Alternatives à l'App Store : comment Apple se joue de l'Union européenne

Sous la pression du régulateur européen et de l'entrée en vigueur en mars du Digital Market Act, Apple va permettre aux propriétaires d'iPhone d'utiliser d'autres magasins d'application de l'App Store. Mais dans les faits, le géant de la tech a pris des mesures pour empoisonner l'alternative au système actuel, de sorte que les développeurs d'application ne s'y risquent même pas.
François Manens
L'iPhone va être plus ouvert que jamais, mais Apple se bat pour conserver ses marges.
L'iPhone va être plus ouvert que jamais, mais Apple se bat pour conserver ses marges. (Crédits : Shutterstock)

Changement historique au cœur des iPhone. Le 7 mars, sous la pression de l'Union européenne et de l'entrée en vigueur du Digital Market Act, Apple va autoriser l'installation d'alternatives à l'App Store. Ce dernier était depuis 2007 l'unique magasin d'application des iPhone, c'est-à-dire la seule porte d'entrée pour toucher les plus d'un milliard de propriétaires du smartphone le plus vendu au monde. Le grand changement, dont l'entreprise vient de détailler le fonctionnement, aura lieu lors de la mise à jour 17.4 de iOS, début mars.

En théorie, la modification doit permettre aux développeurs de contourner les 30% de commission sur les transactions de l'App Store, qualifiés de « taxe Apple » par ses opposants les plus virulents. Mais comme à son habitude, Apple cède le moins de terrain possible, et s'est arrangé pour empoisonner les alternatives, de sorte que son système reste prédominant. Par ricochet, le géant de la tech teste clairement les limites de la nouvelle régulation, et s'engage dans un bras de fer avec l'Union européenne. Dans l'attente de la mise en œuvre des mesures, le commissaire européen au marché intérieur refuse d'évaluer le dispositif d'Apple, mais il met d'ores et déjà en garde, interrogé par Reuters : « Si les solutions sont insuffisantes, nous n'hésiterons pas à prendre des mesures fortes ». Le DMA prévoit des amendes allant jusqu'à 10% du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise.

De son côté Phil Schiller, vice-président marketing d'Apple réédite ses critiques envers le DMA, mais veut rassurer : « Les changements que nous annonçons aujourd'hui sont conformes aux exigences de la loi sur les marchés numériques de l'Union européenne, tout en contribuant à protéger les utilisateurs de l'UE contre les inévitables menaces accrues en matière de confidentialité et de sécurité que cette réglementation entraîne ».

Concurrence choisie

L'iPhone n'est pas seulement le smartphone le plus vendu au monde, c'est aussi un formidable canal de revenu grâce aux applications. En 2023, plus de 171 milliards de transactions in-app [au sein des applications, NDLR] sont passées par l'App Store. Grâce à sa commission très critiquée de 30% (baissée à 15% pour les plus petites applications), Apple s'est une fois de plus dégagé un chiffre d'affaires colossal, estimé autour des 50 milliards de dollars. Une mine d'or que le géant de la tech compte bien défendre face au DMA, un texte créé sur-mesure pour démanteler ce genre de pratique monopolistique opérée par les géants de la tech.

Jusqu'ici Apple a toujours défendu le modèle en vase clos de l'iPhone par l'argument de la sécurité, en opposition à son concurrent Android, qui autorise les téléchargements d'apps en dehors du Google Play Store. L'idée est simple : s'il n'existe qu'un canal d'entrée sur l'appareil, il suffit de le contrôler minutieusement pour éviter les actes malveillants. Alors forcément, l'argument de la sécurité revient dans les restrictions qu'il appose sur les mesures d'ouverture.

Pour commencer, Apple va choisir lui-même quels magasins d'apps seront disponibles sur les iPhone, selon un système d'évaluation qui n'est pas encore connu. Ensuite, il gardera le contrôle sur la distribution des apps, c'est-à-dire sur l'arrière-boutique technique. Concrètement, il s'assurera que chaque application suive un certain protocole de validation, et il contraindra les développeurs à distribuer la même version de leur app à travers tous les magasins. « Même avec ces garanties en place, de nombreux risques demeurent », avertit Apple sur un ton alarmiste.

En outre, puisque l'entreprise s'octroie le droit de choisir la concurrence de son App Store, il pourrait en théorie bloquer l'Epic Games Store, Steam ou encore Good Old Games, les principaux acteurs du marché. Mais pas sûr que la pilule passerait auprès du régulateur. Concrètement, l'utilisateur pourra télécharger n'importe quel magasin d'applications validé par Apple, et même le définir en choix par défaut. Avant de l'utiliser, il devra donner manuellement l'autorisation d'effectuer des téléchargements. Autrement dit, il devra se lancer dans une installation complexe à plusieurs étapes, qui risque de décourager une partie des utilisateurs. D'autant plus que précédemment, Apple a prouvé qu'il n'hésiterait pas à faire usage de techniques de dissuasion, par exemple par le biais d'écrans d'avertissement qui insistent sur la supposée dangerosité de ne pas utiliser l'App Store.

Pour les développeurs, le choix entre des frais et des frais

Les développeurs d'application vont pouvoir faire le choix entre deux options. Garder l'ancien système, c'est-à-dire passer exclusivement par l'App Store et payer la commission de 30% (ou 15%) sur toutes les transactions. Ou bien, basculer vers le nouveau système, réservé à l'Europe. Dans ce cas, ils pourront distribuer leurs applications sur l'App Store mais aussi sur d'autres magasins d'applications. En contrepartie, ils devront composer avec de nouvelles contraintes :

  • Une commission de 17% pour les transactions sur l'App Store (+3% s'ils utilisent le système de paiement d'Apple). S'ils passent par un autre magasin d'applications, ils paieront la commission de ce magasin et aucun euro n'ira dans la poche d'Apple.
  • Une obligation faire le choix entre proposer un paiement in-app ou un paiement avec un lien extérieur.
  • Pour les applications à plus d'un million d'utilisateurs, Apple introduit un nouveau péage, la Core Technology Fee (littéralement, les « frais cœur de technologie ») : un prélèvement annuel d'un montant fixe de 50 centimes par première installation de l'app. D'après le constructeur, il ne s'appliquera qu'à 1% des applications. Le problème ? Ces frais s'appliquent à tous les téléchargements, quel que soit le magasin d'application.

Pour défendre son système Apple argue que 99% des développeurs vont « réduire ou maintenir » leur facture. L'entreprise a même mis en place un simulateur pour appuyer son propos. Mais entre la difficulté de mise en place du nouveau système et l'incertitude autour de véritables gains financiers, Apple a bel et bien empoisonné l'alternative à son système actuel.

Le dirigeant d'Epic Games Tim Sweeney, engagé dans une bataille judiciaire avec Apple depuis 2020, qualifie les changements de « mise en conformité malicieuse ». Autrement dit, il accuse Apple de jouer au plus malin et de tester les limites tout juste imposées par l'UE. « Ils forcent les développeurs à choisir entre l'exclusivité de l'App Store avec ses conditions d'utilisations -ce qui est illégal selon le DMA- ou à accepter un nouveau schéma anticoncurrentiel criblé de nouveau frais orduriers sur les téléchargements -illégal aussi-, en plus de nouvelles taxes Apple sur les paiements qu'ils ne gèrent pas », râle-t-il sur X (anciennement Twitter).

Bien qu'ils ne se satisfont pas de la situation, les principales critiques d'Apple, Spotify et Epic Games, prévoient leur retour sur les iPhone. Ce dernier compte notamment de rendre son propre magasin d'applications disponible sur iOS dans l'Union européenne dès cette année. Le très populaire jeu de tir Fortnite, à l'origine de la discorde et retiré de l'App store depuis plus de trois ans, ferait son retour dans le même temps. L'enjeu est double pour Epic, puisque non seulement l'entreprise a tout intérêt à ouvrir à nouveau le marché des utilisateurs d'iPhone, mais aussi parce qu'il pourrait disposer d'un nouveau canal de vente pour son propre magasin d'application. Son argument de vente principal ? Des commissions à moins de 12%, voire même nulles dans certains cas.

Bataille internationale

Du côté d'Apple, la défense de l'App Store ne se limite pas à l'Europe. Dans sa bataille judiciaire gagnée dans les grandes largeurs contre Epic Games, Apple a tout de même concédé une petite défaire : la juge exige qu'il propose aux développeurs d'applications une alternative à son système de paiement. Suite au rejet d'un ultime recours, l'entreprise s'est exécutée, non sans faire un pied de nez à Epic Games.

Certes, il autorise à ne plus passer par l'App Store pour les paiements in-app, et permet donc en théorie de contourner les 30% de commissions, au cœur de la discorde. Mais si les développeurs choisissent cette voie, Apple leur impose une autre commission, de 27% cette fois, sur les paiements effectués en dehors de l'App Store. S'ils ne s'y plient pas, les développeurs risquent un bannissement du magasin d'app unique des iPhone. Pour couronner le tout, Apple s'octroie le droit d'éplucher les comptes des développeurs... Comme Tim Sweeney l'a relevé, cette nouvelle commission, cumulée avec les frais liés à un système de paiement tiers, ferait passer la facture au-delà des 30%. Autrement dit, la meilleure option financière resterait de passer par l'App Store.

Le régulateur n'a pas encore réagi à ce nouveau dispositif qui rend la décision de la juge inefficace. Mais c'est une nouvelle preuve qu'en Europe comme aux Etats-Unis, Apple teste les nouvelles limites imposées par les régulateurs. Jusqu'à se prendre un retour de bâton ?

François Manens

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Commentaires 6
à écrit le 28/01/2024 à 12:47
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J'ai un smartphone Android et pour télécharger des applications j'utilise le Google store qui doit qui fonctionne comme l'Apple store, et on n'en fait pas tout un plat😏

à écrit le 27/01/2024 à 9:57
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Pensez vous vraiment que cela ne soit pas des arrangements "entre-ami" à des fins de propagande européenne ?

à écrit le 27/01/2024 à 7:59
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Apple a largement les moyens de payer des responsables européistes d'abord et avant tout, n'oubliez pas que l'UE est l'empire de la corruption.

à écrit le 26/01/2024 à 23:44
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C est drôle ce que l article dit car je ne m’y reconnaîs pas comme propriétaire et utilisateur de smartphone Apple depuis 8 ans : je ne paye aucune appli… je l’utilise que pour naviguer un peu ( moins 1h par jour) lire La Tribune via Qwant ( j’ ...

à écrit le 26/01/2024 à 23:44
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C est drôle ce que l article dit car je ne m’y reconnaîs pas comme propriétaire et utilisateur de smartphone Apple depuis 8 ans : je ne paye aucune appli… je l’utilise que pour naviguer un peu ( moins 1h par jour) lire La Tribune via Qwant ( j’ ...

à écrit le 26/01/2024 à 20:06
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Coquille : "Apple a tout de même concédé une petite défaire : la juge exige " petite défaite

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