ASML, ce fleuron de la tech européenne qui ne connaît pas la crise des puces électroniques

L'entreprise néerlandaise est la seule au monde à produire les machines ultra perfectionnées qui permettent de fabriquer les puces les plus avancées, ce qui explique ses bonnes performances malgré une conjoncture incertaine. Et si la guerre commerciale contre la Chine, à laquelle viennent de se joindre les Pays-Bas, pourrait légèrement noircir le tableau, l’Empire du Milieu sera, semble-t-il, le premier perdant.
« ASML bénéficie d'une position de monopole sur le marché des machines de photolithographie. L'entreprise est notamment la seule à maîtriser la technique de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême (EUV), nécessaire à la fabrication des puces les plus avancées, qui sont utilisées dans les smartphones, ordinateurs et serveurs informatiques », explique Rolf Bulk, analyste chez New Street Research.
« ASML bénéficie d'une position de monopole sur le marché des machines de photolithographie. L'entreprise est notamment la seule à maîtriser la technique de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême (EUV), nécessaire à la fabrication des puces les plus avancées, qui sont utilisées dans les smartphones, ordinateurs et serveurs informatiques », explique Rolf Bulk, analyste chez New Street Research. (Crédits : Reuters)

La situation actuelle du marché des puces électroniques, à l'instar de celle du secteur technologique en général, n'est guère reluisante. Les performances d'ASML, entreprise néerlandaise qui fabrique des machines nécessaires à la production de microprocesseurs, n'en sont que plus impressionnantes.

Ce fleuron de l'industrie technologique européenne a en effet battu toutes les prédictions des analystes en réalisant au 4e trimestre 2022 un chiffre d'affaires de 6,4 milliards d'euros (dont 6,3 milliards de ventes nettes), en hausse de +29% d'une année sur l'autre, produisant 1,8 milliard d'euros de bénéfice net avec une marge brute de 51,5%.

Au total, sur l'année 2022, le chiffre d'affaires net a atteint 21,2 milliards d'euros, avec un résultat net de 5,6 milliards d'euros et une marge brute de 50,5%. Sans oublier un carnet de commandes record à la fin de 2022 de 40,4 milliards d'euros.

Très honorable performance sur un marché en plein marasme.

Mieux, pour l'année 2023, le concepteur de machines à fabriquer des processeurs de dernière génération prévoit que les ventes nettes augmenteront encore de 25%, selon le rapport publié le 25 janvier dernier.

Un monopole mondial sur la lithographie par rayonnement ultraviolet extrême

Un beau succès pour cette société qui, bien que peu connue du grand public, joue un rôle majeur au sein de l'économie mondiale, grâce à sa maîtrise d'une technologie sans laquelle il est impossible de produire des semi-conducteurs de pointe.

« ASML bénéficie d'une position de monopole sur le marché des machines de photolithographie. L'entreprise est notamment la seule à maîtriser la technique de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême (EUV), nécessaire à la fabrication des puces les plus avancées, qui sont utilisées dans les smartphones, ordinateurs et serveurs informatiques. Elle revêt ainsi une importance stratégique pour les trois principaux fondeurs internationaux que sont TSMC, Intel et Samsung, lesquels représentent plus de la moitié de son chiffre d'affaires », résume Rolf Bulk, analyste chez New Street Research, un cabinet d'intelligence de marché spécialisé dans les nouvelles technologies.

Lancée en 1984 à Eindhoven, la société connaît des débuts difficiles : ses premières machines sont rapidement dépassées par celles de la concurrence, et elle ne survit que grâce à des subventions du gouvernement néerlandais et de la Communauté économique européenne (CEE).

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ASML

Dix ans de travail pour sortir le premier prototype

Mais, à force d'obstination, elle devient à partir des années 1990 l'un des trois leaders mondiaux du marché de la lithographie, avec les japonais Canon et Nikon. Elle fait alors le pari risqué de miser sur la technologie EUV, là où ses deux rivales se cantonnent aux méthodes traditionnelles. « C'était un véritable coup de poker, car la technique en était encore à ses balbutiements », note Rolf Bulk.

Mais le pari porte ses fruits : s'il lui faut près de dix ans pour mettre au point son premier prototype, en 2006, et si ses clients doivent attendre 2018 pour commencer à utiliser les nouvelles machines, celles-ci permettent de réaliser des gravures d'une finesse sans commune mesure avec la technologie précédente.

ASML gagne ainsi un monopole de facto sur les machines nécessaires à la production des puces de dernière génération (comme la NXE3400 ci-dessous). Une plus grande finesse de gravure permet en effet d'augmenter le nombre de transistors présents dans une puce, et donc la quantité d'opérations à la seconde que le microprocesseur est capable de réaliser. Un transistor plus petit a également tendance à moins demander de courant et à moins chauffer.

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ASML, photolithography,

ASML, imperméable à la conjoncture ?

Cette situation de monopole explique les bonnes performances d'ASML sur un marché qui connaît aujourd'hui des temps difficiles. Après une période faste due à une forte augmentation de la demande de produits numériques durant la pandémie et la période de reprise économique qui a suivi la réouverture, le marché se retrouve aujourd'hui avec un trop-plein d'offre face à une demande qui se rétracte dans un contexte économique mondial difficile, marqué notamment par l'inflation et les conséquences de la guerre en Ukraine.

Ainsi, bien que les ventes de smartphone et d'ordinateurs soient actuellement à la peine, ASML n'en ressent pour l'heure pas les conséquences, et peine même à satisfaire ses clients : pour rappel, son carnet de commandes équivaut aujourd'hui à 40 milliards d'euros, là où ses capacités de production annuelles lui permettent de produire pour environ 20 milliards d'euros de machines (photo ci-dessous : chargement d'une machine ASML dans la soute d'un 747).

ASML, photolithography,

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Lire aussiSemi-conducteurs: Biden signe le giga plan de subventions (52 milliards) aux industriels américains

« Si Intel, TSMC et Samsung vont sans doute effectuer des coupes dans leur budget, il est très peu probable qu'elles réduisent leurs commandes de machines de photolithographie EUV : en effet, la demande est aujourd'hui largement supérieure à l'offre, ce qui signifie que si l'une de ces entreprises réduisait ses commandes, l'une de ses concurrentes en profiterait immédiatement », explique Rolf Bulk.

En outre, l'entreprise satisfait une demande sur le temps long, là où les acteurs économiques s'attendent à une récession de courte durée. « La plupart de nos clients nous confient qu'ils s'attendent à une reprise pour le second semestre 2023 », affirmait ainsi récemment Peter Wennink, dirigeant de l'entreprise, sur la chaîne de télévision américaine CNBC.

« Si l'on prend en considération le fait qu'il s'écoule entre un an et demi et deux ans du passage de la commande à la livraison de la machine, on comprend que les clients n'annulent pas leurs commandes. »

Un alignement sur les sanctions des États-Unis peu coûteux

Mais ASML doit également composer avec une autre difficulté sur la scène internationale : la guerre commerciale que mènent les États-Unis contre la Chine, à laquelle Washington vient de réussir à convertir les gouvernements néerlandais et japonais. Ils viennent en effet tous deux de déclarer qu'ils allaient s'aligner sur les sanctions américaines, interdisant l'exportation vers le marché chinois des équipements nécessaires à la production des puces les plus avancées.

Certes, cette annonce n'affectera pas les machines EUV, pour la bonne et simple raison que celles-ci sont déjà interdites d'exportation vers la Chine. La lithographie par rayonnement ultraviolet extrême, en tant que technologie à usage à la fois civil et militaire, est en effet couverte par l'arrangement de Wassenaar, et le gouvernement néerlandais doit donc accorder une licence pour permettre l'exportation de telles machines vers la Chine. Or, bien qu'une entreprise chinoise ait cherché dès 2018 à passer commande auprès d'ASML, les Pays-Bas n'ont, sous la pression de Washington, jamais accordé la licence nécessaire pour cela.

En revanche, ASML livrait en Chine des machines permettant de produire des puces moins avancées, réalisant ainsi environ 15% de son chiffre d'affaires dans l'Empire du Milieu, selon Peter Wennink, un chiffre certes non négligeable, mais qui concerne principalement des entreprises occidentales qui ont des opérations en Chine, et qui ne seront vraisemblablement pas affectées par les sanctions, selon Rolf Bulk.

« Par le passé, ASML a affirmé que, si elle devait se conformer aux sanctions américaines contre la Chine, cela affecterait environ 5% de ses arriérés. Or, la valeur des arriérés d'ASML est aujourd'hui de 40 milliards de dollars, tandis que leur capacité de production annuelle n'est que de 20 milliards : l'entreprise pourrait donc facilement compenser cette perte en satisfaisant simplement les commandes d'autres clients », note l'analyste.

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Camouflet pour la Chine

Pas vraiment de quoi paniquer chez ASML, donc. Pour la Chine, en revanche, il s'agit d'un nouveau camouflet, qui fait suite à une série de restrictions commencées sous Donald Trump et amplifiées par son successeur.

« C'est un coup dur pour la Chine, qui, en plus d'être privée des machines nécessaires pour produire des microprocesseurs de pointe, va désormais également avoir plus de difficultés à se procurer celles que requièrent les modèles les moins avancés. Cela va mettre des bâtons dans les roues des entreprises chinoises qui souhaitent rattraper Intel, TSMC et Samsung. »

D'autant que, si Pékin investit actuellement des centaines de milliards de dollars dans ses propres fabricants de microprocesseurs pour construire une chaîne de valeur autonome, celles-ci sont très loin de pouvoir répliquer la technologie d'ASML, selon l'analyste.

« L'expertise nécessaire pour produire ces machines s'appuie sur des décennies d'expérience et de R&D [photo ci-dessous], il faudra donc également plusieurs décennies avant que les entreprises chinoises ne soient capables de produire de telles machines. »

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ASML, photolithography,

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(Crédits toutes photos : ASML. Un clic pour agrandir plein écran)

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Commentaires 8
à écrit le 02/02/2023 à 3:28
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Donc on fabrique les machines qui fabriquent les puces mais en Europe on ne fait pas de puces ! Donc nous sommes en pénurie de puces. On est fou !

le 02/02/2023 à 8:47
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Vous pouvez construire des moteurs pour les vendre et circuler à vélo. Une machine ne suffit pas, c'est un maillon, comme avoir une poêle pour faire les crêpes, il faut savoir quelle recette, quelle technique, etc. Apple en produit, des processeurs '...

à écrit le 01/02/2023 à 10:44
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Une entreprise sur une niche , voilà un vrai fleuron, tout ce que la France est incapable d'avoir.

le 01/02/2023 à 17:03
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Ce sont les Français qui n'en veulent pas. Quand une responsable d'un parti politique (ELV) vous dit qu'e la France n'a pas besoin de milliardaire, tout est dit; Cela me rappelle la cour révolutionnaire qui a condamné à mort le plus grand savant Fran...

le 01/02/2023 à 21:02
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Si Altrad est le leader mondial des échafaudages tout comme Dassault systèmes dans son domaine etc...!!!

à écrit le 01/02/2023 à 9:07
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Avec actionnaires americaines

le 01/02/2023 à 10:57
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20,3% blablabla.

le 01/02/2023 à 16:58
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En tous les cas avec très peu d'actionnaires Français, c'est sûr car en France le mot actionnaire est une insulte tout comme le mot dividende et le mot profit. Ici on préfère les mots perte et dette et impôt. Plus l'entreprise fait des pertes, plus o...

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