Faut-il passer sous pavillon américain pour devenir un leader mondial de l'intelligence artificielle ? Le gouvernement et la Mission French Tech jurent que non et ne cessent de vanter l'innovation comme condition de souveraineté, mais la trajectoire de la startup Dataiku a de quoi interroger. Créée en 2013 à Paris, cette pépite de la data analytics -exploitation des données des entreprises grâce à des outils d'intelligence artificielle facilement intégrables- a délocalisé son siège social à New York dès 2016 et sa deuxième levée de fonds -14 millions à l'époque-. Son cofondateur et CEO, Florian Douetteau, assumait alors vouloir "jouer dans la cour des grands" pour devenir un géant mondial de l'IA. Son ambition : amener le machine learning et les projets d'IA hors des laboratoires expérimentaux et faciliter leur intégration dans les activités métiers quotidiennes des entreprises, au service de la création de valeur.
Nouvelle levée de fonds de 100 millions de dollars
Depuis son passage outre-Atlantique, la startup vit une hyper-croissance folle. Elle revendique aujourd'hui 450 employés (200 fin 2018), des bureaux à New York, Paris, Londres, Munich, Sydney, et Singapour, et plus de 300 clients dont Schlumberger, GE Aviation, Sephora, Unilever, BNP Paribas, Premera Blue Cross, Kuka et Santander. Surtout, l'argent coule à flots pour financer cette conquête du marché. Les investisseurs américains ne sont pas timides et ouvrent grands les vannes quand ils flairent le potentiel : 28 millions de dollars en septembre 2017 (opération menée par le fonds Battery Ventures), 101 millions de dollars en décembre 2018 (Iconiq Capital), une "très grosse" prise de participation de CapitalG (Google) en décembre 2019 valorisant l'entreprise 1,4 milliard de dollars et la propulsant dans le club très fermé des licornes, et donc un nouveau tour de table de 100 millions de dollars, annoncé ce lundi 24 août. Cette levée est menée par deux nouveaux investisseurs américains, Stripes et Tiger Global Management, avec le renfort d'investisseurs déjà présents comme Battery Ventures, CapitalG, Dawn Capital, FirstMark Capital et Iconiq.
La stratégie : devenir un géant dans une petite niche complémentaire de Google, Microsoft, Amazon et Salesforce
Pourquoi Dataiku réussit-il si bien dans un secteur, l'intelligence artificielle au service des entreprises, qui paraît déjà bondé ? Car la startup s'est positionnée sur une niche qui leur permet d'être complémentaire des solutions des quatre géants que sont Google, Microsoft, Amazon et Salesforce. Dataiku vend un logiciel dit on-premice" (une plateforme logicielle directement installée sur les serveurs personnels des clients) baptisé DSS, pour "Data Science Studio". Destiné aux entreprises, ce logiciel permet aux équipes de collaborer sur une même plateforme et d'explorer la richesse des données internes pour en extraire les informations pertinentes et prendre des décisions "business" en conséquence. La simplicité d'utilisation et d'intégration avec les outils métiers permet à l'entreprise cliente de bénéficier d'outils performants d'intelligence artificielle sans avoir à embaucher de spécialistes.
Fin 2019, Florian Douetteau expliquait ainsi sa vision à La Tribune :
"Nous pensons qu'un acteur indépendant du logiciel, sur une niche de marché précise comme la nôtre dans l'analyse des données, peut coexister aux côtés des quatre géants que sont Google, Microsoft, Salesforce et Amazon. Car notre solution s'intègre dans l'architecture cloud de ces géants et offre un service complémentaire".
Cette niche est tout de même mondiale et pèse quelques dizaines de milliards de dollars, soit un très gros gâteau. Mais Dataiku ne court pas face à Google, Microsoft ou Amazon, qui sont des partenaires, voire même des investisseurs dans le cas de Google. Son enjeu est de faire partie, à coups de centaines de millions d'euros, de la poignée d'acteurs de cette niche qui se partageront le marché. "Nous offrons aux entreprises une solution pour révéler leur potentiel inexploité autour de la donnée et ainsi les accompagner dans leur transformation digitale, déclare Florian Douetteau. Dans le contexte de crise actuelle, l'IA s'avère être un atout précieux pour imaginer de nouvelles approches et trouver des gisements inédits de rationalisation et de croissance", promet-il.
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