Alan Fustec, le châtelain de la low-tech

De son château réinventé en haut lieu de la low-tech, Alan Fustec a créé, en famille, un véritable laboratoire innovant et propose aux entreprises des solutions pour accélérer leur transformation écologique et sociale. Reportage à Brélidy. (Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
A Brélidy, non loin de Paimpol, Alan Fustec a imaginé un château nouvelle génération. A Kerlotec, place à la basse technologie et la sobriété expliquées aux entreprises.
A Brélidy, non loin de Paimpol, Alan Fustec a imaginé un château nouvelle génération. A Kerlotec, place à la basse technologie et la sobriété expliquées aux entreprises. (Crédits : Laurent Guizard / Leextra pour La Tribune)

Le contraste est saisissant, des pionniers du futur vivent dans un château du XVIe siècle. C'est une route escarpée qui mène au château de Brélidy, situé à une quinzaine de kilomètres de Guingamp. En arrivant devant la bâtisse, le poids de l'histoire est présent. Comme un voyage dans le temps. Très vite, pourtant, la découverte de l'entreprise Kerlotec prend des allures de voyage dans le futur. Un autre futur. Un futur qui laisse de la place au vivant. Un futur qui remet en question les présupposés. Un futur réinventé.

Ce futur, c'est celui qu'Alan Fustec façonne depuis le milieu des années 1990, lorsqu'il créa le premier département de développement durable au sein de l'entreprise dans laquelle il travaillait. Fondateur de Kerlotec après avoir été le créateur de Goodwill-management, ce cabinet de conseil en transition écologique, inventeur de différents indicateurs de mesure de l'impact environnemental des entreprises, et père de LUCIE, agence environnementale à l'origine de l'indicateur ISO 26000, Alan Fustec considère que ce projet « Kerlotec » est le « troisième étage de sa fusée ». Une fusée qui a « pour ambition de faire prendre conscience à tous et à chacun du besoin crucial de changement de philosophie quant à l'approche de l'économie et du système dans lequel nous vivons ».

« Avec Kerlotec, je réponds à l'objection que j'entendais régulièrement alors que je distillais des conseils aux entreprises sur la façon de réduire leur impact en décélérant et en organisant les choses autrement qui consistaient à dire "vous avez raison, mais ce n'est pas possible". Ici, poursuit Fustec, nous démontrons l'inverse. »

Fondé en 2018, après qu'il a revendu Goodwill tout en y gardant une place, le projet Kerlotec est un projet singulier qui repose sur trois piliers. D'abord une activité de formation, de conseil et d'accompagnement des entreprises dans leur transition environnementale, mais aussi une ferme en permaculture dont les récoltes sont vendues dans les marchés alentour et dont l'approche se veut raisonnée et tournée vers le bio et le retour à une saisonnalité des légumes mais aussi à des légumes oubliés. Le troisième pilier du projet Kerlotec consiste à inscrire l'entreprise dans l'écosystème local et dans la participation à la vie locale avec la création d'un festival de musique - le Skeafestival - mais aussi la participation à des projets de réinsertion avec un bateau qui sert de lieu de croisière pour des publics considérés en difficulté, comme des anciens détenus par exemple. Enfin, cela se matérialise aussi par la location de chambres d'hôtes et par un studio d'enregistrement situé dans la chapelle du château.

« Ces trois piliers sont la matérialisation de la philosophie du projet Kerlotec qui est un écosystème de recherche et d'innovation destiné à préparer les entreprises au monde qui vient et contribuer à inventer les solutions de demain », affirme Alan Fustec. Et d'ajouter : « Dans ce projet, il y a la nécessaire éducation aux enjeux et à l'urgence de la transformation, mais il y a aussi la démonstration que la low-tech, cela fonctionne et cela donne des résultats. »

Il faut convenir que l'architecture et les solutions trouvées par les équipes de Kerlotec animées par Alan sont passionnantes. Pompes à chaleur, centrale de production d'énergie neutre en carbone, phyto-épuration, murs recouverts d'un enduit où la chaux et le chanvre sont mélangés afin de faire un meilleur isolant, ventilateurs dynamo qui, posés sur un poêle à bois, diffusent plus largement la chaleur etc.

S'inspirer du passé pour créer demain

« La low-tech, c'est avant tout une démarche. C'est se demander si une solution moins chère, moins impactante pour l'environnement n'existe pas. C'est toujours tenter de réduire la complexité des choses », confie Alan. Et d'ajouter : « J'aime prendre l'exemple du sèche-mains Dyson. C'est pratique, certes, mais est-ce vraiment moins pratique que des serviettes et surtout quelle est l'empreinte écologique de ces deux solutions. La low-tech consiste à se poser en permanence ces questions-là. »

Cherchant toujours à convaincre, Alan renchérit : « Les ressources vont se raréfier, nous allons devoir réapprendre à vivre avec un tout petit peu moins de confort afin de pouvoir continuer à habiter sur la planète. La solution ne viendra pas du "technosolutionnisme", mais d'un ensemble de voies à explorer. La low-tech en fait partie. » Il poursuit : « La low-tech n'est pas une approche morale, ni un dogme, c'est l'une des cordes à notre arc si l'on veut inverser la tendance de l'urgence climatique. Le juge de paix que nous devons adopter est celui de l'impact environnemental de nos activités. »

Ainsi, par exemple, sur la motte médiévale qui se situe sur le domaine, le choix a été fait de laisser les chèvres faire le travail de tonte des mauvaises herbes. Pour ne pas mécaniser les choses. « Cela fonctionne parfaitement », assure Alan.

Déambuler sur les terres du château de Brélidy, et découvrir le projet Kerlotec c'est osciller en permanence entre les « enseignements oubliés du passé », mais aussi s'en servir pour tracer l'avenir. Du passé qui tend vers l'avenir en quelque sorte. Du passé qui permet de créer demain.

Alors que la journée s'étire et que le repas - totalement bio - est servi comme lors des séminaires d'entreprise qui se tiennent environ dix fois par an actuellement, la discussion avec l'ensemble de la famille Fustec s'attarde justement sur les directions générales qui viennent en séminaire. « En général, cela dure trois jours. Le premier est dédié à la prise de conscience, le deuxième à ausculter les avantages et les inconvénients de leur façon de faire. Le troisième à élaborer un plan d'action », détaille Timothée Fustec, le troisième fils d'Alan, ingénieur agronome comme lui, qui a pris en charge la direction générale de cette activité de formation et de conseil, sous la houlette de son père.

Un projet familial

Travailler en famille, c'est l'autre particularité du projet. Aux côtés d'Alan, sa femme, Armelle, elle aussi ingénieure agronome. Elle a cofondé Kerlotec avec son mari, et dirige aujourd'hui le château. « Toute la famille s'est retrouvée autour du sens donné à cette approche. » D'ailleurs chacun de ces pionniers a rejoint le paquebot Kerlotec après avoir changé son propre cap professionnel.

Ainsi, Alan a revendu Goodwill (même s'il y a gardé un pied) pour Kerlotec car « il se demandait comment faire plus et mieux et comment être encore plus aligné avec ses convictions », Timothée a d'abord travaillé dans l'économie sociale et solidaire en région parisienne, il voulait « faire ses armes et ses classes ailleurs » avant de rejoindre l'épopée familiale. « J'ai hésité avant de franchir le pas. Le Covid m'a fait accélérer ma décision », explique Timothé. « Voyant les choses se mettre en place j'ai compris que si je ne franchissais pas le pas dès le début, cela serait plus difficile ensuite », ajoute le benjamin Fustec.

Nathan, lui, a quitté son métier d'ingénieur du son à Londres au moment du Brexit pour venir s'occuper de la partie studio du projet. Enfin, Laëtitia, la belle-fille d'Alan, marié à Gaëtan, son troisième fils, a pris à bras-le-corps l'activité fermière avec une associée : Rachel.

« Je suis ingénieure, je travaillais dans la promotion immobilière et je remplissais des tableurs. J'en ai eu assez, aussi quand le projet familial a commencé à se dessiner, j'ai saisi l'opportunité », raconte Laëtitia. Ainsi, elle a suivi une formation pour comprendre les enjeux agricoles ainsi qu'une certification diplômante pour la permaculture. « Je suis alignée avec mes valeurs et avec Rachel mon associée nous avons plein de projets. » Notamment d'un jardin médiéval qui permet un roulement scientifique des cultures. Une première en France. Un passé tourné vers l'avenir, toujours.

Alors que la journée se termine, Alan Fustec partage à nouveau son inquiétude. Celle des chiffres objectifs qui démontrent à quel point l'économie mondiale « va droit dans le mur si elle n'inverse pas la tendance ». Il montre les courbes de l'urgence, les modélisations sur la raréfaction des ressources, et la date du jour du dépassement (lorsque l'on a consommé l'ensemble des ressources que la planète peut fournir en un an, NDLR) qui n'en finit pas de s'inscrire plus tôt dans l'année. Il déplore les réglementations absurdes qui mettent des bâtons dans les roues de ceux qui veulent faire différemment et cite en exemple la kyrielle d'autorisations nécessaires à l'érection d'un hangar avec des panneaux solaires sur ses propres terres. « Un jour j'écrirai un livre sur cette maladie française du règlement » rit-il, jaune. Agacé et inquiet, il est aussi militant et rêveur. Il vante la possibilité de « créativité soustractive » qui consiste à voir si l'on peut faire « la même chose avec moins ».  Et d'affirmer : « Tous les outils sont devant nous. Tous les constats aussi. Il faudra rompre avec un certain néolibéralisme, pour revenir à un libéralisme raisonné. Mais nous ne vivrons pas moins bien. En revanche, si nous ne faisons rien, alors cela en sera terminé. »

Avant de quitter le château, Timothée choisit de faire un tour du domaine. Tout au long du chemin qu'il fait aussi avec les dirigeants d'entreprise qu'il forme, il a créé des installations naturelles qui symbolisent les constats et les courbes dont Alan a parlé quelques instants auparavant. Ou comment l'espèce humaine doit s'inscrire différemment dans le vivant. Sous peine de ne plus pouvoir vivre du tout. Une approche visuelle et technique montrée non pas grâce à des écrans sophistiqués mais avec des morceaux de bois. Quand on disait que la low-tech avait de l'avenir.

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Commentaire 1
à écrit le 01/07/2023 à 9:50
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Il ne faut pas que la sobriété soit un retour dans le passé mais bel et bien une nouvelle société à inventer l'accompagnant de nouvelles valeurs et pas d'anciennes, arrêtons l'éternel recommencement svp merci, pour ma part je me méfierais toujours de...

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