Après une année 2022 en demi-teinte, la French Tech au défi de sa résilience

Alors que les Etats-Unis, la Chine, le Royaume-Uni ou encore l'Allemagne ont vécu en 2022 une chute spectaculaire des montants levés par leurs startups, la France devrait finir l'année en hausse de 15% à 20%, à près de 14 milliards d'euros levés, d'après EY. Le premier semestre, exceptionnel, fait office de locomotive, et les amortisseurs de crise de la France ont atténué la chute du deuxième semestre. Cette résilience tiendra-t-elle en 2023 ?
Sylvain Rolland
(Crédits : DR)

Bonne nouvelle dans la morosité ambiante : en 2022, la French Tech a souffert, certes, mais l'écosystème est en route pour un nouveau record, d'après les projections de plusieurs experts. D'après le site spécialisé Maddyness, qui compile les levées de fonds des startups françaises, 2022 se terminera à au moins 12,6 milliards d'euros levés, ce qui suffit pour battre le record de 11,6 milliards d'euros de 2021.C'est une estimation minimale : pour le cabinet de conseil EY, qui réalise tous les ans l'étude de référence sur le sujet, le montant levé devrait même grimper autour de 14 milliards d'euros, ce qui constituerait une progression de 17% par rapport à 2021, soit plus de 2 milliards d'euros supplémentaires.

La performance paraît d'autant plus remarquable que quasiment partout ailleurs dans le monde, la crise globale des valorisations des entreprises tech, liée aux conditions macroéconomiques (inflation, remontée des taux monétaires, crise d'approvisionnement, chute des valeurs tech en Bourse) et géopolitiques (guerre en Ukraine, crise de l'énergie...) entraîne une chute spectaculaire des levées de fonds des startups.

Aux Etats-Unis, cette baisse devrait avoisiner les 40% en un an. En Asie, elle se situerait même autour de 50%. L'Europe semblerait un peu plus épargnée, avec une chute estimée à 23% en 2022 d'après EY. Avec de fortes disparités : au Royaume-Uni, qui a connu une année extrêmement chaotique avec la valse des Premiers ministres et les conséquences du Brexit, les levées de fonds ont chuté d'environ 40%, même si en valeur totale comme en volume, le pays restera largement devant la France. En revanche, comme en 2020, l'Hexagone devrait à nouveau doubler l'Allemagne, dont les montants levés devraient s'effondrer d'environ 30% sur un an. Autrement dit, le monde de la tech est en crise partout, mais la France s'en sortira un peu mieux que les autres en 2022.

Grande résilience de la French Tech

Comment expliquer cette résilience ? Pour Franck Sebag, associé chez EY, la France bénéficie, comme en 2020 lors de la crise du Covid, d'amortisseurs de crise très efficaces. « Beaucoup de fonds historiques comme Partech ou Sequoia se sont recapitalisés avec succès et beaucoup d'autres sont arrivés en France ces dernières années pour profiter de la qualité de l'entrepreneuriat. Les fonds ont donc de l'argent à dépenser, il n'y a pas de tarissement à la base », explique-t-il.

L'effet amortisseur de Bpifrance, bras armé de l'Etat dans le financement de l'innovation, qui investit à la fois en direct et en fonds de fonds, a encore une fois prouvé son efficacité en période de crise. Enfin, la France a également bénéficié de facteurs conjoncturels plus favorables en 2022 que le Royaume-Uni ou l'Allemagne. « La réélection d'Emmanuel Macron, apprécié des milieux économiques en France comme à l'étranger, a apporté de la stabilité. Et l'inflation, bien que forte, est l'une des moins importantes en Europe, donc il y a eu des conditions plus favorables pour les investisseurs », ajoute l'expert.

Malgré tout, la crise s'est bien fait sentir au deuxième semestre. Alors qu'il y a eu sept nouvelles licornes entre janvier et juin, seule une startup, Younited, a réussi à atteindre ce niveau de valorisation lors des six derniers mois. Ce qui jette un doute, par ricochet, sur la capacité de la France à atteindre les nouveaux objectifs fixés par le gouvernement de 100 licornes en 2030 et de cinq décacornes -startups valorisées au moins 10 milliards d'euros- en 2025.

La crise se manifeste donc par des tickets beaucoup moins importants, à tous les étages. Au total, les startups de la French Tech devraient lever 5,3 milliards d'euros au deuxième semestre, contre 8,6 milliards au premier, soit un ralentissement très net. La faute, principalement, à l'absence des méga-levée de plus de 100 millions d'euros dans la deuxième partie de l'année. Le phénomène est global : de l'amorçage au growth, les startups lèvent moins d'argent. « Les valorisations ont baissé donc les entrepreneurs ont moins intérêt à sur-souscrire. De leur côté, les investisseurs regardent davantage la solidité du business et la capacité à générer des revenus récurrents. Le rapport de forces s'est inversé au bénéfice des investisseurs, qui financent moins l'hyper-croissance débridée. Au final, les chiffres sont moins spectaculaires mais la situation est plus saine », analyse Franck Sebag.

Back to business

La fin de l'euphorie dans la tech s'est donc traduite en 2022 surtout par le retour aux fondamentaux économiques. Finie la course à la croissance à tout prix, qui avait gonflé la bulle tech pendant 10 ans, alimentée par l'appétit des investisseurs pour la révolution numérique naissante et par l'argent dit facile ou gratuit lié aux taux d'intérêts très faibles pratiqués pendant des années par les banques centrales.

Désormais, le chiffre d'affaires et les perspectives de rentabilité sont l'alpha et l'omega des investisseurs. D'autant plus que la tech est devenue moins « sexy » : les disrupteurs de hier, notamment les Gafam (Google, Apple, Meta, Amazon, Microsoft), sont devenus les entreprises mainstream d'aujourd'hui, et le marché ne pense plus que leur croissance est infinie.

Par ricochet, le focus sur les fondamentaux économiques tend à fragiliser la situation des startups en amorçage -par définition plus risquées car en train de construire leur innovation et leur business model- et celles dans des secteurs plus gourmands en capitaux et avec des perspectives de rentabilité à plus long terme, comme les deeptech -les innovations de rupture dans tous les domaines. « La sélection est plus dure pour l'amorçage même si l'argent est toujours là pour le financer, il vaut mieux être un serial entrepreneur qui a déjà prouvé sa capacité à gérer un business », développe Franck Sebab. Quand aux deeptech, la fin de l'argent gratuit révèle l'immaturité de l'écosystème d'investisseurs dans ce domaine, car il n'y a tout simplement pas assez de fonds qui financent ce type d'innovations en France et en Europe.

La Bourse au point mort mais davantage de fusions/acquisitions en 2023 ?

Qu'attendre en 2023 ? La French Tech a prouvé sa résilience en 2022 et il n'y a aucune raison que l'écosystème du financement des startups s'effondre. La culture des entrepreneurs français, qui étaient déjà plus concentrés sur la profitabilité que leurs homologues anglo-saxons avant-crise -en partie car les valorisations en France n'ont jamais atteint les niveaux d'outre-Manche ou d'outre-Atlantique, rend l'écosystème moins pénalisé par le refroidissement général.

Mais « il y aura moins d'argent et moins de levées », prévient Franck Sebag. Surtout, le problème des sorties des startups françaises reste entier. Avant crise, l'écosystème commençait à peine à se tourner vers les marchés : 2021 a été la première année marquée par l'introduction en Bourse de startups françaises -notamment OVHCloud- depuis Dassault Systèmes en... 1996. 2022 a été catastrophique à ce niveau : les rares qui ont osé franchir le pas se sont ramassées, à l'image de Deezer, ancienne licorne qui a vécu une IPO très difficile et qui ne vaut aujourd'hui que 327 millions d'euros....

Ainsi, les IPO semblent une voie de sortie peu probable en 2023 pour les startups. Qui devraient donc se tourner plus massivement vers les fusions/acquisitions. « L'écosystème tech européen est au début de sa consolidation, il y a de nombreuses boîtes qui font la même chose dans plusieurs pays et je m'attends à une explosion des rapprochements, notamment car les investisseurs de certaines licornes vont avoir besoin de sortir dans les deux ans qui viennent », explique Franck Sebag, qui s'attend aussi à un intérêt renouvelé des groupes américains pour avaler des pépites tricolores.

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 28/12/2022 à 10:46
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Que ne faut-il pas lire pour se rassurer, surtout que les données empiriques démontrent que les startups n'ont qu'une faible valeur ajoutée sur l'économie réelle à court terme, à contrario de leur ratio d'endettement. Autant de prochaines "entreprise...

à écrit le 28/12/2022 à 9:31
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La "French Tech" ne saurait virtuellement survivre sans le mondialisme financier, de là... cet anglicisme ! ;-)

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