Capital-risque : la tech européenne se confronte à un « changement d'ère »

L'écosystème européen a perdu 400 milliards de dollars de valorisation en 2022, d'après le rapport sur l'état de la tech européenne d'Atomico. Les analystes font état d'un « changement d'ère » du paysage du capital-risque, mais se montrent optimistes. Pour eux, la tech européenne a démontré sa résilience et est arrivée à un nouveau niveau de maturité. Explications.
François Manens
A l'image des Gafam aux Etats-Unis, les valorisations de la tech européenne se sont aussi effondrées, à la fois sur les marchés publics et dans le privé.
A l'image des Gafam aux Etats-Unis, les valorisations de la tech européenne se sont aussi effondrées, à la fois sur les marchés publics et dans le privé. (Crédits : Yves Herman)

« Changement d'ère » pour la tech européenne. Après plus d'une décennie où le robinet des investissements coulait à flot, le débit commence à se réduire, d'après le rapport annuel du fonds britannique Atomico. La faute en grande partie au climat macro-économique maussade, entre la hausse des coûts de l'énergie, les tensions géopolitiques ou encore l'inflation.

Mais pour les auteurs du rapport, qui ont étudié les données de 41 pays européens et réalisé des sondages auprès de milliers de membres de l'écosystème européen, le secteur de la tech du Vieux continent va tout de même réussir la deuxième meilleure année de son histoire. Mieux, il semble avoir passé un test : ses fondements apparaissent comme suffisamment solides pour résister aux turbulences financières. « La nouvelle réalité économique teste les fondations de l'écosystème de financement européen qui se construit depuis 20 ans. Même si nous traversons un grand orage avec la chute des valorisations et la fermeture des fenêtres d'entrée en Bourse, la perspective à long terme est plutôt positive. L'Europe a les talents, une véritable profondeur d'investisseurs et la bonne attitude », résume auprès de La Tribune, Tom Wehmeier, co-auteur du rapport avec Sarah Guemouri.

Le deuxième semestre 2022, un avant goût de 2023

Les auteurs du rapport découpent l'année en deux. Le premier semestre (jusqu'à juin) s'est inscrit dans la continuité d'une année 2021 record, et affichait même une croissance des investissements de 4% par rapport à l'an dernier. Le début d'année en boulet de canon de la French Tech est un exemple de ce dynamisme, avec une succession de méga-levées [plus de 100 millions d'euros, ndlr] et le dépassement du cap des 25 licornes [startups valorisées à plus d'un milliard d'euros, ndlr] fixé par Emmanuel Macron. Mais dès le début du printemps, cette dynamique a commencé à s'essouffler, jusqu'au deuxième semestre, où le volume de grosses levées s'est drastiquement réduit.

Résultat, alors que les investissements dans la tech européenne du début de l'année ont dépassé ceux de 2021, le volume estimé par Atomico pour l'ensemble de l'année 2022 ne s'élève « que » à 85 milliards de dollars, soit 15% de moins que l'an dernier. Malgré la tendance à la baisse, il s'agit tout de même du deuxième plus haut montant de l'histoire de la tech européenne, et plus du double des investissements de 2020 (38,8 milliards de dollars). Pour 2023, les auteurs du rapport n'excluent pas un retour des grandes levées de fonds et des introductions en Bourse, mais ils l'attendent plutôt pour la deuxième partie de l'année. « L'importance de la tech comme moteur de croissance n'a pas changé, elle est toujours vue comme une partie de la solution face aux tendances macroéconomiques. Et quand bien même la chute des investissements se poursuivrait en 2023, on restera au-dessus du niveau de 2020 », anticipe Sarah Guemouri.

400 milliards de valorisation envolés

Mais derrière la rhétorique du « moins pire que prévu » se trouvent des indicateurs financiers inquiétants. A l'image des Gafam aux Etats-Unis, les valorisations de la tech européenne se sont aussi effondrées, à la fois sur les marchés publics et dans le privé.  D'après l'étude, plus de 400 milliards de dollars de valorisation ont disparu par rapport au début de l'année, soit une chute d'environ 13% depuis le pic historique de 2021, qui s'élevait à 2,7 trillions de dollars pour l'ensemble du secteur. Mais encore une fois, les auteurs invitent à regarder la tendance à moyen terme, et rappellent que la valorisation de l'écosystème en 2022 reste cinq fois supérieure à celle de 2015.

En outre, la chute des investissements entre les deux semestres de 2022 se reflète particulièrement dans l'effondrement du nombre de méga-levées, de 133 à 37. En conséquence directe de ces tendances à la baise, le nombre de nouvelles licornes s'élève à 31 en 2022, contre un record de 105 l'an dernier. Fait inédit sur la dernière décennie et conséquence du ralentissement des investissements, les entreprises européennes de la tech ont licencié 14.000 employés, soit 7% des 200.000 laissés de côtés dans le secteur à l'échelle globale.

L'écosystème de la tech européenne prouve sa résilience

Malgré cette série de chiffres à la baisse, les auteurs du rapport se montrent optimistes sur l'état de la tech européenne, un optimisme nourri par une série d'indicateurs qui prouvent la solidité de l'écosystème.

Pour commencer, les entrepreneurs et dirigeants européens deviennent de plus en plus expérimentés : respectivement 55% et 59% d'entre eux ont une expérience préalable dans d'autres entreprises tech, et 22% ont même déjà travaillé pour des licornes. Autrement dit, l'écosystème s'appuie sur une vague d'entrepreneurs et entrepreneuses expérimentés qui ont réussi à mener au succès leurs startups créées dans les années 2010. L'Europe se retrouve ainsi avec « le meilleur réservoir de talents de son histoire », selon les auteurs du rapport, ce qui augmente mécaniquement les chances de réussite de ses jeunes pousses.

Deuxième source d'optimisme : si le débit du robinet à investissements des fonds s'est réduit, son réservoir reste élevé. Dans le jargon financier, on parle de dry powder (littéralement, "la poudre sèche"). Ce terme désigne les fonds levés par les investisseurs qui n'ont pas encore été placés, et dorment donc dans leur portefeuille. D'après le rapport, la dry powder des fonds européens dépassait les 84 milliards de dollars à la fin de l'année 2021, une somme qui devrait être dépensée à court ou moyen terme. « Alors que le secteur de la tech traverse un cercle de valorisation faible, ce pourrait être une excellente période pour l'investir », notent les analystes. « De plus, cette donnée devrait rassurer le marché, puisqu'elle montre qu'il y a toujours des liquidités, même si les conditions macroéconomiques restent serrées en 2023 », ajoute-t-ils. Concrètement, les investisseurs réduisent leur cadence d'investissement, et choisissent différemment les entreprises dans lesquelles ils vont investir. Parmi les gagnants de ce nouveau modèle se trouvent les deeptechs et les startups à impact, également soutenues par les politiques publiques.

Pour conclure, les auteurs remarquent qu'en parallèle d'un certain retrait des investissements américains (moins 22%), les institutions européennes ont répondu présentes : près de 3.500 d'entre elles ont au moins réalisé un investissement en Europe en 2022. Autrement dit, l'écosystème d'investissement s'est montré consistant. « Certes, le marché des capitaux est important, mais ce qui compte au final c'est la diversité des talents, et les opportunités de construire des entreprises sur le long terme », résume Tom Wehmeier. « La nouvelle réalité, c'est la transition d'un modèle qui valorise la croissance à tout prix vers un modèle qui prône la pérennité », conclut-il.

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François Manens

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