A mesure que la menace d'un encadrement plus strict des cryptomonnaies se précise aux Etats-Unis, les acteurs de ce secteur en plein essor de la finance dite décentralisée préparent leur riposte.
Cette contre-attaque, à l'instar de la guerre d'influence menée par les géants issus de la première vague du Web 2.0, Google, Facebook et consorts, se concrétise dans des actions de lobbying auprès des décideurs politiques. Ainsi, en 2021, les entreprises américaines qui font commerce de cryptomonnaies auraient dépensé au total 4,9 millions de dollars, soit le double sur un an (+116%), selon le média spécialisé Finbold.
Trois acteurs concentrent l'essentiel des dépenses
Ainsi, la plateforme Robinhood est la championne, avec 1,35 million de dollars l'an passé. Elle est suivie par Ripple Labs (900.000 dollars), récemment l'objet de poursuites judiciaires de la SEC (Security and exchange commission), et par le nouveau géant des échanges de crypto Coinbase (790.000 dollars de dépenses). Ces trois acteurs phares, lancés en 2012 et 2013, représentent donc l'essentiel des investissements en lobbying du secteur.
En cumulé, sur la période de cinq ans analysée par ce cabinet, le montant des dépenses en lobbying atteint 9,5 millions de dollars pour toutes les entreprises. Par comparaison, sur une seule année, et à lui seul, le lobbying d'Alphabet, maison-mère du moteur de recherche, a pesé 9,6 millions de de dollars (+27% par rapport à 2020), selon les informations du Sénat américain citées par Reuters. En 2018, ses dépenses d'influence avaient même culminé à 20 millions de dollars pour défendre les intérêts du géant, en pleine vague antitrust. Ces montants ne comprennent pas évidemment les actions de soutien aux hommes politiques, ni les dépenses juridiques de ces groupes.
Mais tout comme les GAFA qui promettaient de révolutionner à leur époque le monde de la communication et de l'information, ces nouveaux acteurs promeuvent l'avènement d'un nouveau monde, celui du Web 3.0, ou de l'Internet des monnaies. A l'aube des univers virtuels promis dans les "Metaverses", ces dépenses sont donc vouées à croître face aux risques de régulation. « Avec l'incertitude qui règne autour de la régulation des cryptomonnaies, les acteurs en place tentent de s'aligner avec les politiques sur une offre afin d'établir un environnement favorable », commente Finbold.
Convertir le marché
En parallèle du lobbying, tout l'enjeu pour ces entreprises est de continuer à séduire de nouveaux utilisateurs de cryptomonnaies, parmi plus de 12.000 actifs numériques. Si le marché n'a pas encore atteint la dimension des usages de masse, il pèse déjà 2.100 milliards de dollars de capitalisation, (contre plus de 3.000 milliards à son apogée en novembre), selon CoinGecko.
Aux Etats-Unis, les acteurs de la cryptomonnaies scrutent avec attention les fais et gestes du gendarme américain de la Bourse et de son patron Gary Gensler. Nommé il y un an, cet ancien banquier de Goldman Sachs, spécialiste des cryptomonnaies, a jusqu'ici plutôt tenté de ménager d'un côté le "laissez-faire" propre à la culture entrepreneuriale américaine, de l'autre, la pression des élus pour contrôler et potentiellement taxer davantage ces actifs.
Facebook cède à la pression
Mais, pour l'heure, de nombreux représentants politiques voient en effet d'un mauvais œil la croissance de ces nouvelles plateformes d'échanges, accusées de favoriser les transferts d'argent illicites. Facebook, rebaptisé Meta, l'a compris récemment à ses dépens. Aguerri au lobbying, le géant californien vient pourtant de céder face aux incertitudes quant à la régulation de son projet de cyrptomonnaie, le Diem, qu'il développait à travers une association basée en Suisse.
A l'inverse, au Salvador, le président salvadorien Nayib Bukele a légalisé l'usage du bitcoin pour les achats du quotidien. Il fait depuis face au Fonds monétaire international (FMI) et à des représentants américains qui condamnent l'adoption du bitcoin.
Lobbying de stars
Aussi, en plus du lobbying souterrain pro-cryptomonnaies moins visible pour influencer les politiques, ces nouvelles plateformes d'échanges comptent sur une influence "mainstream" pour gagner en popularité. Figure de proue de ces chantres du monde décentralisé, Elon Musk, le patron de Tesla et de SpaceX, dont les prises de positions volontairement décalées pour les cryptomonnaies se répandent comme une trainée de poudre.
Ces nouvelles entreprises se payent aussi des stars du sport, telles le joueur de football Neymar et la joueuse de tennis Serena Williams qui ont affiché sur les réseaux sociaux leur appartenance au "Bored Ape Yacht Club", un club fermé de détenteurs de NFT, les non fungibles tokens qui apportent un certificat de propriété sur un objet numérique grâce à la blockchain.
Autre signe qui ne trompe pas, les entreprises des cryptomonnaies font leur entrée cette année parmi les annonceurs de l'édition du Super Bowl 2022. De quoi augmenter encore la notoriété de ces actifs auprès du grand public. À la fin du premier semestre 2021, 221 millions de personnes dans le monde détenaient des cryptomonnaies, un nombre qui a plus que doublé par rapport à janvier (106 millions), selon une étude de la Bourse spécialisée crypto.com.
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ZOOM : Les Etats haussent encore le ton face aux cryptomonnaies
Dans le monde, le lobbying des entreprises du secteur est d'autant plus pressant que les Etats tendent à se fermer à ces nouveaux actifs pour ne pas perdre le pouvoir de battre monnaie. En Russie, la Banque centrale russe a publié cette semaine un rapport proposant l'interdiction du minage, concourant à la création des cryptoactifs, ainsi que des investissements et paiements en cryptomonnaies dans le pays.
Sur ce sujet, la Chine et l'Inde ont déjà sévi pour freiner l'adoption.
En Europe, l'Union européenne prévoit d'encadrer d'avantage ces actifs avec les directives du Digital Services Act et du Digital Markets Act, dite MiCA, dont l'entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2023.
Enfin, en Grande-Bretagne, le gouvernement compte faire voter une loi pour que les publicités qui promeuvent ces actifs numériques soient régulées par le gendarme britannique de la publicité (Advertising standard authority, ASA), comme c'est déjà le cas, mais aussi par celui des marchés (Financial conduct authority, FCA). Ainsi, deux publicités du club de football d'Arsenal pour son "fan token", une cryptomonnaie, ont été interdites par un régulateur. En septembre, la FCA avait souligné le danger représenté par les publicités sur les réseaux sociaux, mentionnant notamment une publicité de la star Kim Kardashian quelques mois plus tôt sur Instagram.
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