Philippe Croizon : « Ma devise : ne jamais baisser les bras ! »

ENTRETIEN - L’athlète handicapé le plus célèbre de France commentera les Jeux olympiques et paralympiques sur RTL.
Philippe Croizon à la défense, le 9 avril.
Philippe Croizon à la défense, le 9 avril. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Difficile de croiser Philippe Croizon, tant il mène une vie à mille à l'heure. Après sa traversée à la nage de la Manche en 2010 et sa participation au Dakar 2017, l'athlète fourmille toujours de projets. Et pourtant, il n'a plus de bras ni de jambes. En 1994, le métallurgiste monte sur le toit de sa maison pour réparer son antenne de télévision puis s'électrise avec une décharge de 20 000 volts. Deux mois de coma, plus de cent heures d'opération et quatre membres en moins. Commence alors une nouvelle vie, celle d'un amputé qui, après dix ans de dépression, finit par accepter sa condition et choisit de rire pour ne plus pleurer.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Que se cache-t-il derrière cette joie de vivre ?

PHILIPPE CROIZON - Je suis né optimiste, mais aussi avec une hypersensibilité. Mes amis m'appellent « la chialouse » car je pleure pour tout, même devant La Reine des neiges. Après mon accident, le médecin avait jugé important de me mettre sous antidépresseurs. Mais je n'avais plus aucune larme. J'ai immédiatement arrêté le traitement pour pouvoir pleurer de nouveau.

Quel sentiment éprouve-t-on quand on se réveille avec quatre membres en moins ?

J'en ai d'abord voulu à la mort de m'avoir laissé en vie. Qui peut imaginer une vie sans jambes et sans bras ? Puis ce même jour, on m'annonce que mon fils Grégory vient de naître. Je comprends alors que j'ai eu raison de me battre. Le plus dur, ce n'est pas l'accident, mais le retour à la maison. Les premiers mois, la famille, les amis sont là. Ensuite, tout le monde reprend sa vie. La mienne ne reprend pas. J'en voulais à mon père de s'interdire de pleurer devant moi. Tout le monde jouait un rôle, parler de l'accident était tabou. On me disait : « Tout va bien aller, tu vas être très courageux. » Non, tout ne va pas bien. Non, je ne suis pas courageux, et j'avais envie de hurler. Je suis resté sept ans assis sur mon canapé devant la télé. Et puis j'ai explosé en vol quand mon épouse est partie.

Ça s'est manifesté comment ?

En voulant mettre fin à mes jours. J'avais prévu de me jeter dans une rivière avec mes prothèses de marche. J'aurais coulé très vite. Pour me donner du courage, j'avais acheté une bouteille d'alcool, alors que je n'en bois jamais. J'étais tellement bourré que je suis tombé sur l'herbe ; je ne pouvais plus me relever. Les pompiers m'ont retrouvé le lendemain matin.

Philippe Croizon

(© LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

C'est la seule fois où vous avez tenté d'en finir ?

De passer à l'acte, oui. Mais il m'a fallu dix ans pour sortir de ce marasme, avec les fameuses cinq étapes du deuil : le déni, la colère, la négociation, la dépression et enfin l'acceptation, qui est venue grâce à Suzana, il y a dix-neuf ans. Si je suis autant dans cette hyperactivité, c'est aussi par peur de sombrer de nouveau. Il suffit de pas grand-chose pour que je retrouve mon canapé et ma télévision.

Pour apprendre à lire et à écrire, j'ai dû retourner à l'école. Toute ma vie, j'ai dû m'adapter

Philippe Croizon

Comment avez-vous rencontré Suzana ?

Sur Meetic ! J'étais inscrit sur ce site de rencontre depuis un an et demi et je n'avais enchaîné que des râteaux. C'était un peu ma faute, car je n'avais mis que ma tête sur la photo de profil ! Alors quand une femme me proposait un rendez-vous, je lui répondais : « Ah, j'ai oublié un petit détail... Je n'ai plus de jambes et de bras. » Fin de la discussion !

Vous auriez pu avoir un bébé ensemble ?

Oui, parce que notre histoire est belle. Mais j'avais déjà deux enfants et elle, trois. Le plus gros bébé de la famille, c'est moi ! Aujourd'hui, je suis trois fois grand-père ! Cela fait dix-neuf ans qu'elle me supporte, elle mérite vraiment une médaille. L'écriture de son livre a sauvé notre couple, parce que je ne me rendais même plus compte qu'elle était passée d'amante à aidante.

Avez-vous l'impression d'être un boulet pour les autres ?

Parfois, même si ma famille m'a offert une certaine autonomie. Grâce à elle, j'ai une voiture, une salle de bains où je suis 100 % autonome. Ma devise : ne jamais baisser les bras !

Autonome en voiture, mais avec parfois quelques soucis au lavage automatique...

Je vois que quelqu'un a balancé ! En plein lavage, j'ai dit à la commande vocale « mets de la musique », mais avec le bruit des rouleaux, elle a compris « baisse les fenêtres ». Je vous laisse imaginer la suite. J'étais tout propre !

Philippe Croizon

(© LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Votre vie est-elle plus riche depuis l'accident ?

N'y voyez là rien de péjoratif : avant, ma vie était très classique, celle d'un ouvrier qui n'a pas fait d'études. Je voulais devenir ébéniste, mais dans un monde ouvrier, on n'imagine pas que l'avenir soit possible. J'ai commencé comme charcutier, puis métallurgiste. Aujourd'hui, je fais des conférences tous les deux, trois jours. Alors, oui, ma vie est bien plus riche. En revanche, j'ai encore de grosses difficultés à écrire, à lire et à compter.

Vous n'êtes pas allé à l'école ?

Même si je suis allé jusqu'au collège, ma scolarité a été un échec. Quand je bossais aux Fonderies du Poitou, je devais écrire un rapport sur mon travail de la journée. Je regardais ceux des autres ouvriers pour recopier même si je ne comprenais rien. J'essayais d'être le plus discret possible, car j'avais tellement honte de ne savoir ni lire, ni écrire, ni compter. J'ai décidé de retourner à l'école à l'aide d'une association. J'étais à l'usine la nuit et avec un fantastique professeur le jour. Toute ma vie, j'ai dû apprendre à m'adapter.

Cette obligation de s'adapter en permanence est peut-être aussi la raison de votre aisance en société...

Je n'ai jamais voulu me créer un personnage. Je suis le même Philippe avec Jean-Paul II, Chirac ou Sarkozy qu'avec mes copains. Après mon tweet à Elon Musk sur mon rêve d'aller dans l'espace, il m'a même invité à Cap Canaveral visiter SpaceX. En repartant, il m'a dit : « Quand Starship est prêt, tu seras du voyage. » À suivre...

On vous a déjà proposé de faire de la politique ?

Tous les partis politiques m'ont sollicité, mais j'ai toujours refusé, car je suis beaucoup trop sensible pour me prendre des couteaux dans le dos. Et puis je suis un électron libre, je veux garder ma liberté de parole.

C'est comment, le dimanche de Philippe Croizon ?

C'est le jour où je ne fais rien. En grand passionné de sports mécaniques, je ne loupe jamais le Grand Prix de formule 1, même si j'ai tendance à m'endormir avant le départ et à me réveiller deux minutes avant la fin...

Ses coups de cœur

Si Starmania est sa grande passion, il peut aussi bien écouter Rocky Balboa pendant ses entraînements de natation que la Compagnie créole. Côté séries, il a une préférence pour L'Homme qui valait 3 milliards : « J'ai fait 50 % du boulot, maintenant, il me manque les 3 milliards pour me mettre les bras et les jambes bioniques. » Lorsqu'il rentre chez
lui, à La Rochelle, il aime déjeuner chez Christopher Coutanceau*.

* Christopher Coutanceau, plage de la Concurrence, La Rochelle (Charente-Maritime).

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