La startup de la semaine : LabSkin Creations, des peaux sur-mesure pour l'industrie cosmétique

Toutes les semaines, La Tribune braque les projecteurs sur une pépite méconnue de la French Tech. Cette semaine, LabSkin Creations, dont les cultures de cellules de peaux intéressent l'industrie cosmétique, mais aussi la direction générale de l'armement. Mais malgré ce succès, la startup, déjà rentable, privilégie une croissante lente à une levée de fonds.
François Manens
Grâce à un véritable catalogue de cellule, LabSkin peut créer à la demande tout type de peaux humaines.
Grâce à un véritable catalogue de cellule, LabSkin peut créer à la demande tout type de peaux humaines. (Crédits : Creative Commons Zero)

LVMH, L'Oréal ou encore Clarens lui commandent des peaux asiatiques, noires, blanches, plus ou moins vieilles ou polluées, similaires à telle ou telle partie
du corps... C'est un business particulier : LabSkin Creations vend des petits échantillons de peaux humaines sur-mesure, fabriquées grâce à des cultures de cellules. Elles servent aux industriels de la cosmétique à tester et développer leurs produits.

La petite équipe de la startup peut également prendre en charge toute la procédure d'étude et de développement de ces crèmes, baumes et autres lotions. Ce solide socle d'activité permet à la jeune pousse de développer des projets de R&D ambitieux, et notamment d'être à la pointe sur une technique de rupture, la bio-impression 3D de peaux.

Mais malgré sa rentabilité, LabSkin se confronte à une étonnante difficulté de croissance: la sur-spécialisation nécessaire de ses employés. Pas de quoi affoler sa fondatrice Amélie Thépot, qui préfère grandir lentement mais sûrement, que de perdre une partie de sa liberté d'action dans une levée de fonds.

Une technologie de laboratoire ciblée par les industriels


Début 2010, Amélie Thépot travaille dans le laboratoire des Substituts Cutanés de Lyon (CNRS), hébergé à l'hôpital Edouard Herriot et dirigé par la professeure Odile Damour. Cette pointure du domaine collabore avec le service des grands brûlés pour effectuer des greffes de peaux. Là où la plupart des peaux créées artificiellement ne reproduisent que l'épiderme (la couche supérieure), celles du laboratoires contiennent également le derme, la couche juste en dessous.

"L'épiderme est essentiel car, sans, on ne peut pas vivre. Le derme, à l'inverse, n'est pas vital. Mais il contient entre autres le collagène, qui permet l'élasticité de la peau. Si l'on ne greffe que de l'épiderme, les cicatrices peuvent être très laides, car la peau va manquer d'élasticité. Ce problème engendre une rigidité, qui peut aller jusqu'à empêcher de correctement déplier son bras, par exemple", développe l'entrepreneuse.

Pionnier sur le sujet, le laboratoire est régulièrement sollicité, au début des années 2010, par l'industrie cosmétique. En cause : la loi évolue pour progressivement exclure les tests de produits sur les animaux. Les industriels ont donc besoin d'une nouvelle source de peaux. Certaines entreprises, comme le champion régional Episkin, produisent de l'épiderme à échelle industrielle, mais elle ne peuvent répondre aux demandes les plus précises.

"Le laboratoire avait des contrats, notamment avec L'Oréal, mais ce n'était pas son cœur de métier. Nous avons donc proposé, en 2012, de créer une entreprise à partir de cette activité cosmétique", se rappelle-t-elle.

La chercheuse récupère alors une licence pour exploiter le procédé de création de peau. Elle passe ensuite par le programme d'incubation de Crealys, et 18 mois plus tard, en 2014, LabSkin Creations répond à ses premières commandes. Cela tombe bien : peu après, l'interdiction de tester sur des animaux s'étend à l'ensemble des ingrédients cosmétiques.

Des peaux sur-mesure

Depuis sa création, la startup continue d'améliorer la qualité de ses peaux en vue de se rapprocher de plus en plus d'une peau "réelle". Elle reproduit désormais l'hypoderme - une couche sous le derme, composée principalement de gras -, peut ajouter les glandes sébacées (qui sécrètent le sébum) ou encore les vaisseaux sanguins (mais sans le sang). Et ce ne sont que des exemples d'une longue liste de caractéristiques, qui lui permettent de faire toutes sortes de peaux, très proches de celles d'un public-cible.

"Nous aimons bien faire un clin d'œil à la couture en disant que nous faisons de la "haute-culture". Nous pouvons répondre à une demande très précise d'un industriel, qui voudrait par exemple tester une crème pour peaux asiatiques âgées et polluées", élabore Amélie Thépot.

LabSkin n'a pas de stock, car tout le processus de création démarre à la demande du client. L'expertise de la startup ne se limite pas au travail de culture : elle prend en charge tout un processus d'évaluation, voire de développement. De fait, les grands groupes s'appuient sur la startup pour externaliser une partie de leur R&D.

"Pour eux, nous sommes une cellule d'innovation, car nous avons moins de contraintes réglementaires et sommes plus réactifs", s'identifie-t-elle. L'entreprise réalise une quinzaine d'études par an, qui durent, chacune, entre un mois et deux ans. Parfois, la commande ne porte que sur un test rapide avant la mise sur le marché d'un produit. D'autres fois, le client attend de la startup qu'elle effectue elle-même les améliorations.

Pour pouvoir proposer des peaux de toutes sortes, l'entreprise récupère des tissus prélevés lors d'opérations, via une banque de tissus et un processus très réglementé. Elle en cultive ensuite les cellules pour reproduire le tissu, sur une surface de la taille d'une pièce de monnaie. "Nous avons créé un trésor", s'amuse la scientifique. La startup conserve les peaux dans de l'azote, pour qu'elles restent intactes pendant une vingtaine d'années. En cinq ans d'activité, elle a pu ainsi collecter des peaux de types et de conditions très différentes, mais aussi issues de toutes les parties du corps, comme les peaux de paupières par exemple.

Un procédé révolutionnaire en R&D

En même temps que son activité principale, l'équipe de huit scientifiques travaille sur des projets de R&D. Dès 2015, la startup a déposé un brevet sur un processus de bio-impression 3D pour ses peaux, qu'elle espère, à terme, effectuer directement sur les patients. Concrètement, l'imprimante 3D, reliée à un ordinateur, est équipée d'une seringue avec des pistons. Elle peut scanner la plaie du patient pour s'y adapter précisément, là où les chirurgiens utilisent des carrés de peau. Elle peut ensuite dessiner la peau à même le patient, en posant un gel qui contient des cellules sur la zone à traiter. Pour éviter tout risque de rejet, la startup cultive la peau greffée à partir des cellules du patient. La jeune pousse évalue la faisabilité de cette bio-impression en clinique, dans une course face à d'autres équipes, notamment américaines. Mais Amélie Thépot voit plus loin, et s'imagine déjà reconstituer des structures 3D complexes, comme les glandes mammaires dans le cadre d'une mammoplastie.

La startup ne travaille que sur le gel, le reste du développement de la machine fait l'objet d'un partenariat de recherche avec la plateforme spécialisée 3dFab, de l'Université de Lyon. La direction générale à l'armement du ministère des Armées s'est également intéressée à la technologie et a financé en partie un projet baptisé Bloc Print, fin 2016. L'objectif : produire des greffons et effectuer la bio-impression grâce à un bras robotisé, mais directement sur le terrain.

LabSkin Creation est rentable depuis sa création, lorsque Amélie Thepot était la seule employée. Dans un écosystème de la cosmétique relativement petit, présenter ses travaux aux congrès scientifiques suffit à attirer les clients. En conséquence, sur les huit employés de la startup, tous sont scientifiques. Mais malgré un carnet de commande rempli et sa R&D de pointe, LabSkin grandit lentement. Si la dirigeante veut garder son entreprise à une taille raisonnable, elle veut tout de même grossir. Elle se confronte alors à la difficulté de trouver des employés compétents.

"Un surcroît d'activité ne suffit pas à embaucher. Il nous faut former les nouveaux employés pendant un an. Nous avons un métier très spécifique, pour lequel il faut être manuel et minutieux. En cosmétique, les cycles d'innovation sont courts, donc nous ne pouvons pas nous permettre de rater une peau que nous avons mis deux mois à développer", regrette l'entrepreneuse.

François Manens

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 18/10/2019 à 16:19
Signaler
...ou comment faire la peau à la concurence en faisant peau neuve.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.