Chute des valorisations, rachat de Twitter, guerre du cloud... L'incroyable année 2022 de la tech

RETROSPECTIVE. 2022 aura été une année de chamboulement pour la tech. Les valorisations des entreprises du secteur se sont effondrées après deux années de croissance hors norme. Meta, ex-Facebook, a raté son virage vers le métavers, qui attirait pourtant tous les regards. La plateforme d'échanges de cryptomonnaies FTX s'est quant à elle complètement écroulée, et est devenue le symbole d'un écosystème des cryptos à la peine. Du côté du streaming vidéo, la fête est également finie : les plateformes, plus nombreuses que jamais, ont dû revoir leur modèle économique. Et comment ne pas parler du rachat de Twitter par Elon Musk, un véritable feuilleton déroulé sur plus de 8 mois, qui s'écrit encore. La Tribune revient pour vous sur huit événements qui ont marqué cette année.
Mark Zuckerberg décidait en octobre 2021 que son entreprise se concentrerait sur la création de métavers, avec pour ambition de faire de la réalité virtuelle (VR) un pilier de ce nouveau marché.
Mark Zuckerberg décidait en octobre 2021 que son entreprise se concentrerait sur la création de "métavers", avec pour ambition de faire de la réalité virtuelle (VR) un pilier de ce nouveau marché. (Crédits : ANDREAS GEBERT)

Retour sur Terre brutal pour la tech

Cela devait arriver. Après une décennie d'euphorie caractérisée par des valorisations de plus en plus spectaculaires et des levées de fonds démesurées pour les startups, la tech est redescendue de son nuage en 2022. Si le secteur avait triomphé grâce au Covid-19 quand le reste de l'économie s'enfonçait dans la récession, il a cette fois été emporté par la guerre en Ukraine, la crise des matières premières et de la chaîne d'approvisionnement mondiale, l'inflation galopante, la hausse des taux d'intérêts des banques centrales, la baisse des budgets alloués à la publicité en ligne, et les tensions géopolitiques.

Résultat : la tech n'est plus aussi attractive pour les investisseurs. La correction boursière a été particulièrement violente pour les géants : -65% pour Meta (maison-mère de Facebook, Instagram et WhatsApp), -49% pour Amazon, -38% pour Alphabet (maison-mère de Google), -27% pour Microsoft, et -26% pour Apple. Par ricochet, l'ensemble de l'écosystème tech a souffert de la frivolité nouvelle des investisseurs : après un premier semestre de tous les records, les levées de fonds des startups ont brusquement ralenti, en nombre comme en valeur, au deuxième semestre (voir plus bas), partout dans le monde.

Qu'attendre de 2023 ? Les analystes considèrent qu'à l'exception des cryptomonnaies, la crise de 2022 n'était pas l'effondrement d'une bulle mais simplement une violente correction après des années d'excès. Par conséquent, ils n'attendent pas un effondrement du secteur, car les fondements de la révolution numérique restent solides, ce qui signifie que la tech continuera d'être une valeur sûre. En revanche, personne ne s'attend à ce que le secteur retrouve en 2023, même en cas de forte amélioration de la situation géopolitique et économique mondiale, ses niveaux démesurés de 2021.

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Twitter racheté puis malmené par Elon Musk

Parfois, la réalité est plus folle que la fiction, et nul doute que l'année 2022 éprouvante de Twitter fera un jour l'objet d'une adaptation au cinéma ou en série. La faute à un homme, Elon Musk, entrepreneur réputé visionnaire grâce, notamment, à ses succès Tesla (véhicules électriques), SpaceX (spatial), Neuralink (implants neuronaux) ou The Boring Company (infrastructures du futur). Dès janvier, l'homme d'affaires a jeté son dévolu sur Twitter. D'abord en montant discrètement au capital, de janvier à avril, sans se déclarer. Puis, le 4 avril, tout s'est accéléré lorsqu'il est devenu, avec 9,2% des actions ordinaires, le premier investisseur du réseau social. Dans une déclaration à la SEC, le gendarme boursier américain, Elon Musk promettait d'être un actionnaire passif et n'avoir aucune intention de renverser la direction menée par Parag Agrawal, successeur depuis quelques mois de l'historique Jack Dorsey.

Las : il a suffi de quelques jours pour qu'Elon Musk rompe sa parole et passe à l'attaque. Le 14 avril, le milliardaire tombait le masque en mettant près de 44 milliards de dollars sur la table pour racheter la plateforme et la sortir de la Bourse, à un prix très avantageux de 54,20 dollars l'action, soit une plus-value importante pour les actionnaires. Le deal était accepté le 24 avril par le conseil d'administration de Twitter, ravi de trouver si bonne offre après des années d'échecs pour vendre l'entreprise. En une vingtaine de jours à peine, l'affaire était pliée.

Mais à peine l'accord scellé, Elon Musk a tout fait pour abîmer Twitter et sa direction, ce qui était là aussi un comportement inédit dans l'histoire des fusions/acquisitions. Un combat surréaliste s'engageait entre le futur acquéreur et sa cible. Alors que les valeurs tech -dont Tesla- s'effondraient brutalement sous l'effet des crises mondiales, Elon Musk voulait-il renégocier un prix d'achat devenu exorbitant ou souhaitait-il carrément rompre le deal pour faire couler un réseau social "ennemi" déjà bien mal à point ? Après deux mois de tensions, l'homme d'affaires a annoncé début juillet son intention d'annuler la vente, s'estimant floué par la direction. S'en sont suivies une série d'attaques d'une virulence extrême et un procès engagé par Twitter pour le forcer à honorer l'achat. Mais la solidité du contrat a eu raison d'Elon Musk, qui, pour s'éviter un procès perdu d'avance, a finalement plié et accepté d'acheter Twitter au prix convenu en avril de 44 milliards de dollars.

Résultat, le 28 octobre, Elon Musk est devenu le nouveau propriétaire du réseau social aux 240 millions d'utilisateurs actifs par jour. Le début du massacre. Arrivant tout sourire dans les locaux avec un évier sous le bras -jouant sur l'ambiguïté du mot "sink" (évier) et du verbe "sink" signifiant "couler"-, Elon Musk a passé le mois de novembre à détruire les fondements de l'entreprise. Après s'être octroyé les pleins pouvoirs en sortant Twitter de la Bourse et en dissolvant le conseil d'administration, Musk a renvoyé plus de 10.000 personnes, soit 80% des effectifs, lors de trois vagues de licenciement d'une extrême brutalité en autant de semaines. Ensuite, Donald Trump et plus de 80.000 comptes bannis pour appel à la haine par la précédente direction ont été réintégrés, et le nouveau patron a également tombé le masque sur la portée politique du rachat, appelant ouvertement à voter Républicain lors des élections de mi-mandat, et transformant le modèle économique de l'entreprise pour donner à n'importe qui, moyennant finances, la visibilité algorithmique qui était auparavant réservée aux médias et comptes certifiés.

2023 sera une année charnière pour Twitter, entreprise vidée de ses forces vives, très endettée, menacée par les régulateurs qui s'inquiètent de sa politique de modération, déficitaire et confrontée à la fuite de certains de ses plus gros annonceurs, alors que la publicité pèse 90% de son chiffre d'affaires actuel. Le réseau social va-t-il même survivre ? Elon Musk se veut rassurant en anticipant un chiffre d'affaires de 3 milliards de dollars en 2023 (contre 5,5 milliards) mais un résultat d'exploitation positif grâce à la baisse des coûts de masse salariale. Autre question : qui pour succéder à Elon Musk ? Le patron a annoncé son souhait de trouver un nouveau CEO "assez fou" pour reprendre le job, pour lui permettre de se concentrer sur Tesla, dont il est également le patron mais qu'il a délaissé ces derniers mois au point de déclencher une fronde des actionnaires, furieux d'avoir perdu 60% de leur valorisation depuis le mois d'avril, dont 30% depuis novembre.

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Des premiers pas ratés pour le métavers de Meta

Déjà plus d'un an que Facebook a opéré son virage stratégique en devenant Meta. Mark Zuckerberg décidait en octobre 2021 que son entreprise se concentrerait sur la création de "métavers", un terme emprunté à la science-fiction, avec pour ambition de faire de la réalité virtuelle (VR) un pilier de ce nouveau et ambitieux marché. Le groupe investissait dans cette technologie depuis 2014 et le rachat du pionnier Oculus, mais n'était pas parvenu à en faire un produit grand public, malgré un certain succès et les convictions de Zuckerberg, qui y voit "l'Internet de demain". Cependant l'engouement fût immédiat et tout un pan de l'industrie s'est engouffré dans le sillage de Meta : il était promis que les mondes virtuels révolutionneraient les usages dans le luxe, la tech, la publicité ou encore la grande distribution. Un an plus tard, la révolution n'est pas arrivée et surtout, Meta n'arrive pas à convaincre.

Si elle reste large leader des ventes de casques de VR, l'entreprise peine à peupler ses métavers, rassemblés dans la plateforme Horizon Worlds. Censée servir de démonstrateur aux possibilités illimités de la technologie, elle ne concentre que 200.000 utilisateurs actifs dans le monde, loin de l'objectif initial de Meta, fuité dans le Wall Street Journal, de 500.000 utilisateurs. Pire, la population d'Horizon ne croît plus, passant de 300.000 utilisateurs en février à moins de 200.000 vers septembre, et parmi ces derniers, seul un nombre infime exploite les outils de création à disposition. Pour couronner le tout, les premières polémiques sur le modèle économique de la plateforme apparaissent déjà, et même en interne, l'entreprise peine à fédérer ses employés autour du projet, perçu par une partie d'entre eux comme une lubie de Mark Zuckerberg.

Financièrement, le virage stratégique tourne donc au fiasco : pour chaque dollar investi dans sa branche Reality Labs -en charge des metavers-, le groupe en perd cinq. Et comme il reste très dépendant d'un marché de la publicité en ligne lourdement frappé par les turbulences économiques, il a concédé une baisse de chiffre d'affaires pour la première fois de son histoire au second trimestre. En même temps, l'entreprise ne trouve pas de parade au phénomène TikTok qui bouleverse le paysage des réseaux sociaux, et elle subit une pression constante des régulateurs, notamment en Europe où elle s'acquitte régulièrement d'amendes en millions d'euros, à l'image de l'accord à 725 million d'euros trouvé sur l'affaire Cambridge Analytica. Bilan de ces vents contraires ? Le cours en Bourse de Meta s'est effondré de 65% sur l'année, bien plus que ceux des autres géants de la tech comme Google (-38,5%), Microsoft (-28,8%) ou Apple (-28,6%). Le groupe a dû licencier une partie de ses effectifs, alors qu'il comptait recruter massivement pour construire ses métavers.

En lot de consolation, Meta peut se réjouir d'avoir réussi son noël aux Etats-Unis. Comme en 2021, l'application Meta Quest s'est hissée en haut des téléchargements de l'App Store, signe qu'un nombre significatif d'Américains a reçu un casque de VR de la marque sous le sapin, comme en 2021. Mais le phénomène reste une fois de plus restreint au marché domestique de l'entreprise. Meta a raté le décollage du métavers, et a encore bien du chemin à faire pour convaincre.

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Faillite de FTX, le monde des cryptos tremble

Sam Bankman-Fried, alias SBF, faisait partie à 30 ans des têtes d'affiche montantes de la tech américaine. Il cultivait une image de geek philanthrope, prodige de la finance, qui se retenait avec humilité d'étaler sa richesse amassée à sa plateforme d'échange de cryptomonnaies, FTX, lancée en 2019. A son pic, cette dernière revendiquait un million d'utilisateurs et le troisième plus gros volume de transaction, certes loin derrière le géant du secteur Binance. Concrètement, les utilisateurs s'en servaient comme intermédiaire pour acheter des cryptos (Bitcoin, Ether...) avec leur monnaie (euros, dollars...).

Mais début novembre novembre, cette belle histoire du secteur a tourné au cauchemar en un rien de temps. Des inquiétudes ont germé autour de l'activité d'Alameda Research, un fond d'investissement lancé par SBF rapidement qualifié de spéculatif, dont les intérêts s'entre-mêlaient avec ceux de FTX. Puis des rumeurs sur l'instabilité de la plateforme elle-même se sont répandues. Après ces premières polémiques lors desquelles la plateforme a laissé des plumes, Binance a proposé de la racheter... avant de finalement se retirer. C'était le coup de grâce pour FTX : SBF a démissionné, puis son entreprise a déclaré faillite. Ainsi s'est révélé l'ampleur de la catastrophe : FTX accuse une dette de 3,1 milliards de dollars auprès de ses 50 plus gros financiers.

John Ray III, vétéran du secteur de la finance nommé dirigeant de FTX en urgence et chargé de faire du ménage dans les comptes, a déclaré qu'il n'avait « jamais vu dans [sa] carrière un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d'une entreprise et une absence aussi flagrante d'informations financières fiables ». D'une ampleur inédite, la faillite de FTX a eu un effet de contagion auprès différents acteurs du secteurs, mais aussi sur le cours des cryptomonnaies, déjà au plus mal. Le cours des deux cryptos les plus connues et les mieux valorisées, le Bitcoin et l'Ethereum, se sont effondrés respectivement de 62% et 66% sur l'année, et même de 70,5% et 72% depuis leur pic historique de novembre 2021. L'équivalent de milliards de dollars de fortune se sont envolés.

Mais l'affaire FTX n'est pas un cas isolé, et fait suite à plusieurs histoires louches dans le secteur, qui ne s'est pas encore consolidé. Par exemple, en mai, le jeton Luna, créé par Do Kwon, une autre figure montante du secteur, perdait 99% de sa valeur en 3 jours, de 70 dollars l'unité à moins d'un centime. Résultats, ses adeptes voyaient s'envoler l'équivalent de millions d'euros. En outre, l'année 2022 a aussi été marquée par de très nombreux piratage de plateformes de crypto, avec à la clé des détournements en dizaines de millions d'euros. Cette instabilité du secteur pourrait durer quelques temps encore. Prévue pour 2024, la régulation européenne baptisée MiCA (pour Markets in Crypto Assets), pourrait déboucher sur une seconde version.

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Netflix, Disney+... Fin de l'euphorie pour le streaming vidéo

Les Français n'ont jamais eu autant de services de vidéo à la demande sur abonnement (SVoD) à leur disposition qu'en 2022. Mais la crise de croissance de Netflix en début d'année a poussé toutes les plateformes à remettre à plat leur modèle économique, pour maîtriser leurs coûts et faire face à la concurrence. Conséquences directes pour les consommateurs : une augmentation générale des prix et une expérience quelque peu dégradée (publicités, restrictions pour les téléchargements et les écrans simultanés, chasse au partage des comptes...) En 2023, la recomposition du paysage se poursuivra, et une consolidation s'amorce en France autour de Canal+, en négociations exclusives pour racheter OCS et également intéressé par Salto.

Lire aussi2023, l'année du chamboulement dans le streaming vidéo (Netflix, Canal+, OCS, Disney+...)

ChatGPT, Midjouney, Dall-E... De puissantes IA à portée de clic

Difficile de manquer le flot d'images farfelues, fantastiques ou ultraréalistes créés par des outils d'intelligence artificielle qui circule sur les réseaux sociaux depuis cet été. 2022 aura ouvert au grand public de puissants outils de génération d'images comme DALL-E 2 de OpenAI, Stable Diffusion ou encore Midjourney. Pour l'utilisateur, le fonctionnement est simple : il donne une consigne par écrit (en anglais), et le logiciel lui sort des images parmi lesquelles il n'a plus qu'à sélectionner. Ces outils n'en restent pas moins d'une grande complexité dans leur arrière-boutique, même s'ils utilisent des techniques différentes. Dalle-E, par exemple, embarque plusieurs briques de machine learning, et a été entraîné sur 3,5 milliards de paramètres. Après de premiers tests gratuits pour créer l'engouement, les éditeurs installent déjà leur modèle économique, avec une rémunération à la requête (prix par image), par forfait (prix par lot d'images), également accessible aux entreprises par des API.

Fin novembre, un autre outil d'intelligence artificielle est venu voler la vedette aux générateurs d'images : ChatGPT, un robot de discussion (chatbot) issu du puissant modèle de compréhension du langage GPT de l'entreprise OpenAI (encore eux). Capable d'écrire du code, de disserter, de tenir une discussion ou encore de faire des blagues, il a été testé par plus d'un million d'utilisateurs seulement cinq jours après sa sortie. Et rapidement, les spéculations sur ses potentielles utilisations dans le monde professionnel ont germé. Certains s'imaginent lui faire écrire des emails de marketing, d'autres s'en servir pour corriger leur code informatique, d'autres encore pour synthétiser leur veille d'information. Mais à l'heure actuelle ChatGPT reste en phase de recherche, même si l'on peut projeter que OpenAI proposera à terme un service payant via une API.

Problème : qui dit nouvelles capacités dit nouvelles dérives potentielles. Les IA sont réputées pour répéter et amplifier les biais de nos sociétés, un constat d'autant plus vrai lorsqu'elles sont nourries par de gigantesques volumes de données issues d'Internet qui n'ont pas été au préalable débarrassées de ces biais. Certes, les éditeurs mettent en place des garde-fous pour éviter que leurs outils servent à générer des images violentes, haineuses ou du contenu pour adulte, mais un doute persiste sur la solidité de ces protections.

KA-SAT, rare exemple public d'acte de cyberguerre

Le 24 février, la Russie lançait son invasion de l'Ukraine. Une heure avant le début des hostilité, une cyberattaque touchait le réseau de satellites KA-SAT, de l'entreprise américaine Viasat, qui pourvoit en Internet des milliers de clients européens. Avec pour conséquence immédiate une panne de réseau, partielle mais étalée sur plusieurs jours. En France par exemple, près de 9.000 abonnés d'Orange (via sa filiale satellitaire Nordnet) ont été privés d'Internet, tandis que 5.800 éoliennes allemandes ont été forcées à l'arrêt. Mais la cyberattaque visait avant tout l'Ukraine, l'armée du pays étant réputée pour être une utilisatrice intensive du réseau KA-SAT, avec réussite : Victor Zhora, une des têtes de la cyberdéfense ukrainienne, a qualifié la panne de « très grande perte de communication au tout début de la guerre. »

Un mois plus tard, Viasat livrait les résultats de son enquête interne. L'entreprise indiquait que les attaquants avaient réussi à prendre le contrôle des outils de gestion du réseau afin de trafiquer la mémoire des modems [les appareils chargés de convertir la connexion satellitaire en wi-fi, ndlr] des clients. Résultat, les modems pouvaient plus se reconnecter au réseau, ce qui laissait les clients sans Internet. L'entreprise a précisé que les attaquants avaient profité de la mauvaise configuration d'un VPN pour obtenir l'accès à distance aux outils de contrôle de KA-SAT et assuré qu'elle n'avait trouvé aucune trace de compromission de ses équipements et de ses logiciels. Autrement dit, il s'agissait d'une cyberattaque relativement classique dans la technique, mais avec des conséquences d'une ampleur rare.

Presque trois mois après les faits, le 10 mai, l'Union européenne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et leurs alliés ont, fait rare, attribué la cyberattaque à la Russie, en la qualifiant de « cyberattaque inacceptable, nouvelle illustration du comportement irresponsable et récurrent de la Russie dans le cyberespace, faisait également partie intégrante de son invasion illégale et injustifiée de l'Ukraine. » L'attribution d'une cyberattaque entre Etat reste extrêmement rare, encore plus de la part de l'Union Européenne, à cause des enjeux politiques et techniques que l'exercice implique. Mais KA-SAT restera le premier acte de la cyberguerre entre l'Ukraine et la Russie.

Le cloud français en plein chaos

La souveraineté a incontestablement été le mot de l'année 2022. Avec le conflit en Ukraine qui marque le retour de la guerre en Europe pour la première fois depuis 1945, le Vieux continent a brutalement réalisé l'ampleur de ses dépendances, notamment énergétiques, mais aussi numériques et technologiques. Pierre angulaire de l'économie numérique, le cloud avait fait l'objet, en 2021, d'un plan sectoriel ambitieux, présenté à l'époque comme souverain par le gouvernement français : la stratégie Cloud de confiance et sa doctrine Cloud au centre, visant à pousser les entreprises -y compris les opérateurs d'importance vitale et les administrations- à accélérer leur bascule dans le cloud pour gagner en productivité et en innovation. Problème : portée par l'ancien secrétaire d'Etat au Numérique, Cédric O, cette stratégie faisait une place royale... aux leaders actuels du marché, notamment Microsoft et Google, entraînant la fronde des acteurs français et européens du cloud, à commencer par OVHCloud ou encore Scaleway. Et des interrogations sur la souveraineté d'une telle stratégie, qui revient in fine à aider les acteurs dominants à renforcer leurs positions en France.

Mais le changement de gouvernement suite à la réélection d'Emmanuel Macron en avril 2022 a rebattu les cartes. Une étude réalisée par un cabinet d'avocat américain, à la demande du gouvernement néerlandais, a mis le feu aux poudres en août dernier. Celle-ci stipule qu'il suffit qu'une entreprise européenne vende une technologie américaine - ce qui est le cas des offres cloud de confiance avec les Gafam- pour qu'elle soit soumise au Cloud Act, sans même parler de la loi FISA. Prenant conscience de ce risque juridique, le gouvernement a donc brusquement changé son fusil d'épaule en septembre à Strasbourg, en annonçant une nouvelle initiative Numérique de confiance censée amender Cloud de confiance. Bruno Le Maire et Jean-Noël Barrot, successeur de Cédric O, ont débloqué des crédits pour aider les acteurs français à se développer et obtenir les certifications Anssi nécessaires, et ont présenté les Gafam comme des acteurs à éviter le plus possible, surtout pour les données les plus sensibles. Ce discours a fait office d'une bombe. Une guerre de lobbying et de communication s'est lancée de la part des Gafam, des entreprises françaises qui les aident à commercialiser leurs solutions (Thales, Orange et Capgemini), et des acteurs français souhaitant surfer sur le momentum. Sous la pression, l'Etat a partiellement rétropédalé, aboutissant à une situation illisible pour tout le monde... favorisant le statu quo, donc la domination des Américains.

Lire aussiCloud souverain : la stratégie du chaos

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Commentaires 4
à écrit le 30/12/2022 à 15:09
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Bonjour, Personnellement, je crois que les valeurs de ce types d'action revient a une cotation plus réaliste... Ensuite, l'arrivée de nouveaux investisseurs et le licenciement de miliers de personnes, ne donne pas envie d'investir sur des produ...

à écrit le 30/12/2022 à 11:35
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La Chine communiste va interdire les voitures Tesla de Musk, en Chine communiste donc, car dangereuses pour la sécurité nationale chinoise (une litote) contrairement à Huawei qui a été interdit aux USA et en Europe et qui ne représente aucun risque p...

à écrit le 30/12/2022 à 9:33
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"Chute des valorisations, rachat de Twitter, guerre du cloud... L'incroyable année 2022 de la tech".... Bon ne perdons pas de vue le prix des carottes, des poireaux et la possibilité de trouver des couvreurs qualifiés pour réparer les toits.

le 30/12/2022 à 15:16
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Bonjour, Pour info les couvreurs et les ouvriers du bâtiments sont tres mal payer, (11 /13 euro de l'heure) . Un travail difficile , dangereux, dans des condition climatique parfois difficile ... Donc la bonne suestion est de savoir pourquoi peux...

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