Le billet vert aura-t-il bientôt son double numérique ? C'est du moins ce que souhaitent plusieurs parlementaires démocrates américains. Menés par Stephen Lynch, élu du Massachusetts à la Chambre des représentants, ils viennent d'introduire une proposition de loi, le Electronic Currency and Secure Hardware (ECASH) Act, qui conduirait le Département du Trésor à tester l'usage d'une « version électronique » du dollar.
Si la loi est votée (ce qui reste très incertain, les démocrates n'ayant qu'une très courte majorité législative, face à un parti républicain peu coopératif), elle entraînerait la mise en œuvre par le Département du Trésor d'un Electronic Currency Innovation Program (ECIP). Celui-ci serait ensuite chargé de superviser une série de projets pilotes expérimentant l'usage d'un « e-cash », une monnaie virtuelle émise par le Département du Trésor, qui pourrait être utilisée sans passer par l'intermédiaire des banques. Les tests seraient déployés au maximum 90 jours après le passage de la loi, et la monnaie virtuelle devrait être rendue accessible au public sous un délai de quatre ans.
Reproduire l'argent liquide sur la toile
Le e-cash sera conçu pour être facile d'utilisation, afin d'être le plus inclusif possible, les soutiens démocrates de la loi ayant à cœur d'en faire une monnaie accessible à tous. Deux personnes pourraient ainsi s'échanger facilement des e-cash en tapant leur téléphone l'un contre l'autre, et la monnaie devra également être facilement utilisable dans le commerce de détail, sur le modèle offert par le paiement sans contact. L'idée est aussi de permettre d'envoyer des e-cash à distance par messages sécurisés.
L'originalité du e-cash tient en partie au fait qu'il ne s'agirait pas d'une cryptomonnaie, comme le bitcoin. Ainsi, la loi stipule que le dispositif doit permettre des échanges monétaires de pair à pair « sans passer par un registre commun ou distribué » et générer « un minimum de données transactionnelles » (là où la blockchain Bitcoin rend toutes les transactions publiques). L'idée est de conserver la confidentialité, la facilité d'utilisation et l'absence de frais de transaction qui caractérisent l'argent liquide, mais en s'affranchissant simplement du billet physique.
Et ainsi d'ouvrir les monnaies virtuelles à un public peu familier avec le numérique (la où les cryptomonnaiess exigent une certaine familiarité avec la technologie) ou à qui la traçabilité de la Blockchain peut faire peur pour diverses raisons (même si le système est pseudonyme, la Blockchain maintient en effet un registre public et permanent des transactions).
En sachant, et c'est également en cela que le projet est original, que l'objet n'est pas non plus de remplacer l'argent liquide, mais d'offrir une complémentarité par rapport à celui-ci, toujours dans cette logique d'inclusivité. « L'argent liquide reste notre meilleur outil pour permettre d'intégrer tout le monde au système financier tout en préservant l'anonymat et la sécurité de chacun », a ainsi affirmé Jesús "Chuy" García, élu de l'Illinois à la Chambre des représentants et soutien de la loi, lors dans une déclaration publique. « Les nouveaux outils numériques devraient s'en inspirer, et non le remplacer. »
Là où la dématérialisation des paiements est souvent vue comme une manière de se passer du liquide, le ECASH Act propose ainsi de les réconcilier. Après avoir tenté de se débarrasser de l'argent liquide, la Suède a récemment fait machine arrière après s'être rendu compte qu'une telle évolution menaçait de laisser en arrière une partie de la population et donc de creuser les inégalités sociales.
Une volonté de rester à la pointe de l'innovation sur les paiements
Que la loi soit finalement votée ou non, elle s'inscrit dans un changement de ton général à Washington quant aux monnaies numériques. Pas plus tard qu'en juillet 2021, Randal Quarles, alors vice-président de la Fed, affirmait qu'un dollar numérique « poserait des risques concrets et significatifs » sans apporter beaucoup de bénéfices. Début 2022, la banque centrale américaine a effectué un virage à 180 degrés, avec un papier dans lequel elle affirmait qu'un dollar numérique pourrait au contraire permettre des transferts d'argent plus rapide, ainsi que l'intégration au système bancaire de personnes qui en sont aujourd'hui exclues. Elle travaille désormais à son propre projet de dollar numérique sur la Blockchain. Le e-cash pourrait venir en complément de ce dernier, puisqu'il serait géré par le Département du Trésor et non par la Fed.
Début mars, Joe Biden a également inclus l'idée d'une monnaie virtuelle émise par la banque centrale dans son décret présidentiel visant à réguler les cryptomonnaies. Là encore, une rupture avec son prédécesseur, Donald Trump, qui avait à plusieurs reprises critiqué les monnaies numériques durant sa présidence.
Le changement d'attitude des autorités américaines ne s'explique toutefois pas seulement par le changement d'administration, mais aussi par la prise de conscience du fait que l'attitude conservatrice du pays risquait de lui faire rater la prochaine révolution dans le domaine des paiements, notamment face à l'Union européenne et à la Chine. « Les États-Unis sont en train de perdre la course pour décider du futur de la monnaie, ce qui pourrait sonner le glas de la suprématie du dollar », prévenait ainsi Time Magazine en septembre dernier. L'Union européenne prévoit en effet de proposer un euro numérique d'ici 2023, et l'Empire du Milieu a lancé un programme pilote de e-yuan en janvier.
« Alors que les paiements et monnaies virtuels continuent de gagner rapidement du terrain, et que la Russie, la Chine et 90 autres pays dans le monde expérimentent avec certaines formes de monnaies numériques émises par les banques centrales, il est capital que les États-Unis demeurent le champion mondial de la mise en œuvre et de la régulation de ces monnaies virtuelles », a ainsi affirmé Stephen Lynch, qui se trouve derrière le ECASH Act, lors d'une déclaration publique. Un objectif dans lequel les élus républicains pourront sans doute se retrouver.
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