Rugby : pourquoi le Top 14 cartonne

Le championnat de France aimante les stars mondiales et n’en finit pas de battre des records d’affluence. Anatomie d’un phénomène qui dure.
Le Stade français face au Stade toulousain, le 3 décembre à Paris.
Le Stade français face au Stade toulousain, le 3 décembre à Paris. (Crédits : © LTD / ALAIN MOUNIC/PRESSE SPORTS)

Il y aura foule ce soir à Ernest-Wallon. Le Stade toulousain, deuxième du Top 14, accueille le leader, le Stade français. Depuis plusieurs jours, la billetterie en ligne du club hexagonal le plus titré ne propose plus qu'une poignée de places, remises sur le marché par des abonnés. Si les deux équipes dominantes de la phase régulière atteignent les demi-finales, qui auront lieu les 21 et 22 juin à Bordeaux, il faudra aussi se montrer vif pour les voir évoluer. Tous les billets du Matmut Atlantique, de même que ceux pour la finale à Marseille, sont vendus depuis début mars, à l'exception des quotas réservés aux clubs qualifiés.

Lire aussi« Non, je ne me tape pas les tibias contre les poteaux » (Cyril Benzaquen, kick-boxeur)

Les enceintes garnies: une habitude en Top 14. La Ligue nationale de rugby (LNR) a révélé que le record d'affluence après 21 journées, déjà battu la saison dernière, était de nouveau tombé. « Depuis le début de la saison 2023-2024, ce sont 2,2 millions de spectateurs qui se sont rendus dans les stades [environ 15000 spectateurs par match], en hausse de 3,5 % par rapport à la saison passée », s'enorgueillit l'institution. L'Union Bordeaux-Bègles (UBB) survole la mêlée, avec 27 656 spectateurs de moyenne. Toulouse (19 823) et Toulon (17 276) suivent. Oyonnax (9164) ferme la marche. « Il y a à peine plus de vingt ans, le championnat s'appelait Élite 1 et il y avait 5000 spectateurs en moyenne », se souvient le cofondateur de l'Observatoire du sport business, Vincent Chaudel. Une manière de souligner que la progression est forte et n'allait pas de soi. Le basculement des moyennes agglomérations vers les grandes villes en tant que places fortes n'explique pas tout. Les deux représentants franciliens, le Racing 92 (11583 spectateurs) et le Stade français (13006), attirent moins de public que Perpignan (13463).

« L'élément important pour donner de la valeur à une compétition, c'est un spectacle incertain », Christophe Lepetit, économiste

Le format du championnat, assez resserré pour offrir du suspense à tous les étages, est une explication plus convaincante. Mais pas nouvelle: le Top 14 est né en 2005. Même chose pour les horaires des matchs, propices aux après-midi entre amis ou en famille. Dopée par l'effet Coupe du monde, l'attractivité de l'équipe de France et de ses stars, Antoine Dupont en tête, est plus récente. Comme l'est la puissance financière du Top 14. « La grande différence avec le football, c'est que les stars du rugby mondial sont dans notre championnat », souligne Christophe Lepetit, du Centre de droit et d'économie du sport (CDES). À l'image du double champion du monde sud-africain Siya Kolisi, recruté par le Racing 92. Qui hébergera aussi l'Anglais Owen Farrell la saison prochaine, agrandissant de manière spectaculaire la colonie anglaise.

Ces grands champions permettent de proposer un spectacle de qualité. Auquel Canal+ offre une vitrine que la Ligue 1 peut jalouser. En froid avec la Ligue de football professionnel, la chaîne du groupe Vivendi verse 121,6 millions d'euros par saison pour l'intégralité des droits du Top 14 et de la Pro D2, dix fois plus qu'il y a vingt-cinq ans. Selon L'Équipe, la LNR, qui a lancé son appel d'offres début avril pour la période 2027-2031, vise 130 millions d'euros minimum - réponse dans dix jours. Canal ne manque pas une occasion de se réjouir des audiences : le dernier UBB-Toulouse a réuni 726 000 téléspectateurs, alors qu'un match de L1, désormais reléguée sur Canal+ Foot, tourne autour de 300000.

Pour l'économiste Christophe Lepetit, cette popularité a surtout une explication structurelle : « La régulation mise en place par la LNR depuis le début des années 2010. » À commencer par le salary cap, qui « a empêché les grandes fortunes de constituer une armada invincible tuant tout suspense et permis aux talents de se répartir de manière homogène ». « Or, poursuit-il, en économie du sport, l'élément important pour donner de la valeur à une compétition, c'est qu'elle propose un spectacle incertain. » La régulation a toutefois ses limites. Les deux leaders actuels disposent des plus gros budgets (45 millions d'euros pour le Stade français, 46 millions pour Toulouse), alors que la lanterne rouge, Oyonnax, a le plus limité (17 millions).

La règle imposant la présence sur la pelouse de joueurs issus des filières de formation (Jiff) est un autre élément structurant. Facteur d'équilibre sportif, il permet dans le même temps aux fans de s'identifier à leurs équipes. « Les clubs ont su travailler autour de leur ancrage "terroir" pour faire grandir leurs communautés », applaudit Emmanuel Eschalier, directeur général de la LNR. La Rochelle, quatrième affluence du Top 14 (16739 spectateurs), est un cas d'école. Le club a fidélisé son public et élargi sa zone de chalandise. Se procurer un billet à Marcel-Deflandre relève désormais de l'exploit. « La Rochelle a appris à connaître son public et a réussi à fournir un service à la hauteur, reprend Christophe Lepetit. Le sport est associé à la qualité de vie. Si vous voulez que les spectateurs reviennent, il faut éviter de leur imposer une queue de quarante-cinq minutes à la buvette pour un mauvais sandwich et une bière tiède. »

D'autres ont réussi leur mue, poussés par la LNR et son « label stade », moins gadget que son nom pourrait le laisser penser. En contrepartie de critères à remplir (qualité d'accueil, vue sur la pelouse, confort des sièges, animations, signalétique...), les clubs se partagent près de 5 millions d'euros chaque saison. « On n'a pas de logique punitive, mais la carotte est très incitative », souligne Emmanuel Eschalier. Tous jouent donc le jeu des labels (or, argent, bronze) pour tenir leurs budgets. Entre 2010 et 2020, les stades ont en moyenne augmenté leur capacité de 6000 sièges, gagné 30 % de places hospitalités et doublé la puissance d'éclairage.

Les doublons avec les matchs du XV de France, qui privent les spectateurs du Top 14 des internationaux, et les équipes B trop souvent envoyées jouer les matchs considérés comme perdus d'avance indiquent que le Top 14 possède une marge de progression. Autre fragilité : son modèle repose souvent sur des mécènes. Il bénéficie enfin d'une très faible concurrence mondiale. Seul le Japon offre de meilleurs salaires. À moins que le championnat anglais ne s'extirpe très vite de la crise qui l'a plombé, cela pourrait durer.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.