Longtime : le label citoyen contre l’obsolescence programmée

Deux Toulousains ont monté un label européen pour permettre aux consommateurs d’identifier les produits conçus pour durer. Une initiative lancée par deux simples citoyens et qui est suivie de très près par le gouvernement et les industriels. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°6 Octobre 2021)
Elsa Lomont et Florent Preguesuelo, fondateurs de Longtime
Elsa Lomont et Florent Preguesuelo, fondateurs de Longtime (Crédits : Rémi Benoit)

« Un jour, je suis entré dans une grande surface de bricolage. Je me suis dit que je voudrais un label sur les bonnes perceuses. Pour mes courses quotidiennes, je regardais déjà les labels pour les produits issus de l'agriculture biologique. Alors, pourquoi ne pas s'appuyer sur ces outils-là pour essayer de faire quelque chose de similaire sur les produits manufacturés ? », lance Florent Preguesuelo.

Imaginé par des consommateurs pour des consommateurs

Pourtant ce Toulousain n'avait aucune expérience en la matière. Titulaire d'un bac en génie mécanique, il a été infirmier pendant dix ans. À l'occasion d'une rencontre fortuite dans une colocation, Florent Preguesuelo fait la connaissance d'Elsa Lomont. Passée par une école de commerce, elle a monté, à peine diplômée, un paintball avec une amie d'enfance. « Ce qui m'anime, c'est de créer des projets de A à Z. Florent m'a demandé comment on montait une boîte et m'a parlé de son idée de label. Ça me paraissait tellement ambitieux que cela me donnait un peu le vertige », se remémore-t-elle.

L'aventure a véritablement démarré en 2017 quand les deux Toulousains commencent à démarcher des organismes de certification. Ces derniers leur confient qu'ils avaient déjà essayé de monter un tel label, sans succès. « À la grande différence des organismes qui avaient adopté une démarche scientifique, la force de notre label Longtime réside dans le fait qu'il a été pensé par des citoyens et qu'il est très lié à la réalité au quotidien », estime Elsa Lomont. « Ce n'est pas l'industrie du textile qui a sorti un label sur le coton. Ce sont des consommateurs qui ont imaginé un label sur les produits manufacturés », abonde Florent Preguesuelo. Une démarche citoyenne qui fait écho au succès de Yuka, l'application permettant de scanner les aliments au supermarché pour en connaître la composition.

Une vingtaine de produits labellisés

Quatre ans après le lancement de l'initiative, le label Longtime existe bel et bien et a déjà été apposé sur une vingtaine de produits et six marques dont de grands noms de l'électroménager comme Seb ou Whirlpool.

Pour décrocher le label, les fabricants doivent respecter 41 critères répartis en trois piliers. Tout d'abord, le produit doit être conçu pour assurer une longévité, autrement dit, être fabriqué avec des matériaux robustes. Le deuxième pilier est celui de la réparabilité : les pièces détachées pour remettre en état le produit doivent être disponibles pendant une longue durée (10 ans, par exemple, pour un aspirateur) et le prix de la réparation ne doit pas être excessif. Le troisième pilier est lié au contrôle des conditions de garantie et de service après-vente. Ce cahier des charges a été établi par Ethikis, la Scop montée par les deux Toulousains pour créer le label. Mais ce sont deux organismes indépendants (Ecocert et Apave Certification) qui se chargent de réaliser l'audit auprès de chaque entreprise candidate. Le fabricant doit ensuite débourser « quelques milliers d'euros » par an pour utiliser le logo sur ses produits. Le premier à décrocher le sésame est la PME toulousaine XP Metal Detectors, leader français des détecteurs de métaux. « Sur ce type de produit, il y a une grande vulnérabilité du fil électrique qui permet de faire remonter les informations de ce qui a été détecté au sol. Le fil usagé signe la fin de vie du produit. Le fabricant a développé un détecteur sans fil qui envoie les informations par radio pour contourner ce problème et allonger la durée de vie du produit », explique Elsa Lomont.

Surtout, Rowenta, marque appartenant au mastodonte français de l'électroménager Seb, affiche le logo Longtime sur l'un des aspirateurs de sa gamme.  « En réalisant une analyse sectorielle, nous avons relevé des pièces vulnérables sur les aspirateurs de la même famille : enrouleur, roulettes, fixation du sac. Il s'avère que l'aspirateur Rowenta a été contrôlé conforme à nos exigences de qualité », poursuit-elle.

Depuis, le groupe américain Whirlpool a également labellisé une partie de ses fours et espère bientôt auditer des lave-linges. Parmi les autres marques à avoir décroché le précieux label figurent le presse-agrumes du fabricant lyonnais Santos, mascotte des bars et restaurants car il a la réputation d'être très robuste. La PME a également la particularité de fabriquer en France, en faisant appel à des fournisseurs de proximité, ce qui facilite la réparation des pièces.

Un œil de consommateur pour éviter le greenwashing

De nouveaux produits seront certifiés sur le dernier trimestre. « Chaque fois que l'on labellise une marque, cela donne envie à de nouveaux industriels de nous contacter. Nous essayons aussi de nous ouvrir à de nouveaux segments comme la puériculture et l'outillage. L'idée est d'atteindre la centaine de produits en 2024 », poursuit Elsa Lomont. Mais comment envisager un développement exponentiel sans perdre la force du label ?  « Avoir toutes les machines d'une même famille de produits labellisées n'aurait pas de sens. C'est la raison pour laquelle des révisions sont prévues au minimum tous les trois ans, fait savoir la cofondatrice. Nous gardons notre œil de consommateur pour exiger de la qualité et ne pas être dans du greenwashing. Les industriels montrent beaucoup d'intérêt mais s'inquiètent aussi de savoir s'ils peuvent remplir tous les critères. C'est exactement le mécanisme que nous recherchons. Qu'ils améliorent au maximum leurs pratiques pour l'obtenir. »

Au-delà des industriels, la démarche Longtime a également tapé dans l'œil du gouvernement. Dès 2017, le label est lauréat du concours Mon projet pour la planète soutenu par l'ADEME. « Je me suis retrouvée au ministère devant Nicolas Hulot. Cela nous a ouvert beaucoup de portes », se souvient Elsa Lomont. Fin 2018, les deux Toulousains rejoignent un groupe de travail sur l'instauration d'un indice réparabilité en France au milieu des principales fédérations d'industriels. Depuis le 1er janvier 2021, les fabricants doivent apposer cet indice sur cinq familles de produits en France, à savoir les lave-linges, les télévisions, les smartphones, les ordinateurs et les tondeuses électriques. Et ce n'est pas fini. Les autorités françaises planchent sur un indice de durabilité à l'horizon 2024 qui prendrait en compte en plus la durée de vie des produits. « Nous observons un véritable retournement de marché. Les consommateurs veulent des produits durables et les fabricants voient qu'ils vont devoir s'adapter », ajoute Elsa Lomont. De quoi promettre un bel avenir au label toulousain qui l'imagine au-delà des frontières de l'Hexagone. À la rentrée, les Toulousains comptent commencer à déployer Longtime au niveau européen. Des contacts avec Business France ont permis d'envisager un lancement en Allemagne et en Italie. « Si la France est pionnière avec son indice réparabilité, d'autres pays européens sont concernés par ces enjeux. L'Italie est par exemple très sensible à l'économie circulaire, à la disponibilité des pièces détachées », remarque Florent Preguesuelo. Partir à la conquête de l'Europe et pourquoi pas un jour du monde entier. « Après tout, il n'y a pas de frontières sur ces enjeux », conclut Elsa Lomont.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°6 - PLANETE MON AMOUR - Réparons les dégâts ! Octobre  2021 - Découvrez la version papier

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Commentaire 1
à écrit le 25/09/2023 à 17:02
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Excellente initiative qui ne demande effectivement qu'à être déployée à l'échelle européenne.

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