Fin de l’âge d’or pour les semi-conducteurs, la surproduction guette les géants européens du secteur (STMicroelectronics, Infineon, ASML)

Infineon, STmicroelectronics, et ASML, des sociétés européennes de puces électroniques mettent en garde contre une année 2024 difficile. Après la pénurie de 2021 et 2022, les stocks sont désormais pleins.
Maxime Heuze
Le français STmicroelectronics a annoncé une prévision de son chiffre d'affaires médian en baisse de 5,2% en 2024.
Le français STmicroelectronics a annoncé une prévision de son chiffre d'affaires médian en baisse de 5,2% en 2024. (Crédits : Reuters)

Gueule de bois pour les semi-conducteurs après trois années d'hyper croissance. Les deux principaux producteurs européens de ces composants électroniques, véritables cerveaux de nos machines, préviennent que 2024 sera une année difficile pour l'industrie. Le fabricant allemand Infineon a, en effet, annoncé ce mardi tabler sur une baisse de son chiffre d'affaires de 11% premier trimestre 2024 par rapport au dernier trimestre 2023, et a abaissé ses perspectives de revenus pour l'année à 16 milliards d'euros contre 17 milliards prévu initialement.

La tendance est la même STMicroelectronics. Lors de la publication de ses résultats annuels, le 25 janvier, le groupe français basé en Isère avait aussi annoncé une prévision de son chiffre d'affaires médian en baisse de 5,2% en 2024. Une prévision morose également partagée par ASML, le géant néerlandais des machines pour fabrication de puces, qui avait tiré la sonnette d'alarme en premier, le 24 janvier, sur le risque de recettes inférieures cette année à celles de 2023.

L'heure de la pénurie, où les commandes de puces se bousculaient faisant flamber leurs prix de vente, semble donc révolue. « Ce secteur a toujours été très cyclique et avec l'importance qu'il a pris aujourd'hui, il l'est plus que jamais », constate, en effet, Mathilde Aubry, économiste spécialiste des semi-conducteurs et professeur à l'EM Normandie.

Le creux de la vague en 2024?

Après la pénurie mondiale de 2021 et 2022 qui a vu l'activité des producteurs connaître une forte croissance, les sociétés de puces de pointe (TSMC, Nvidia, Samsung pour les plus connues) ont été les premiers acteurs de ce secteur très hétérogène à annoncer une baisse de leurs ventes, dès le début de 2023. Jusqu'ici, en revanche, les européens STMicroelectronics et Infineon qui fabriquent des composants de moyenne gamme (capteurs, contrôleurs, composants de puissance, etc) avaient réussi à maintenir une forte croissance, grâce à la résilience du marché automobile, l'un de leurs principaux clients.

Lire aussiLa pénurie de semi-conducteurs semble se résorber : pourquoi ce n'est pas forcément une bonne nouvelle

« Mais finalement, leurs clients industriels commencent à avoir rempli leurs stocks et diminuent leurs achats et les mêmes craintes commencent aussi à émerger du côté de l'industrie l'automobile » Aleksander Peterc, responsable de la recherche actions pour le secteur des matériels technologiques chez Société Générale CIB.

2024 sera donc l'année du déstockage, de la pause des commandes... et donc de la baisse des prix pouvant aller jusqu'à 90% pour certaines puces mémoire. « Dans les applications grand public, de communication, informatiques et IoT, nous ne prévoyons pas de reprise notable de la demande avant le second semestre » 2024, a d'ailleurs avoué le président du directoire d'Infineon, Jochen Hanebeck, ce mardi lors de la publication de résultats.

Néanmoins, cette phase devrait laisser place à un regain d'activité au bout de cinq trimestres moroses, selon la Société Générale. Certains fabricants de puces avancées entrevoient déjà un retour des commandes début 2024, tandis que, du côté des deux fabricants européens de puce moyenne gamme, ce sera « à partir de fin 2024, avec une accélération en 2025 », une fois les excès de stocks normalisés, abonde Sébastien Sztabowicz, directeur de la recherche sur les semi-conducteurs chez Kepler Cheuvreux. Un scénario toutefois dépendant de l'activité du secteur automobile dans les prochaines années.

Un risque de surproduction à plus long terme ?

2024 ne devrait donc être qu'une simple respiration du marché. Mais quand sera-t-il à plus long terme? Une chose est sûre, la pénurie de 2021 a traumatisé les acheteurs et les a amenés à modifier leurs habitudes. Désormais conscients de l'importance de ces composants indispensables pour leur production, « les constructeurs automobiles ont maintenant pris l'habitude de faire des stocks de puces ce qui va les amener à s'approvisionner de manière beaucoup plus irrégulière », détaille l'économiste. « Ces technologies vont devenir de plus en plus stratégiques mais, en contrepartie, les cycles de sous et de surproduction vont devenir toujours plus violents » étant donné que les acheteurs ayant remplis leurs stocks vont stopper leurs commandes pendant de longs mois, pointe aussi Mathilde Aubry.

Sans compter la pression exercée par les autorités pour intensifier la production locale. Conscients de la nécessité de disposer, en tout temps, de puces de pointe fabriquées au deux-tiers par TSMC à Taïwan, les Etats-Unis et l'Europe ont investi massivement dans ce marché de 534 milliards de dollars. Ainsi, en septembre, l'Union européenne a mis 43 milliards d'euros sur la table dans le cadre du « Chips Act » qui vise à doubler la production de puces sur le Vieux continent et atteindre 20% des parts de marché de l'industrie en 2030. Et cette pression des pouvoirs publics porte déjà ses premiers fruits. Cet été, TSMC a annoncé la construction à venir d'une première usine de production en Allemagne. Une annonce suivie par de nombreuses autres qui devrait doper la production de puces dans les prochaines années sur le Vieux Continent. Si ces nouvelles usines concernent essentiellement les semi-conducteurs de pointe et non des producteurs européens, reste que la production totale devrait augmenter de 9% par an dans le monde quand la demande ne devrait croître que de 7-8% selon Kepler Cheuvreux. Une dynamique qui devrait rendre les semi-conducteurs moins rares et nuire aux revenus et aux marges des fabricants.

L'IA change la donne

Un nouveau game changer doit cependant entrer en compte dans la demande future de puces : l'intelligence artificielle. « Nous prévoyons que la demande de semi-conducteurs pour l'IA sera de l'ordre de 150 milliards de dollars d'ici 2030, soit 15% du marché. Mais certains acteurs (notamment AMD) anticipent une demande de l'ordre de 400 milliards de dollars à cet horizon » rappelle Aleksander Peterc de la Société Générale. Aujourd'hui, ce sont surtout les puces de pointe qui bénéficient de cette nouvelle vague. Ainsi, en fournissant en cartes graphiques (GPU), processeurs et autres composants très avancés les data centers de Google et Microsoft entraînant les IA, Nvidia a augmenté son bénéfice de 843% entre le deuxième trimestre de 2022 et celui de 2023.

« Mais dans 3, 4 ou 5 ans, cette technologie va être intégrée dans les objets à la périphérie du réseau (smartphones, PC, consumer, industriel, IoT, healthcare, etc) » et tirer la demande de composants de moyenne gamme, prévoit Sébastien Sztabowicz de Kepler Cheuvreux. Un nouveau marché qui pourrait rapporter gros au champion français STMicroelectronics.

Maxime Heuze

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 07/02/2024 à 12:44
Signaler
L'industrie des semi doit se tourner vers l'électronique de puissance. En 2024, la demande d'onduleurs monophasés pour le solaire est plus stratégique que celle des processeurs. Attention, les processeurs sont toujours essentiels mais il est difficil...

à écrit le 07/02/2024 à 11:28
Signaler
Il faut mettre ces résultats en perspective du marché final des fabricants de semi. Infineon, STM comme ON semi sont fortement exposés aux systèmes embarqués et aussi aux céhicules éléctriques dont la demande souffre. Les autres fabricants de semi,...

à écrit le 07/02/2024 à 11:27
Signaler
Il faut mettre ces résultats en perspective du marché final des fabricants de semi. Infineon, STM comme ON semi sont fortement exposés aux systèmes embarqués et aussi aux céhicules éléctriques dont la demande souffre. Les autres fabricants de semi,...

à écrit le 07/02/2024 à 10:38
Signaler
Bonjour, Une bonne nouvelle est le réveil d'AMD le champion des cartes graphiques face à Intel. La fameuse maîtrise des pipelines in Line or not in Line. Comme je dis toujours le désordre est une forme d'ordre Qui maîtrisera le not in line donc A...

à écrit le 06/02/2024 à 13:26
Signaler
En tout cas trouver des composants cms c'est pas facile.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.