Rachel Delacour, l’exploratrice anti-carbone

Elle veut agir pour la planète. Contribuer à la réduction de l’empreinte carbone des entreprises. Alors Rachel Delacour a créé Sweep à Montpellier, et propose aux entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre un outil pour piloter vertueusement leur stratégie climatique. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°6 Octobre 2021)
Rachel Delacour, fondatrice de Sweep à Montpellier
Rachel Delacour, fondatrice de Sweep à Montpellier (Crédits : DR)

Albert Einstein disait : « Notre époque se caractérise par la profusion des moyens et la confusion des intentions. » Sans se référer spécifiquement à l'illustre physicien, Rachel Delacour a elle aussi fait ce constat en observant les mises en garde récurrentes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et les piètres résultats auxquels l'humanité parvient poussivement. L'entrepreneuse montpelliéraine de 41 ans, qui aujourd'hui a choisi de vivre sur les plages landaises de l'Atlantique, a créé Sweep en juin 2020 à Montpellier. La start-up développe un outil digital pour permettre aux entreprises de piloter leur stratégie climatique et réduire leur empreinte carbone. « Je ne suis pas d'une génération née avec une conscience écologique, je faisais le minimum, souligne-t-elle avec honnêteté. Je me suis éduquée sur le sujet, et ce qui m'a choquée, c'est que les solutions existent mais qu'on n'y arrive pas. » De ce constat est née l'idée. De l'idée, l'entreprise.

Il faut dire que Rachel Delacour n'en est pas à son coup d'essai entrepreneurial. Salariée, elle observe que les outils de business intelligence ne sont pas aussi efficients qu'elle l'aimerait. Avec son mari Nicolas Raspal, ingénieur, elle décide de créer cet outil. On est en 2009 à Montpellier et l'entreprise We Are Cloud est née, développant BIME Analytics, un outil d'analyse de données en cloud. En octobre 2015, l'Américain Zendesk rachète BIME Analytics pour 45 millions de dollars... Rachel Delacour et Nicolas Raspal resteront dans l'entreprise jusqu'à fin 2018. Entretemps, fin 2017, la jeune femme a été nommée coprésidente de France Digitale, l'alliance des entrepreneurs et investisseurs du numérique en France, aux côtés de Jean-David Chamboredon. « J'ai adoré la création de valeur, se dire qu'on peut démarrer dans une chambre d'étudiant et avoir une histoire internationale grâce au digital, se souvient-elle. Quand Zendesk nous a contactés, l'entreprise comptait 40 salariés, dont 15 aux États-Unis. Nous avons eu un coup de cœur pour leur projet. On intégrait une entreprise qui nous faisait faire un pas de géant en termes de pensée, de croissance ! Ça vous injecte de l'intelligence à forte dose et on apprend à vitesse grand V ! »

« Nous n'avons pas de baguette magique mais... »

Quand elle quitte Zendesk, Rachel Delacour décide « de prendre une année off » pour s'occuper de ses deux enfants, se ressourcer. « J'en ai profité pour faire des choses qui m'intéressaient, notamment une formation en accéléré à l'université spatiale internationale de Strasbourg pour comprendre l'économie du new space, la médecine dans l'espace... J'ai énormément lu, renoué avec famille et amis, voyagé. Je voulais m'ouvrir l'esprit. J'ai aussi investi dans des start-ups. » Cette passionnée de digital fait aussi un pas de côté pour voir ce qui se passe dans le monde. Et ce qu'elle voit, c'est cette conscience écologique grandissante.

« Je suis montée en charge sur les gros sujets anxiogènes comme le réchauffement climatique, et j'ai vu que ce qui se voulait vertueux, comme le protocole de Kyoto, ne fonctionnait pas, que des ponts ne se faisaient pas alors que le temps est compté ! Nous ne sommes pas des scientifiques, nous n'avons pas de baguette magique, mais on sait faire du digital, s'entourer et parler à des entreprises. Nous n'avions pas le droit de créer autre chose qu'une entreprise à impact. »

La création de Sweep s'inscrit avec un timing parfait dans le contexte écologique mondial. Aujourd'hui, la dirigeante liste les questions qui l'ont amenée à Sweep : « Il y a des gens qui participent à l'équation de la neutralité carbone mondiale mais comment on démontre le potentiel économique de ces projets et on maximise leur chance de survie ? Comment on apporte les flux financiers jusque dans la poche de ces porteurs de projets ? Comment on implique les entreprises qui n'ont plus le choix car elles sont responsables du réchauffement climatique ? » Avec Sweep, elle s'adresse aux entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre. Grâce à sa base de 15 000 facteurs d'émissions, Sweep leur permet de mesurer et cartographier leurs sources d'émissions par marques, produits, départements ou implantations géographiques afin de faciliter le suivi et la hiérarchisation de leur empreinte carbone et celle de toute leur chaîne de valeur, et leur donne accès à une marketplace de projets de réduction et de séquestration d'émissions carbone partout dans le monde. « Le digital est un levier formidable pour raccourcir les process, diffuser la culture carbone, doter l'entreprise d'une comptabilité », pointe la dirigeante.

Convaincue des bienfaits du collectif (« ça empêche les barrières intellectuelles d'arriver trop tôt », dit-elle), Rachel Delacour a cofondé Sweep avec son alter ego et mari, mais aussi avec Raphaël Gueller et Yannick Chaze, experts en ingénierie logicielle et creative-design. « Je connais Rachel depuis 2008 quand elle se posait des questions sur l'organisation de la donnée et les systèmes décisionnels avant de créer We Are Cloud, témoigne Anne Laurent, enseignante-chercheuse à l'université de Montpellier-Polytech et chercheuse au LIRMM (Laboratoire d'informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier). J'avais vu dans la démarche quelque chose d'audacieux et de précurseur, elle allait contre le courant, ce qui s'est ensuite avéré être la bonne direction. Elle est très à l'écoute des bonnes personnes, et elle sait foncer quand elle est convaincue. Elle nourrit sa certitude de son expérience et elle a une vision plus large que la vision franco-française. » Avant de se lancer, l'entrepreneuse s'est entourée. D'experts carbone pour commencer, comme Renaud Bettin. Cofondateur, chez Carbone 4, de Net Zero Initiative, référentiel de contribution des organisations à la neutralité carbone, Renaud Bettin parle de « coup de foudre professionnel » : « J'étais bien chez Carbone 4 mais très vite, j'ai proposé de rejoindre l'équipe de Rachel ». En juillet 2020, il est le premier salarié de Sweep. Car après avoir bien sécurisé tous les aspects, Rachel Delacour a foncé. La plateforme est opérationnelle depuis mai 2021.

Celles qui ont compris le risque réputationnel

Les cheveux courts, le regard bleu pétillant et déterminé, un franc sourire. Rachel Delacour envoie au premier coup d'œil l'image d'une entrepreneuse volontaire, posée et confiante. Elle a l'assurance de ceux qui ont suffisamment bordé leur projet pour savoir où ils vont tout en étant capables de réajuster la trajectoire... Car si sa démarche est extrêmement construite, la dirigeante sait déconstruire s'il le faut. « Elle est positive et rassurante, c'est une leader dans ce qu'il y a de plus beau, avec elle, on se sent en confiance, assure Renaud Bettin. C'est une exploratrice ! Elle regarde dans les angles morts, questionne beaucoup. » Un portrait confirmé par Yannick Chaze, qui, en tant qu'ancien salarié de We Are Cloud, la connaît depuis longtemps : « C'est une acharnée du travail, une battante ! Elle comprend vite, sait déléguer, est très respectueuse de l'éthique, et a un vrai sens des responsabilités. » Un défaut ? « Comme chez un artiste, dans l'instinct et la souplesse, il y a de la légèreté, et elle a ce côté artiste, ce qui peut être déroutant », confie Renaud Bettin, qui s'exclame toutefois « j'ai hâte de vivre l'avenir avec elle ! ». Anne Laurent confirme ce leadership : « Elle donne envie de monter dans le train ».

Le 1er juillet dernier, le Conseil d'État a demandé au gouvernement de prendre toutes les mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre. « Toutes les entreprises ne sont pas encore concernées par une obligation stricte de baisse des émissions carbonées, commente Rachel Delacour. Nous proposons Sweep à celles qui anticipent la législation à venir et qui ont déjà compris le risque réputationnel de ne rien faire, avant même le couperet de la loi. Il est toujours difficile pour un gouvernement de prendre des décisions quand le marché n'est pas structuré. Nous espérons faire partie de ces acteurs qui faciliteront et accéléreront ces virages législatifs en donnant aux entreprises les moyens de s'y conformer. » La dirigeante regarde déjà loin. Dans dix ans ? Sans prétention outrageuse, elle répond, confiante : « Sweep sera la plateforme de référence pour l'alignement de neutralité carbone mondiale ».

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°6 - PLANETE MON AMOUR - Réparons les dégâts ! Octobre  2021 - Découvrez la version papier

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