Meta : un an après, le métavers toujours bloqué sur la piste de décollage

Si le groupe de Mark Zuckerberg parvient à dominer le marché des casques de réalité virtuelle, il peine à créer des applications à succès pour son métavers, dont la fréquentation est faible. La technologie, bien que prometteuse, semble encore trop immature aux yeux des utilisateurs, ce qui fragilise Meta à court et moyen terme. Décryptage.
François Manens
Mark Zuckerberg a présenté l'apparition des jambes dans Horizon... mais la fonctionnalité n'existe pas encore.
Mark Zuckerberg a présenté l'apparition des jambes dans Horizon... mais la fonctionnalité n'existe pas encore. (Crédits : Meta Connect)

C'est un anniversaire peu festif. Dans moins de dix jours, Meta, ex-Facebook, fêtera les un an de son virage stratégique dans le métavers, marqué par son changement de nom. Le fondateur du groupe, Mark Zuckerberg, l'avait lui-même annoncé à l'occasion de la conférence annuelle Facebook Connect, et c'est de nouveau lui qui s'est présenté devant le public à l'édition suivante, renommée Meta Connect, qui se tenait la semaine dernière.

Entre ces deux événements, le cours de l'action Meta s'est effondré de 60%, frappé plus de deux fois plus fort par la crise des valeurs tech que les autres Gafam (Google, Amazon, Apple, Microsoft). Dit autrement, le groupe a perdu plus de 700 milliards de dollars de valorisation. Le changement d'identité n'explique pas à lui seul cette chute, mais il y a participé.

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Engouement marketing

Pourtant, le départ était réussi. Dans le sillage de Meta, une flopée d'entreprises de la tech, du luxe ou encore de la grande distribution ont adopté immédiatement le concept du métavers, alléchées par les nouvelles opportunités économiques promises par ce nouveau monde virtuel.

Mais la sauce n'a pas encore pris auprès du grand public, les consommateurs. Les ventes de casques de VR n'ont pas explosé comme prévu et surtout, le groupe peine à peupler ses métavers, rassemblés dans sa plateforme Horizon Worlds. Celle-ci ne fédère que 200.000 utilisateurs actifs dans le monde, une douche froide pour Meta. Résultat, pour chaque dollar investi dans sa branche Reality Labs, le groupe en perd cinq. Alors forcément, l'entreprise était attendue au tournant à sa conférence annuelle, pour voir comment elle redresserait la barre.

Le marché professionnel comme valeur refuge ?

Mark Zuckerberg a commencé avec la présentation d'un nouveau casque de VR, deux ans après celle du Quest 2, le dernier en date. Le nouvel arrivé dans la gamme de Meta s'appelle le Quest Pro, et il s'agit d'un appareil premium, qui comme son nom l'indique, s'adresse au marché professionnel et notamment aux architectes et autres ingénieurs avec des besoins de modélisation 3D. Une poignée de médias américain, dont The Verge, ont pu tester le précieux objet. A 1.499 dollars, soit près de quatre fois le prix du Quest 2, le Quest Pro intègre deux technologies très attendues. D'un côté, le « eye tracking », c'est-à-dire le suivi précis du regard grâce aux caméras, qui permet entre autres un meilleur rendu des expressions faciales. De l'autre, la réalité mixte, c'est-à-dire la possibilité de voir son environnement réel et les objets virtuels en même temps.

Le Quest Pro apporte aussi bien plus de légèreté et de confort que ses prédécesseurs, même s'il reste « plus gros qu'un masque de ski moyen ». Le Quest (2019) avait apporté d'immense progrès par rapports aux premiers modèles d'Oculus, notamment en se débarrassant du fil connecté à un ordinateur. Mais il n'en reste pas moins encombrant et relativement inconfortable pour les sessions de plusieurs heures consécutives. Malgré quelques défauts (comme la durée de la batterie), Meta frappe donc un grand coup technologique avec son Quest Pro.

En revanche, d'un point de vue stratégique, la manœuvre soulève des interrogations. Jusqu'ici, le groupe envisageait la réalité virtuelle (VR) comme un marché grand public, que le Quest était censé ouvrir avec son prix d'appel à 350 euros à sa sortie. Une tâche remplie avec un certain succès, avec des ventes estimées à 15 millions d'exemplaires et 78% de part de marché. En contrepartie, Meta laissait volontiers le marché professionnel de la VR, bien que plus ancien et mieux installé (car héritier du marché des simulateurs) à ses concurrents (HTC, Magic Leap, Valve, Varjo...). La conférence Connect marque donc une ouverture franche du marché adressé par l'entreprise vers le BtoB. Car pour accompagner son innovation produit, Meta a aussi signé des contrats avec plusieurs entreprises comme Microsoft et Accenture [avec qui il est par ailleurs lié par un immense contrat de modération, ndlr]. L'objectif : promouvoir ses différents casques comme outils d'entraînement, de création 3D, ou encore de réunions virtuelles.

Accenture a ainsi acheté 60.000 Quest 2 pour ses réunions dans son espace virtuel dédié, le « Nth floor », afin de montrer la voie à ses clients. De son côté, Microsoft a annoncé par le biais de son CEO Satya Nadella que Microsoft 365 (le nom de la suite de bureautique Office) débarquait dans Horizon. L'entreprise de Mark Zuckerberg voulait au départ attirer des utilisateurs dans la VR avec des mondes virtuels riches en interactions et des jeux vidéos. Il se tourne désormais vers les entreprises avec des suites bureautiques et des espaces de réunion.

Horizon Worlds perd déjà des utilisateurs

La raison principale de ce tournant stratégique a été révélée trois jours après la conférence par le Wall Street Journal, à partir de documents internes de Meta. Hoziron Worlds est, pour l'instant, un flop. Les chiffres du nouveau business central -dans le discours- de l'entreprise ne sont clairement pas à la hauteur des ambitions de Mark Zuckerberg. D'après le WSJ, Meta espérait 500.000 utilisateurs actifs sur Horizon Worlds à la fin de l'année, mais a dû revoir son objectif de près de moitié, à 280.000. Et pour cause : alors qu'il annonçait 300.000 utilisateurs en février, ce nombre est descendu depuis en dessous de la barre des 200.000 !

Pourtant, le logiciel s'est ouvert à l'international cet été, notamment en France. Pire, Horizon Worlds a été conçu pour que les utilisateurs s'immergent dans ses univers virtuels et y passent énormément de temps, un peu comme sur les plateformes de création d'univers Minecraft ou Roblox. Le logiciel se présente comme une application bac à sable, qui fournit aux utilisateurs des outils pour créer leurs univers et faire parler leur imagination. C'est une stratégie qui repose sur l'addiction et la monétisation du temps passé sur la plateforme, comme pour les réseaux sociaux.

Problème : les visiteurs des mondes de Horizon ne reviennent pas après leurs premiers jours de visites, ce qui crée un cercle vicieux. La majorité des mondes virtuels sont conçus pour fonctionner comme des univers sociaux interactifs, avec des jeux ou des espaces de débat : s'ils ne sont pas assez fréquentés, ils perdent en attractivité, ce qui décourage les nouveaux arrivants, et ainsi de suite... L'autre problème, c'est que moins de 1% des utilisateurs exploitent les outils de création de Horizon Worlds pour créer leur propre mini-univers. En même temps, seulement 9% des mondes créés par des utilisateurs dépassent la barre des 50 visiteurs, et la plupart restent désertés. Pour adresser en partie ce problème, Meta compte ouvrir Horizon Worlds aux personnes qui n'ont pas de casque de VR, depuis leurs smartphones et leurs ordinateurs, d'ici la fin de l'année.

Mais cette crise de fréquentation ne se limite pas à Horizon Worlds, il s'étend à tout l'écosystème VR de Meta. Toujours d'après les chiffres du Wall Street Journal, les propriétaires des casques Quest les utilisent de moins en moins, et plus de 50% des appareils sont rangés dans les placards après six mois. Or, Meta a bâti une grande partie de sa stratégie de monétisation sur le succès du magasin d'application VR -le Meta Store- accessible uniquement par les casques. A la manière d'Apple sur iPhone (avec l'App Store) ou de Google sur les smartphones Android (avec le Google Play Store), il prélève une commission -de plus de 47% !- sur les achats d'applications. Son succès est donc lié à sa capacité à entretenir un cercle vertueux où les développeurs présentent leurs apps sur le magasin pour rencontrer une audience, et où cette audience s'y rend pour y trouver un large choix. Mais le compte n'y est pas encore.

Le projet Meta est-il arrivé trop tôt ?

Face à ce constat d'échec, les soutiens de Mark Zuckerberg demandent du temps. Pour eux, la technologie n'est pas mature mais elle n'en reste pas moins prometteuse. Pour leur défense, le groupe a joué de malchance : 2022 devait être une année d'investissements massifs, mais Meta a dû revoir son budget à la baisse en raison de l'environnement économique maussade (inflation, guerre en Ukraine, problèmes logistiques, crise de la publicité...), qui l'a contraint à annuler ou à décaler une partie de ses projets et à geler les recrutements.

En revanche, le groupe a semblé dépassé par le rythme de ses propres annonces. Dernier exemple en date, l'étrange introduction des... jambes dans Horizon Worlds, lors de la conférence Connect. Et oui, pour le moment, les avatars [représentation virtuelle des utilisateurs, ndlr] dans Horizon Worlds, flottent tels des fantômes composés seulement d'un tronc avec des bras et une tête. Alors quand l'avatar de Zuckerberg a marché et même sauté pendant la conférence, il s'agissait d'une petite révolution, car au-delà de l'allure futile de cette amélioration cosmétique se trouve un véritable enjeu d'immersion.

Les utilisateurs pointent régulièrement la pauvreté graphique des univers et le manque de réalisme des avatars pour justifier leur désintérêt envers la plateforme de Meta. Sauf que dès le lendemain de la conférence, l'entreprise admettait que la fonctionnalité n'était pas encore au point. La démonstration du dirigeant était en réalité le fruit d'une simple capture de mouvement, modélisée en réalité virtuelle. De quoi s'interroger sur la véritable avancée technologique du projet, car modéliser les mouvements des jambes relève du casse-tête. Le bas du corps est le plus souvent hors du champ des capteurs du casque, à l'inverse des bras. D'ailleurs, si le casque peut en théorie suivre le mouvement des mains, la plupart des applications nécessitent l'utilisation de manettes pour gagner en précision. Bref, avec son annonce qui n'en était pas une, Meta a déçu et rappelé le manque de maturité de sa technologie.

Cette impression de projet non terminé a des conséquences. Les médias américains ont rapporté à plusieurs reprises le désintérêt des employés de Meta pour Horizon Worlds et les projets liés au métavers, perçus par une partie d'entre eux comme une lubie de Mark Zuckerberg. Ce dernier, qui voit depuis des années la réalité virtuelle comme comme la prochaine révolution technologique, « le successeur de l'internet mobile » selon ses mots, n'arrive pas à faire adhérer à sa vision. Avec son concentré de technologies, le Quest Pro pourrait faire passer la marche manquante en termes de réalisme et de confort. Mais il le fait aux dépends de l'accessibilité de la réalité virtuelle, avec son prix bien trop élevé pour le grand public.

Cette incapacité de Meta à faire réellement décoller sa technologie encore trop immature renvoie aux conditions dans lesquelles l'entreprise a annoncé son virage stratégique. Elle traversait alors un énième scandale, connu sous le nom des Facebook Files, peut-être le plus dévastateur de son histoire pourtant chargée. Le discours autour du changement d'identité apparaissait comme une fuite en avant pour Mark Zuckerberg, et sur ce point, c'est une réussite. Les yeux sont désormais rivés sur le métavers... et sur son démarrage raté.

François Manens

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Commentaires 7
à écrit le 20/10/2022 à 14:53
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Le marché est déjà pris, avec Second Life, et ceci depuis 2003

à écrit le 20/10/2022 à 13:14
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Les gens ont d'autres préoccupations que de verser dans le méta. Se loger se chauffer, manger, s'habiller toutes choses essentielles qui ont un prix en perpétuelle augmentation.

à écrit le 20/10/2022 à 13:10
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La vision financière résume le fait par : "La technologie, bien que prometteuse, semble encore trop immature aux yeux des utilisateurs" !, ;-)

à écrit le 20/10/2022 à 11:05
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Quand bien même vous avez acheté une tonnes de patates dans le métavers, vous n'avez rien. Rien ne vaut la vie réelle.

à écrit le 20/10/2022 à 10:44
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Le métavers sera un vrai succés quand la metavers CGT bloquera la metavers raffinerie.

à écrit le 20/10/2022 à 10:07
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Meta semble en faire des tartines sur son métavers, mais le métavers existe depuis bien longtemps sans Meta : tous les éditeurs de jeux vidéo qui ont créé un jeu online multijoueurs avec univers ouvert ont créé une sorte de métavers, sans parler de 2...

le 20/10/2022 à 10:27
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Il cherche comment encaisser plus via une monnaie 'locale' à son univers métaversé, mais si c'est pour ressembler à des animations vidéo déjà existantes, ça peut ne pas séduire. Pas facile de gagner plus, encore plus quand le business habituel se cal...

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