La startup de la semaine : Implicity prévient les crises cardiaques grâce aux données

Toutes les semaines, La Tribune braque les projecteurs sur une pépite méconnue de la French Tech. Cette semaine, Implicity. Sa plateforme regroupe les données, autrefois dispersées, issues des prothèses cardiaques. Objectif : permettre un meilleur suivi des patients, mais aussi proposer une base de données inédite aux chercheurs publics.
François Manens
Lauréat du Health Data Hub, Implicity veut créer un modèle de prédiction des crises cardiaques.

Médecins et chercheurs s'interrogent sur les moyens de générer des données pour développer la médecine de demain. Mais avant d'en créer, encore faut-il exploiter correctement celles qui existent. Implicity réunit sur sa plateforme les données issues de prothèses cardiaques. Munies de plusieurs capteurs, elles enregistrent plusieurs indicateurs comme le pouls ou la pression sanguine. En France, plus de 500.000 personnes portent ce type d'implant, produits par cinq fabricants (Abbot, Biotronik, Boston Scientific, Medtronic et Microport).

Cinq fabricants de prothèses cardiaques sur le marché, autant de sources de données différentes

Certains de ces dispositifs permettent la télésurveillance, sorte de suivi en quasi-temps réel de l'activité du cœur. Concrètement, la prothèse cardiaque est connectée à une box, qui récupère les données et va les envoyer sur les serveurs des fabricants. Les logiciels des fabricants vont les analyser et alerter les cardiologues sous 24 heures en cas d'activité anormale. Les médecins interviennent ainsi à temps, et réduisent le taux de mortalité. Mais dans les faits, ce processus d'alerte s'avère plus laborieux, même si la télésurveillance fait économiser 500.000 euros de frais de soin par an et par patient en France:

"Le principal problème, c'est que le flux de données issu des dispositifs médicaux est trop important. En conséquence, parmi les alertes que les fabricants font remonter aux médecins, seulement 15% sont utiles", met en garde Arnaud Rosier, dirigeant d'Implicity.

Alors qu'ils doivent déjà trier les 85% de fausses alertes, les équipes médicales se confrontent à un autre problème : chacun des cinq fabricants de prothèses utilise son propre flux. Les praticiens reçoivent donc des informations imprécises, par cinq canaux différents, sur des plateformes datées. Et c'est ici qu'Implicity entre en jeu.

"Ca nous a pris deux ans, rien que pour parvenir à agréger les flux. Ensuite il a fallu homogénéiser les données, puisqu'elles viennent de sources différentes. Nous maintenons les données d'origine intactes, mais nous ajoutons une couche d'harmonisation", développe l'entrepreneur.

Réunir tous les flux de données existants pour des résultats plus précis

Lancée en 2018, la plateforme réunit à ce jour les données de 17.000 patients, issues de 25 centres de soins français. Elle permet aux cardiologues de se concentrer uniquement sur certains indicateurs, de comparer les indicateurs d'un patient à un autre échantillon, ou encore de dessiner l'évolution d'un indicateur. Le tout pour un prix "autour de 30 euros" par an et par patient.

Du côté de la recherche, la plateforme d'Implicity représente un trésor, car la collecte de donnée est un des principaux verrous de la recherche en santé. Or, la jeune pousse dispose de centaines de milliers de données, de bonne qualité et déjà organisées. Une équipe de chercheurs issus d'hôpitaux publics va donc mener une étude prospective sur plus de 5.000 patients sélectionnés dans la base.

Pour permettre l'émergence de tels projets, la startup a intégré a sa plateforme le recueil du consentement pour toute utilisation des données. Le patient peut exprimer clairement son consentement, se retirer à tout moment, et il reçoit sous forme de notice toute nouvelle utilisation de ses données. Les médecins font également passer un consentement sous forme papier pour valider le passage des données dans les serveurs.

"Avec le RGPD, nous avons encore renforcé l'explication de la finalité du recueil des données. Et les patients que nous interrogeons espèrent que leurs données vont être réutilisées. Ca ne leur demande pas d'effort supplémentaire puisqu'elles sont déjà collectées pour leur suivi médical, et ça peut participer à faire évoluer les soins" ajoute Arnaud Rosier.

Malgré ces premiers accomplissements, la jeune pousse ne veut pas s'arrêter à ce rôle d'agrégateur.

De l'intelligence artificielle... en attente

Arnaud Rosier dispose d'une double casquette parfaite pour son entreprise : cardiologue, il a également validé une thèse en intelligence artificielle, plus précisément en ingénierie des connaissances.

Avec ses équipes, il a repris son projet de thèse : un algorithme pour reproduire la façon dont les médecins et infirmiers filtrent les alertes issues des systèmes de télésurveillance. Grâce à cet outil, la startup parvient à filtrer 99% des faux positifs, tout en ne ratant aucun vrai positif. Surtout, elle pourrait faire gagner un temps précieux aux équipes médicales. L'algorithme a obtenu la certification de dispositif médical, les tests ont réussi... mais il n'est pas déployé.

"Nous travaillons toujours sur son financement, car nous ne sommes pas sûrs, pour l'instant, que les clients veulent payer pour cette fonctionnalité. En France, ils peinent déjà à payer notre service de base", regrette le dirigeant.

En partie pour remédier à ce problème de financement, mais aussi pour s'adresser à quatre millions de patients supplémentaires, la jeune pousse s'est donc tournée vers les Etats-Unis, grâce à une levée de fonds de quatre millions d'euros, annoncée en mars 2019. L'entrepreneur y voit un nouvel axe de développement :

"Les américains sont très pragmatiques : si nous leur montrons qu'ils vont économiser de l'argent, ils vont utiliser notre algorithme. Le marché américain, en terme de volume et de proportion à payer, est bien supérieur".

Un projet de prédiction lauréat du Health Data Hub

Peu après la levée de fonds, en avril, une autre bonne nouvelle tombe : le projet baptisé Hydro est un des 10 lauréats du Health Data Hub, sélectionné parmi plus de 180 candidatures. En résumé, ce Hub [piscine de données], créé dans le cadre du projet de loi "Organisation et Transformation du système de santé", rassemble les données de santé issues de plusieurs sources publiques. Le tout, dans un cadre sécurisé, avec un accès très encadré.

"Je pense que nous avons été choisis car nous sommes détenteurs de données, et que nous portons un projet complexe qui s'appuie sur des algorithmes labellisés "dispositif médical". Et puis nous avons la capacité pour le mettre le projet en production" explique le cardiologue.

Concrètement, le projet Hydro consiste à croiser les données de la plateforme avec les données des hospitalisations (et leur cause), contenues dans le Hub. L'objectif : établir un modèle prédictif pour les crises cardiaques, et intervenir en amont.

Arnaud Rosier développe : le plus souvent, les crises cardiaques sont liés à une surabondance d'eau dans les poumons. Après une première hospitalisation, le risque de réhospitalisation est de 40%, et le taux de mortalité grimpe à 20%. "Les patients entrent alors dans un cercle d'aggravation que nous voulons rompre", ajoute-t-il. Il chiffre le coût de ces crises à deux milliards d'euros, soit 10% du total des coûts d'hospitalisation. Pour repérer ces crises avant qu'elles se déclenchent, il n'existe qu'une seule solution.

"Le seul indicateur dont nous disposons pour anticiper une nouvelle crise est le poids. Car si le patient prend du poids rapidement, cela signifie que son coeur emmagasine de l'eau", déplore l'entrepreneur.

Mais ce n'est pas le seul problème : le médecin confronté à l'insuffisance cardiaque n'est pas nécessairement celui qui gère la prothèse cardiaque, et il n'a donc pas accès aux données de l'implant. Au terme du projet Hydro, le médecin pourrait accéder à l'ensemble des informations, et renforcer la surveillance aux moments pointés par le modèle prédictif.

En choisissant les données d'hospitalisation, Implicity s'appuie sur des données solides et évite l'usage de données trop biaisées, qui affecteraient négativement son algorithme de prédiction.

"Les données administratives ne sont pas toutes de bonne qualité, mais celles d'hospitalisation sont particulièrement fiables. D'abord, elles ne sont pas soumises à l'interprétation humaine. Ensuite, elles sont bien codées car l'hospitalisation est liée à une facturation, et car c'est une procédure fréquemment effectuée", précise Arnaud Rosier.

L'interaction de la startup avec le Hub est encadrée : elle va y entrainer ses algorithmes, et puis elle s'en déconnecte. Une fois son IA entrainée, le modèle va tourner sans connection avec le Hub.

15 millions de patients à suivre

L'année 2019 est donc particulièrement florissante pour Implicity, à peine trois ans après sa création. Grâce à sa récente levée de fonds, la startup compte aujourd'hui une trentaine d'employés. La plateforme est mise à jour toutes les deux semaines, et dispose d'une équipe dédiée à sa R&D :

"Nous réfléchissons déjà à l'intégration d'autres dispositifs, mais toujours pour des usages en cardiologie. Nous sommes partis du plus dur avec l'implant, mais il existe des tensiomètres connectés, des balances connectées, et tout un tas d'autre appareils qui pourraient alimenter notre plateforme", anticipe l'entrepreneur.

Accumuler et manipuler ces données sensibles n'est pas sans coût pour la startup. Elle doit héberger ses données sur des serveurs spécialisés, plus chers que les serveurs classiques. Ensuite, toute une autre partie de son équipe travaille au maintien des exigences réglementaires. La jeune pousse a un directeur de la sécurité, et un département dédié au respect des normes et au suivi de la qualité. Couteux, le respect de ces exigences lui permet cependant de répondre à plusieurs normes de sécurité et d'avoir le certificat de dispositif médical.

 "L'avantage, c'est que si nous sommes conforme en France, nous sommes conformes dans le monde entier, car c'est ici qu'il y a le plus haut niveau de contrainte", s'en amuse Arnaud Rosier.

La startup n'est pas rentable, même si elle enregistre des rentrées d'argent grâce à ses contrats avec 25 centres de soins français. Mais l'entrepreneur ne s'en soucis pas pour l'instant, et vise le moyen terme :

Nous cherchons à accélérer pour devenir incontournable à l'échelle mondiale. Nous avons une technologie qui peut s'applique sur 15 millions de patients en Europe et aux Etats-Unis, et nous n'en avons que 17.000. Ca vous laisse imaginer notre potentiel de croissance.

François Manens

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 04/10/2019 à 11:07
Signaler
Et le cancer ? Ben ouais c'est bien plus difficile à soigner rapportant beaucoup moins de blé...

à écrit le 04/10/2019 à 9:51
Signaler
La France pays de la contrainte. Un comble pour celui qui parle de liberte.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.