Top 14 : Pourquoi la vague anglaise continue de déferler

Le championnat de France aimante les internationaux britanniques. Transféré au Racing 92, Owen Farrell rejoindra une colonie toujours plus fournie.
Owen Farrell
Owen Farrell (Crédits : © Andrew SURMA/SIPA USA)

Ce n'est pas un coup de grâce, mais c'est un gros coup. L'arrivée d'Owen Farrell au Racing 92 donne une ampleur symbolique à l'exode anglais vers le Top 14, constaté depuis dix-huit mois. Parce qu'il s'agit du capitaine du XV de la Rose lors de la dernière Coupe du monde, sous contrat fédéral même s'il a annoncé mettre sa carrière internationale entre parenthèses. Parce qu'il devait encore un an à son club (Saracens) et que les indemnités de transfert ne sont pas la norme au rugby, même si elles se banalisent. Ce n'est pas tout. Une dizaine de ses compatriotes sont pressentis pour traverser la Manche cet été.

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« Certains sont en contact, d'autres ont déjà signé », indique Christian Abt, directeur général de l'agence CSM Sport & Entertainment, mastodonte qui gère notamment les intérêts de Jamie George, qui vient d'hériter du brassard, et de Kyle Sinckler, annoncé à Toulon en compagnie de Lewis Ludlam. Les nouveaux venus rejoindront la vingtaine d'Anglais déjà présents dans douze clubs de l'élite française. « Il y a déjà eu un exode à l'époque Jonny Wilkinson [2009-2014], mais dans ces proportions c'est inédit », reprend Christian Abt, qui prédit que le phénomène « va continuer pendant un moment ». Plusieurs facteurs l'expliquent, mais le principal est économique. Le Covid a secoué un édifice déjà fragile : les clubs anglais n'ont pas été accompagnés comme en France. Les droits télé sont moins élevés, les affluences plus faibles.

En 2022, trois écuries ont mis la clé sous la porte, dont les Wasps. Plus de cent joueurs à recaser. Et des finances à soigner en priorité au sein d'une Premiership détenue à 27 % par le fonds CVC. « L'appétence des clubs français vient d'un phénomène d'opportunité, resitue l'agent français Damien Dussault. Ils ont accès à une main-d'œuvre moins chère qu'il y a deux ou trois ans. »

Même de retour la saison prochaine à ce qu'il était avant la pandémie (7,5 millions d'euros), le salary cap est plus restrictif que dans l'Hexagone, où il a été gelé (10,7 millions d'euros) et devrait même être réajusté. Sur un joueur, le marquee player, « les clubs anglais sont capables de dépenser beaucoup », rappelle Philippe Saint-André, conseiller de Montpellier, citant l'ex-Racingman Finn Russell, parti toucher plus de 1 million par an à Bath. Reste que le salaire médian tourne autour de 10 000 euros par mois quand il dépasse 15 000 en Top 14. « Les clubs français proposent des salaires plus lucratifs », abonde Christian Abt. Ils règlent aussi les commissions d'agent et rachètent donc les contrats au besoin.

Cadre de vie agréable

Pour Thomas Lombard, directeur général du Stade français, « la démarche n'est pas mercantile », mais l'horizon économique incertain pousse au départ. Il n'y a que dix clubs professionnels en Angleterre. Trois fois moins qu'en France, qui concentre 40 % des joueurs pros dans le monde. Patron de la Ligue, René Bouscatel se réjouit de l'attractivité du Top 14, sorte de pendant de la Premier League dans le football, mais pas de « la mauvaise santé des autres » : « On est protégés grâce au dispositif Jiff [joueurs issus de la filière de formation], mais il reste de la place. Tout est une question de mesure. Je préfère que les joueurs qui font la richesse du rugby d'un pays restent dans ce pays. » Des garde-fous sont à l'étude pour éviter les « dérives ».

L'Angleterre a les siens. La Fédération (RFU) impose que ses internationaux évoluent dans le championnat national et abonde désormais au salaire de ses stars. Maro Itoje a prolongé aux Saracens alors qu'il sondait le marché français. Zach Mercer a dû rentrer. « Renoncer à l'équipe nationale, c'est très rare, souligne Thomas Lombard. Si Joe Marchant nous a rejoints, c'est qu'il n'était plus appelé et qu'il a pris le risque de ne plus jamais l'être. Mais la décision a été difficile. » Celle de l'espoir Henry Arundell de prolonger avec le Racing 92 et de renoncer à la Rose pendant trois ans a interpellé. Un cas à part ?

Beaucoup d'internationaux arrivent en fin de cycle. La France leur offre des contrats stables, un cadre de vie agréable et un championnat compétitif. « Tout ça est conjoncturel, tranche Philippe Saint-André, qui a entraîné neuf ans outre-Manche. Les Anglais ont déjà commencé à resserrer les boulons. » Thomas Lombard estime, lui, que la RFU va assouplir sa position mais prévient : « La crise de 2008 avait déjà affecté les clubs anglais et ils avaient très vite rebondi. Il ne faut pas les enterrer, ils ont de la ressource. » La première phase de la Champions Cup, avec six clubs sur huit qualifiés, en fournit la preuve.

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