Elections régionales et départementales : le numérique, le grand oublié de la campagne

Alors que le numérique est un levier important de développement économique dans les territoires, de transformation des politiques publiques, et que les citoyens sont en demande d'une administration plus souple et modernisée, ces enjeux sont à peine abordés dans la campagne pour les élections régionales et départementales, qui se tiennent les 20 et 27 juin.
Sylvain Rolland
(Crédits : Aprendices / Wikimedia (CC-BY-SA-4.0))

C'est l'inconvénient d'une élection perçue par les médias et les politiques eux-mêmes comme un tour zéro de l'élection présidentielle de 2022. Les sujets de fond, comme celui de la transformation numérique des régions et des départements pour améliorer les services publics et créer des leviers de développement économique, passent largement sous le tapis, au profit de thèmes comme la sécurité ou la gestion de l'immigration, qui, paradoxalement, ne relèvent pas de la compétence des Régions ni de celle des Départements.

Or, le numérique est bel et bien un enjeu crucial pour les collectivités. "Désormais, toute politique ambitieuse de développement et d'aménagement des territoires sera portée par le numérique, car il favorise l'innovation du secteur public, permet d'accroître l'offre de services publics, et il est un levier majeur pour développer l'économie locale, créer des emplois grâce à la formation notamment, et répondre aux enjeux de la transition écologique", rappelle Godefroy de Bentzmann, le président de Syntec Numérique, un syndicat représentant de nombreuses entreprises du secteur en France. Mais le dirigeant relève un paradoxe :

Et pourtant, dans les programmes on voit bien que le numérique n'est pas un sujet pour la plupart des candidats. Il n'est même pas décrit comme un moyen au service de l'action publique. Les candidats considèrent, à tort selon moi, que les électeurs s'en fichent et que ce n'est pas le numérique qui va les faire élire", regrette-t-il.

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Le numérique, levier indispensable au cœur des missions des régions et départements ?

L'analyse des compétences des régions et des départements montre effectivement que la transformation numérique des collectivités est cruciale pour mener à bien leurs nombreuses missions. D'autant plus que celles-ci ont été renforcées avec la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République, dite loi NOTRe, votée en 2015. Dans une logique de décentralisation, les régions bénéficient désormais de compétences exclusives dans le développement économique, la gestion des programmes européens, la formation professionnelle, l'apprentissage, l'alternance, les lycées, l'aménagement du territoire, l'environnement ou encore les transports.

De son côté, le rôle du département comme chef de file de l'action sociale, de la gestion des aides sociales, des collèges et des routes départementales, a été renforcé par la loi de modernisation de l'action publique territoriale, dite loi MAPTAM, votée en 2014. Régions et départements bénéficient désormais d'une grande marge de manœuvre dans la lutte contre la fracture numérique et l'aménagement numérique.

Pour remettre le numérique dans le débat électoral, Syntec Numérique a donc publié fin mai dix propositions pour faire du numérique un allié du développement territorial, qui prennent en compte l'ensemble des compétences élargies des collectivités. Parmi elles : renforcer la relation avec les habitants au quotidien par la fluidification du "parcours usager" et la dématérialisation facile des démarches administratives, tout en élargissant l'aide de proximité pour les 13% d'illectroniques (Français incapables d'utiliser les outils numériques) et les 25% qui ne possèdent pas de smartphone.

Le document insiste également beaucoup sur le besoin de formations des citoyens au numérique. Publiques comme privées, initiales ou tout au long de la vie : l'association milite pour multiplier les initiatives, débloquer les difficultés administratives, et faire de la collectivité l'épicentre de toutes les offres. Et de prendre en exemple le Programme Numérique Emploi, c'est-à-dire la création d'une association réunissant la Région, Pôle Emploi et Syntec Numérique, dont la mission est d'animer la filière régionale de formations au numérique en répondant aux besoins des entreprises du territoire. "Les entreprises ont des besoins colossaux et non pourvus en compétences numériques. C'est le secteur qui recrute le plus aujourd'hui et encore plus depuis la crise, et c'est aujourd'hui un vrai rempart sous-exploité contre le chômage", déplore Godefroy de Bentzmann.

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Les collectivités locales en retard dans leur propre transformation numérique

Pour Syntec Numérique, le premier enjeu est celui de la transformation numérique des collectivités territoriales elles-mêmes. "Il ne peut pas y avoir de politique efficace sans personnel formé et compétent", estime Godefroy de Bentzmann. Et c'est là que le bât blesse : d'après une enquête réalisée fin 2020 par Pix (service public en ligne des compétences numériques), avec l'association Les Interconnectés et Syntec Numérique, 65% des agents territoriaux n'ont pas un degré de maîtrise suffisant pour être autonomes dans leurs usages numériques, quelles que soient leurs missions, dont 27% avec un niveau "débutant". Et 52% des agents de la Catégorie C de la fonction publique souhaitent une formation pour développer leurs compétences numériques.

"Bien que globalement plus à l'aise, les agents de moins de 34 ans restent fragiles sur la question des données personnelles et les problématiques de sécurité", note l'étude, qui insiste sur une nécessaire montée en compétence pour pouvoir répondre aux enjeux de digitalisation de l'économie et de la société. Pour Godefroy de Bentzmann, il s'agit aussi d'un enjeu démocratique. "Les citoyens sont en attente de meilleurs services publics et leur maturité vis-à-vis des outils numériques est plus importante que celle des administrations centrales", estime-t-il.

Pix, le service public en ligne des compétences numériques, les Interconnectés, l'association nationale de diffusion des usages numériques au service des territoires, et Syntec Numérique, le premier syndicat des entreprises du numérique, se sont associés pour mener une enquête alliant questionnaire en ligne et test sur la plateforme Pix. Composé de questions plaçant le répondant en situation de devoir manipuler des fichiers, réaliser des actions et répondre à des questions de culture numérique, ce test a permis d'analyser le niveau des compétences numériques sur des thématiques clefs pour les agents (données personnelles, sécurité, e-mail, collaboration en ligne, bureautique, réseaux sociaux, etc.).

D'où la nécessité, pour l'association, de ne pas lésiner sur la formation. Dans ses 10 propositions "pour faire du numérique un allié du développement des territoires", Syntech Numérique appelle à une réforme des formations initiales ouvrant au concours de la fonction publique pour y intégrer davantage l'acquisition de compétences numériques, et insiste sur la nécessité de la formation continue des fonctionnaires publics territoriaux.

"Il faut des politiques capables de comprendre que l'enjeu de leur mandat est d'intégrer la transformation numérique au cœur de leur administration et au cœur des services rendus aux citoyens, surtout dans un monde post-Covid. En 2020, les mentalités ont beaucoup évolué sur l'usage du numérique, mais nous sommes à un moment où il faut utiliser ces élections pour faire sauter les verrous qui poussent l'administration à l'immobilisme", plaide Godefroy de Bentzmann.

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Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 17/06/2021 à 2:41
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Vu le niveau scolaire des 96 % de bacheliers inférieur à celui des étudiants des ex-républiques soviétiques candidates à l'UERSS, le numérique peut attendre...

à écrit le 16/06/2021 à 10:29
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Je suis né en 1956, j'ai appris à programmer en 1972 en Seconde T1 dans un (petit) lycée de province. Le plan Calcul a été lancé en 1966, il y a 55 ans. Le rapport Nora-Minc sur l'informatisation de la société Française date de 1977. Il y a 42 ans....

à écrit le 15/06/2021 à 17:47
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Le grand problème du numérique c'est de vouloir complexifier... parce sensé simplifier l'action de l'administré!

à écrit le 15/06/2021 à 17:39
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Le but est de toujours cacher se qui risque de déplaire et de peindre le reste en vert! Donc pourquoi voulez vous que des dossiers soient ouvert?

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