Plus d'une fois. Il m'est arrivé de chuter dans des conditions gelées ou d'être bousculé par des adversaires dans une descente. L'idée est d'être le plus rapide possible pour enchaîner la bosse suivante avec le plus d'élan possible. On a conscience du danger, surtout avec une carabine dans le dos. En montée, on redoute l'effort. On souffre. Je dis souvent qu'on s'auto-torture. Une bosse, c'est un bras de fer entre notre corps, qui nous dit qu'on pousse la machine trop loin, et la tête, qui veut gagner toujours plus de temps.

Quelles parties du corps trinquent le plus ?

Les quadriceps des jambes et le dos. Le corps produit des déchets qui arrivent dans le système sanguin, c'est assez désagréable, comme dans tous les sports d'endurance. Côté pulmonaire, on commence à suffoquer quand on ne peut pas absorber davantage d'oxygène. La douleur est une information électrique envoyée au cerveau, donc j'essaie de tricher en l'occupant avec d'autres pensées : à quelle vitesse j'ai passé une bosse, le placement des jambes, la stabilité des appuis... Dans les moments extrêmes, je me force à penser que c'est du plaisir. Il est arrivé que mon corps ne réponde plus. Tout devient flou, on est comme dans un tunnel. On devient un peu bête, car nos capacités de calcul diminuent.

Comment s'opère la transition entre le ski et le tir ?

En début de course, j'arrive à descendre de 180 à 130 pulsations. Mais sur les tirs suivants, le rythme cardiaque ne baisse quasiment plus. Ce n'est pas plus mal : plus le cœur bat, plus notre corps récupère. On essaie plutôt de renouer avec la lucidité après un effort violent sur les skis. En arrivant sur le pas de tir, d'un coup, il faut trouver une attitude relâchée en prenant de longues respirations. J'ai beaucoup travaillé sur le souffle.

Quand le sang revient dans mes mains, je pleure pendant vingt minutes

Quentin Fillon Maillet

Vous préférez le tir couché ou debout ?

Debout, car l'enjeu est plus grand vers la fin de la course. On n'a que les pieds comme points de contact, c'est un tir plus instinctif. Sur le tir couché, la cible est beaucoup plus petite - le visuel de 11 centimètres est le même, mais un cache réduit le diamètre à 4 centimètres. Il demande plus de technique, d'appréciation du vent. L'avantage, c'est la stabilité au sol.

Faut-il des yeux de lynx pour bien tirer ?

Ma copine est opticienne, donc je fais des tests ophtalmologiques de temps en temps. Lors du dernier, j'avais vingt dixièmes à l'œil gauche contre seize une dizaine d'années plus tôt. C'est le maximum. Mon sport a peut-être développé mon acuité visuelle. Certains biathlètes, comme Johannes Boe, portent des lentilles, mais ça reste un petit désagrément car, en période de grand froid, elles peuvent geler dans l'œil.

Êtes-vous frigorifié pendant la course ?

Avec l'expérience, on apprend à connaître les conditions et à s'habiller du mieux possible. Avoir trop froid, c'est de la déperdition d'énergie pour se réchauffer. Trop chaud, on transpire et on se déshydrate. J'ai donc une multitude de sous-vêtements adaptés aux différents climats. Les chaussures de ski ne sont pas très chaudes et il y a une volonté d'avoir une sensation très proche du pied, donc je mets des surchaussures s'il neige ou s'il fait humide. Les extrémités sont les plus sensibles.

Comment protéger vos mains ?

Un de mes partenaires a développé des gants avec une moufle qui vient se rabattre - je peux l'enlever au moment du tir et la remettre pour skier - et un système de résistances chauffantes. D'autres sont étanches mais respirants pour les conditions très humides. Je suis assez sensible, donc j'ai vraiment passé de sales moments. Il m'est arrivé de ne plus sentir mes doigts jusqu'à la ligne d'arrivée. Quand le sang se remet alors à circuler, avec les nerfs à fleur de peau, et que les sensations reviennent d'un coup, je pleure pendant vingt minutes. Une fois qu'on a eu une grosse engelure, on reste sensible pendant tout l'hiver. On peut avoir les doigts engourdis, presque bleus. C'est pourtant la seule sensation qui permet de savoir si je suis bien accroché à ma carabine, si je mets la bonne pression pour faire partir mes munitions.

Le changement climatique fait-il évoluer votre pratique ?

J'ai toujours mes gants chauffants, même si je ne m'en sers qu'une ou deux fois. On est de moins en moins confrontés au grand froid, sauf à Östersund [Suède] où les températures sont descendues jusqu'à -≤. On aime mieux éviter, car le froid extrême peut abîmer les bronches. Mais cette saison, la plupart des stations ont manqué de neige.

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