Revue

Planète : réparer les dégats

Les entreprises ont pris conscience qu’elles ne pouvaient rester inertes face à la dégradation de l’environnement qui menace nos sociétés, et donc leur existence même. Individuellement ou collectivement, elles se mettent en ordre de marche pour faire baisser leur empreinte carbone, mieux respecter la biodiversité et réduire leur impact négatif. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°4 Avril 2021)
(Crédits : DR)

La crise sanitaire a eu beaucoup d'effets secondaires. L'un d'entre eux, et non des moindres, c'est la prise de conscience que tout est lié, la déforestation et la destruction de l'habitat des espèces sauvages, suivies de zoonoses puis d'épidémies. Les États réagissent depuis quelques années en organisant les COP (Conférences des Parties) dont l'édition 2015 à Paris (COP21), a sonné la charge contre le dérèglement climatique. Le gouvernement a fixé la feuille de route : atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui sous-entend une réduction de 4,5 % des émissions de CO2 par an, soit 7 à 11 tonnes par Français selon les modes de calcul. Est-ce possible ? Peut-être, mais certainement pas sans les entreprises. Pour Fred Vargas, écrivaine très sensibilisée aux questions environnementales, « l'inaction des gouvernants est accablante et relève de l'inconscience. L'espoir vient donc d'ailleurs : des citoyens informés et des entreprises engagées ». Celles-ci ont mis du temps à se mettre en ordre de bataille, écartelées entre leurs devoirs vis-à-vis des parties prenantes - salariés, fournisseurs, prestataires, actionnaires - et l'exigence devenue criante de réduire leur impact sur la planète. EpE (Entreprises pour l'Environnement), créée en 1992 et présidée par Jean-Laurent Bonnafé, président-directeur général de BNP Paribas, est une association de grands groupes (mais pas un lobby) qui s'engagent à améliorer leur empreinte carbone et éliminer leurs externalités négatives (quand un agent économique provoque par son activité des effets négatifs sur la société). L'association vient par exemple de publier la brochure Solutions des entreprises pour la biodiversité : changer d'échelle pour partager les bonnes pratiques entre ses 56 membres, soit une bonne moitié du CAC 4O, des entreprises publiques et des cabinets comme Deloitte ou le BCG. EpE fait aussi partie d'act4nature international, composé d'entreprises, de réseaux d'entreprises, d'ONG environnementales et d'organismes scientifiques. Enfin, l'association a commandé l'étude ZEN 2050 (zéro émission nette) qui propose 14 recommandations pour atteindre l'objectif fixé par les pouvoirs publics. Mais l'urgence est là et les entreprises doivent accélérer.

Pour Jean-Dominique Senard, président de Renault et ex-président d'EpE, « plus la transformation sera tardive, plus elle sera pénible et coûteuse ». « Les entreprises d'EpE sont conscientes de leur impact sur l'environnement et considèrent que s'occuper de ces questions est un progrès, une opportunité et peut-être même un moteur stratégique de leur développement » ajoute Claire Tutenuit, déléguée générale de l'association.

D'autant que les jeunes générations renâclent de plus en plus à travailler pour des groupes qui ne seraient pas environmentally friendly, comme le rappelle Guillaume Charlin, directeur du BCG Paris : « Avec plus de deux tiers des étudiants des grandes écoles françaises qui considèrent aujourd'hui que les entreprises ne sont tout simplement pas engagées, la demi-mesure et le greenwashing n'ont pas leur place ». De jeunes chefs d'entreprise Millennials accompagnent cette évolution à travers le Mouvement Impact France qui veut réunir sous sa bannière toutes les entreprises et les acteurs économiques qui s'engagent dans la transition sociale et écologique. Jean Moreau, cofondateur de Phenix ; Julie Chapon, cofondatrice de Yuka ; Thomas Huriez, fondateur de 1083 ou Guillaume Gibault, fondateur de Le Slip Français sont les figures de proue de ce mouvement d'entrepreneurs trentenaires engagés. Ils sont soutenus par des investisseurs comme Marc Menasé avec son fonds Founders Future qui va consacrer plusieurs dizaines de millions d'euros aux jeunes entreprises à impact.

ONG et consommateurs, tous mobilisés

Du côté de la société civile, citoyens et consommateurs réclament un engagement plus prononcé des entreprises au bénéfice de la société. Selon le Baromètre des Territoires 2019 de l'Institut Montaigne et Elabe, 61 % des Français leur prêtent le pouvoir « de changer le monde dans lequel on vit ». Et d'après l'étude de Brighthouse « The Pandemic Is Heightening Environmental Awareness » (la pandémie accroît la sensibilité aux questions d'environnement) de juillet 2020, pas moins de 88 % des Français estiment que les entreprises doivent faire plus pour l'environnement. « La demande des consommateurs pour plus d'engagement est parfois théorique. Dans la pratique, tous voudraient une transition sans effort financier, comme la voiture électrique au prix de la voiture thermique. Or, le marché du VE (véhicule électrique) est très subventionné, il n'existe pour l'instant que grâce aux aides publiques » tempère Claire Tutenuit. Autre exemple de la dissonance cognitive des consommateurs : ils plébiscitent recyclage et économie circulaire mais continuent d'acheter majoritairement des produits neufs. Résultat : Remade, qui reconditionne des smartphones et était présentée comme une pépite à fort potentiel il y a cinq ans, est aujourd'hui en grande difficulté. Comment concilier impératif financier, réalité du business et réduction de son empreinte carbone, surtout quand on appartient à un secteur polluant comme l'énergie, l'automobile ou la chimie ? Si l'étape de la prise de conscience est clairement franchie, reste à matérialiser ces bonnes résolutions. Les ONG sont là pour rappeler aux entreprises leurs obligations envers la planète. Pour Jean-François Julliard, ancien secrétaire général de Reporters Sans Frontières et directeur général de Greenpeace France, celles-ci n'en font clairement pas assez : « Tous les indicateurs sont dans le rouge. Et les entreprises sont responsables d'une bonne partie des activités polluantes ». La situation n'est pas homogène, entre la PME en région et le groupe international dont l'activité est nocive pour la nature. Mais enjoindre les industriels de stopper leur activité ou de la réformer en profondeur comme le fait Greenpeace n'est pas audible pour ces entreprises. Pour certains secteurs, en revanche, les ONG peuvent influer sur l'action des sociétés. « En 2018, nous avons lancé la campagne Detox My Fashion pour que les marques de prêt-à-porter éliminent un certain nombre de molécules chimiques de leur chaîne de fabrication. Beaucoup ont pris des engagements et les résultats ont été mesurés » illustre le directeur général de Greenpeace France. Jean-François Julliard admet la diversité du monde de l'entreprise, tout en soulignant que, si certaines ont des démarches sincères, d'autres font beaucoup de communication comme les projets de reforestation via leur fondation : « Planter des arbres, c'est bien. Mais c'est loin de suffire à compenser les effets négatifs générés par la production de biens ou l'extraction de carburants fossiles ». Bien qu'opposées sur le fond, ONG et entreprises peuvent néanmoins collaborer dans certains cas, particulièrement quand ces dernières s'adressent aux consommateurs finaux et doivent soigner leur image. Greenpeace l'a fait avec la grande distribution dans le cadre de la réduction de l'utilisation des pesticides. « On s'est rendu compte que la grande distribution avait un rôle clé dans la chaîne d'alimentation. Nous avons lancé la Course Zéro Pesticide pour classer les enseignes en fonction de leur engagement sur cette question. Comme c'est un secteur très concurrentiel, cette émulation a bien fonctionné » évoque Jean-François Julliard. Mais il pense que l'autorégulation en matière de lutte contre l'environnement ne suffit pas et réclame des contraintes réglementaires : « Nous proposons que les entreprises qui ne respectent pas leurs propres engagements de réduction de gaz à effet de serre ne puissent pas reverser leurs dividendes aux actionnaires ». Une mesure drastique qui a peu de chance de voir le jour.

Entreprises à mission

Et si la solution passait par une évolution de la nature même des entreprises ? La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a offert la possibilité de modifier la définition de l'objet social de l'entreprise pour se doter d'une raison d'être, c'est-à-dire la manière dont elle entend jouer un rôle dans la société au-delà de sa seule activité économique (lire notre article page 34, ndlr). « Apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète » pour la SNCF, « Devenir leader de la transition alimentaire pour tous » pour Carrefour, « Construire un avenir énergétique neutre en CO2 conciliant préservation de la planète, bien-être et développement » pour EDF ou encore « Contribuer au progrès humain, en s'inscrivant résolument dans les Objectifs de Développement Durable définis par l'ONU » pour Veolia : la raison d'être des grands groupes est devenue plus large que la simple recherche de profit. Même si celui-ci reste le cœur de leur activité, puisque sans bénéfices, pas de développement ni de rentabilité et donc pas d'entreprise. La loi Pacte a donné naissance à la nouvelle catégorie des entreprises à mission, qui désirent contribuer à l'édification d'une société plus juste et plus durable. Cette mission est d'ordre social et/ou environnemental, et elle est intégrée aux statuts de la société et à la gouvernance de l'entreprise. Son exécution fait l'objet d'un suivi par un Comité de Mission et d'un contrôle par un organisme tiers indépendant. La Communauté des Entreprises à Mission, association de loi 1901 créée en 2018, en recense 180, dont quelques poids lourds comme Danone, la Maif ou le Crédit Mutuel, mais surtout des PME et des start-up. La communauté vient d'élire son premier conseil d'administration avec à sa tête Emery Jacquillat, président de la Camif. Ce pionnier du e-commerce, avec le lancement de Matelsom en 1995, a repris en 2009 la Camif, vépéciste au modèle vieillissant. Désormais site de vente d'équipements de la maison « made in France, locaux et durables » et labellisé B Corp (certification octroyée aux sociétés commerciales répondant à des exigences sociétales et environnementales), le groupe Camif Matelsom a été en 2017 une des premières entreprises françaises à inscrire son objet social étendu dans ses statuts.

Pour Emery Jacquillat, « on assiste à l'émergence de diverses formes d'engagement des entreprises, comme les sociétés à mission. Or, l'entreprise est le levier le plus puissant de transformation de la société, si tant est qu'elle se soucie un peu plus des questions sociales et environnementales ».

Pour ce quadragénaire, nous sommes la première génération à savoir que nos modes de vie, de consommation, de production, de déplacement sont une menace pour la survie même de l'humanité, et la dernière à pouvoir agir avant que la situation ne nous échappe. « À plus court terme, il y a aussi un enjeu de performance pour l'entreprise. Nous sommes installés à Niort, la ville des mutuelles. Si demain les crises climatiques ou sanitaires comme celle que nous vivons se multiplient, cela va peser sur les comptes de ces mutuelles et par ricochet sur la ville de Niort qui va souffrir » prédit le président de la Camif. Pour réconcilier profit et engagement, l'entreprise doit voir à court terme, en surveillant son Ebitda (bénéfice avant impôts et taxes), et à long terme quand il s'agit d'impact social et environnemental. « Peut-on être rentable et s'intéresser à la planète ? La réponse est oui, si vous regardez à cinq ans. » Pour le pionnier du e-commerce, l'engagement des entreprises passe d'abord par un renoncement. Comme l'a fait la Camif en refusant de participer au Black Friday, jour de surconsommation massive. Après avoir perdu de l'argent trois ans de suite, Camif a fait 44 % de croissance en 2020. La patience paye. Emery Jacquillat est persuadé que les consommateurs se tournent de plus en plus vers les entreprises engagées : « Nous avons lancé Camif Edition, des produits durables codesignés avec des experts de l'économie circulaire. Ils créent une triple valeur : économique, pour nous et nos fabricants, mais aussi sociale et environnementale. C'est la preuve qu'on peut faire du business et avoir de l'impact ». Mais si les PME possèdent la souplesse et l'agilité pour remplir leur mission sociétale, les grands paquebots que sont les groupes internationaux ont plus de mal à changer de cap. Au risque de voir l'iceberg trop tard et de disparaître. Conclusion du patron engagé : « Il n'y a pas d'entreprise en bonne santé sans une planète en bonne santé ».

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°4 - S'engager et agir - Avril 2021 - Découvrez la version papier

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