Inès Leonarduzzi, sur le front de la pollution numérique

Elle a été l’une des premières à nous alerter sur les dangers de la pollution numérique, enjeu encore mal connu et dont l’impact est sous-estimé. Pour sensibiliser politiques et entreprises à cet ennemi invisible mais bien réel, Inès Leonarduzzi a créé l’ONG Digital for The Planet qui alerte et conseille les décideurs du monde entier. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°6 Octobre 2021)
Inès Leonarduzzi, fondatrice de Digital For The Planet
Inès Leonarduzzi, fondatrice de Digital For The Planet (Crédits : DR)

À chaque envoi de mail, 20 g de CO2 sont générés. Une requête Google, ce sont 5 g de ce gaz à effet de serre relâchés dans l'atmosphère. Ces gestes banals, répétés des milliards de fois chaque seconde, constituent une bonne partie de la pollution numérique, avec le streaming audio et vidéo et le stockage dans le cloud. Bien qu'il soit invisible et paraisse immatériel, Internet fonctionne avec des infrastructures bien réelles, comme les data centers qui consomment énormément d'eau pour leur refroidissement. D'après l'Ademe (Agence de la transition énergétique), le numérique est responsable de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et la forte augmentation des usages laisse présager un doublement de cette empreinte carbone d'ici 2025. Les infrastructures réseau et les data centers sont responsables de 53 % de ces émissions qui ne font que croître en même temps que les échanges de données (+ 25 % par an).

La crise sanitaire a fait exploser le recours au télétravail et le e-commerce, ce qui n'arrange pas les choses. Le collectif d'experts indépendants Green IT a édité en début d'année une étude baptisée « iNum » qui porte sur les impacts environnementaux du numérique en France. Les chiffres y sont éloquents. Chaque année, chacun d'entre nous utilise 3 100 kWh d'énergie primaire (disponible dans la nature avant toute transformation), 9 700 litres d'eau douce et génère 420 kg de gaz à effet de serre par son utilisation des outils digitaux. Ce qui, par jour, équivaut respectivement à un radiateur électrique de 1 000 watts allumé pendant 8 heures, 9 litres d'eau et 6 kilomètres parcourus en voiture. « Au rythme actuel, le numérique sera considéré comme une ressource critique non renouvelable d'ici une à deux générations » avertissent les experts de Green IT. Et même si cette pollution numérique reste faible, comparée à celle de secteurs comme le transport ou l'industrie, sa croissance exponentielle et son caractère invisible constituent un danger qui doit être pris au sérieux.

Digitale passion

Mettre en garde sur ce danger invisible est l'objectif premier de l'ONG Digital for The Planet créée en 2017 par Inès Leonarduzzi. Mais avant de se lancer dans son combat contre la pollution digitale, cette entrepreneuse née avait déjà vécu plusieurs vies en une. En 2009, c'est une jeune femme de 22 ans, diplômée en lettres et en mandarin qui part à New York suivre une formation de management du marché de l'art, avant de s'envoler vers Hong Kong pour créer sa start-up Rouge Moon. « Nous mettions en relation des artistes émergents et des collectionneurs via la réalité virtuelle » explique Inès Leonarduzzi. C'est son premier vrai contact avec l'univers digital, une passion contractée dès l'enfance quand elle reçoit son premier ordinateur avec lequel elle se connecte des heures sur les forums et les blogs. De retour en France, un an plus tard, elle intègre la maison Dior. Une « très belle maison » qu'elle quitte néanmoins rapidement pour voler de ses propres ailes et devenir consultante en numérique via sa société, la « Jeune Inès ». Rapidement, le bouche-à-oreille marche très fort. « Je ne suis pas ingénieur, mais je suis ingénieuse. Mes valeurs sont le sérieux, la discrétion et le travail » analyse-t-elle. Elle pourrait ajouter à ces qualités l'art de la mise en relation. Sous l'influence de ses amis qui lui reprochent de ne plus la voir, elle lance les Brunchs By Inès dans son appartement parisien. Des déjeuners dominicaux qui ont lieu une fois par mois et où chacun amène une personne de son choix. Un succès que les personnalités et artistes ne manqueront pas d'honorer.

Les trois formes de pollution numérique

Et puis, un an plus tard, lors d'une randonnée dans les Alpes italiennes, la jeune femme reçoit une notification commerciale sur son smartphone. Elle prend alors conscience de l'impossibilité de couper les liens avec le numérique, même à 3 500 m d'altitude ; elle commence à s'informer et découvre avec stupeur l'ampleur de l'impact négatif du digital. Elle décide alors de se battre pour réconcilier numérique et écologie. Et comme toujours, Inès Leonarduzzi ne fait pas les choses à moitié : elle vend son appartement et réinvestit tout son argent dans son projet d'ONG Digital For The Planet.

« Tout était à faire. Je me souviens d'une personne venue me dire après une heure de conférence : « Mademoiselle, je n'ai toujours pas compris comment un mail peut polluer ». Le cerveau humain n'est pas câblé pour ressentir un danger que ses sens ne peuvent pas percevoir » explique la trentenaire.

Au départ, l'accueil est très mitigé et les commentaires peu amènes : épiphénomène, non sujet, pas de business à faire. Mais elle s'accroche à ses convictions. Son discours s'articule autour de trois axes : la pollution numérique environnementale, la pollution numérique intellectuelle et la pollution numérique sociétale. La première traite de la manière dont le digital impacte l'environnement. La deuxième concerne l'influence du numérique sur nos capacités cognitives (addiction, troubles du sommeil). Et la troisième, la façon dont ces technologies effritent les fondements de nos sociétés, comme la démocratie, les libertés individuelles et le vivre ensemble. Une vision globale qu'elle développe longuement dans son livre Réparer le futur, Du numérique à l'écologie paru en février dernier aux Éditions de l'Observatoire. « L'enjeu des enjeux, c'est le cerveau. Si je n'arrive pas à déclencher un déclic dans votre esprit, toutes mes explications n'auront aucune influence sur votre comportement. » L'ONG agit autour de trois axes : des formations citoyennes, un accompagnement des entreprises dans leurs projets numériques et un « lobbyisme éthique » auprès du gouvernement. « Nous avons contribué à la loi économie circulaire dans laquelle nous avons réussi à inclure les enjeux du numérique. Et nous avons pu faire adopter un amendement à la loi climat et résilience sur l'enseignement du numérique dès l'école primaire qui débutera en 2022 ». Les équipes de Digital for The Planet sont aussi présentes à Bruxelles et dans d'autres pays européens. Parallèlement, Inès Leonarduzzi multiplie les conférences de Harvard à Tokyo en passant par Tel-Aviv et Hanoi. Éditorialiste au Figaro, professeure invitée à Télécom Paris Tech, HEC et au College of Technology à Londres, elle trouve encore le temps d'écrire : « J'ai une trentaine de romans inachevés dans mon tiroir » annonce-t-elle en riant. Ses trucs pour réduire son empreinte carbone numérique : allonger la durée de vie de ses appareils électroniques et les recycler dans les points de collecte, et opter pour le Wi-Fi qui consomme jusqu'à 24 fois moins que la 4G, surtout pour les activités qui utilisent beaucoup de bande passante comme le streaming et le gaming. « On peut aussi débrancher sa box la nuit et la rebrancher le matin. C'est parfaitement indolore et peut générer une économie de 100 € par an et par famille. » Au niveau global, lnès Leonarduzzi réclame des États Généraux du Numérique. « C'est par micro-étapes que nous irons dans la bonne direction. Mais il faudra plus qu'une dizaine de personnes pour y arriver. C'est pourquoi nous voulons rallier le plus possible de forces vives autour de notre mission » conclut l'entrepreneuse activiste.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°6 - PLANETE MON AMOUR - Réparons les dégâts ! Octobre  2021 - Découvrez la version papier

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Commentaire 1
à écrit le 16/12/2021 à 11:56
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Face à la pollution agro-industrielle et industrielle la pollution dite numérique fait franchement rigoler. Alors ertes pour une fois c'est bien d'anticiper mais sans combattre farouchement ces deux premières cela ne servira strictement à rien si ce ...

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