"Les investisseurs sont focalisés sur la survie de leurs startups" (Benoist Grossmann, Idinvest et France Digitale)

Coprésident de France Digitale depuis fin 2019 et managing partner du fonds d'investissement Idinvest, Benoist Grossmann détaille pour La Tribune l'impact de la crise du Covid-19 sur la mortalité des startups, sur l'activité des investisseurs, et ce qu'elle va changer pour l'écosystème tech. Entretien.
Sylvain Rolland
Benoist Grossmann, managing partner chez Idinvest et coprésident de France Digitale.
Benoist Grossmann, managing partner chez Idinvest et coprésident de France Digitale. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Nous sommes entrés dans une crise économique d'une ampleur historique. Comment percevez-vous son impact sur le secteur de la tech ?

BENOIST GROSSMANN - Les entreprises du numérique sont peut-être les moins mal loties car elles sont plus agiles. Il est plus facile pour une startup de pivoter son activité pour s'adapter à la nouvelle donne, que pour une entreprise dans l'industrie traditionnelle par exemple. Le confinement est aussi moins difficile quand on est une entreprise du digital, car elles utilisaient déjà des outils numériques et pour certaines le télétravail était déjà intégré dans le fonctionnement interne. De plus, il n'y pas que des perdants dans une crise, et on voit que les entreprises qui résistent le mieux, voire qui profitent d'un effet d'aubaine, sont les plus innovantes, comme Doctolib, les solutions de télétravail ou de streaming. On a besoin d'innovations pendant la crise, et c'est pourquoi les solutions des startups qui savent s'y adapter ont tout à fait leur place dans le monde d'après.

Ceci dit, tout le monde est dans le dur en ce moment, la crise est d'une violence inouïe et je pense qu'on n'en mesure pas encore tous les effets. La tech souffre moins que les autres secteurs, elle s'en remettra sûrement plus vite parce que l'innovation est dans son ADN, mais elle souffre quand même. Quasiment toutes les startups sont impactées dans leurs activités et doivent recourir aux dispositions de soutien mises en place par l'Etat, comme le chômage partiel et les PGE [prêts garantis par l'Etat, ndlr]. Sans ça, beaucoup devraient mettre la clé sous la porte.

Lire aussi : Levées de fonds : la chute s'amplifie en avril à -31% sur un an... et ce n'est pas fini

Craignez-vous une sur-mortalité chez les startups ?

Non, pour plusieurs raisons. Déjà parce qu'en temps normal, l'échec fait partie de la culture de l'innovation. Le taux de mortalité est fort chez les startups car chacune est un pari fondé sur une innovation technologique ou d'usage, avec donc des risques d'échec élevés si la startup ne trouve pas assez vite son marché. Ensuite, parce que je pense qu'avant la crise, il y avait une sous-mortalité des startups en France. L'argent coulait à flots, donc beaucoup d'entrepreneurs arrivaient à se financer et ce n'était pas forcément justifié pour tous.

La tech obéit à une forme de darwinisme où seuls les meilleurs survivent. Il y une mortalité liée à la crise du Covid-19, c'est une évidence, mais ce sera plus un rééquilibrage, un passage à une mortalité normale, qu'une sur-mortalité. Il y aura probablement aussi des morts au sein du Next40, mais ce n'est pas gênant car toutes les startups ne peuvent pas être des succès sur le long terme.

Pourtant, la crise touche également de plein fouet les investisseurs, dont l'activité est fortement réduite depuis la mi-mars. L'accès au financement est donc très compliqué en ce moment pour les startups, les levées de fonds ont déjà chuté de 31% en avril sur un an, et cet effondrement devrait s'amplifier dans les prochains mois. Beaucoup de startups ne vont-elles pas mourir à cause de cela ?

Il est clair que le confinement a porté un gros coup à l'activité des investisseurs. La plupart des levées de fonds initiées avant la crise sont en pause en ce moment, tout simplement car il est compliqué pour un investisseur -et impossible en ce qui me concerne-, de prendre une décision sans au moins une rencontre physique avec l'entrepreneur. Mais la plupart de ces dossiers-là vont reprendre avec le déconfinement, les deals vont donc être simplement repoussés de quelques mois.

La crise pénalise surtout les startups qui comptaient débuter leur processus de levée de fonds entre avril et septembre, qu'il s'agisse de financement d'amorçage, de Série A [première levée de fonds avec des investisseurs institutionnels, ndlr] et même des très gros tickets de plus de 50 millions d'euros. Les grosses levées vont être plus rares car les investisseurs vont être plus réticents à lâcher beaucoup d'argent tant que l'économie mondiale sera si incertaine. Ces startups matures vont toutefois réussir à se refinancer, surtout si leur activité persiste malgré la crise, mais peut-être pas au même niveau qu'avant.

Le plus dur, ce sera pour les startups qui n'ont pas encore d'investisseurs et qui en cherchent. Aujourd'hui, la réalité est que nous n'avons pas la tête à faire de nouveaux investissements. Nous sommes tous focalisés sur la survie de notre portefeuille car personne ne sait ce qui se passera cet été et au-delà. Faire des projections de croissance et de chiffre d'affaires dans ce contexte n'a pas de sens.

Lire aussi : "Investir dans les startups en amorçage est moins risqué que la Bourse ces temps-ci !" (Stéphanie Hospital, OneRagtime)

Vous ne comptez pas investir dans une nouvelle startup dans les prochains mois ?

On regarde bien sûr, et il y a des choses en cours, mais personnellement je consacre l'essentiel de mon énergie à aider mes participations. Quand tout va bien, que l'argent coule à flots et que l'économie est florissante, l'investisseur est plutôt un spectateur très attentif dans la vie de ses startups. Mais en temps de crise, chacun doit se retrousser les manches. Le besoin de conseils est plus fort, ce qui renforce notre rôle et notre raison d'être auprès des entrepreneurs.

Je dis à mes participations : "faites avec votre cash, partez du principe qu'il n'y a pas de prochaine levée". De manière générale, beaucoup moins de nouveaux dossiers arrivent, car les startups qui le peuvent repoussent leur levée, elles savent instinctivement que la bande-passante est réduite. Et puis personnellement, j'ai davantage de mal aujourd'hui à écouter un entrepreneur me dire qu'il va changer le monde et s'introduire au Nasdaq en 2025 qu'il y a trois mois.

Le monde a changé, tout devient incertain. C'est valable pour nous, comme pour nos propres investisseurs. On voit aujourd'hui que certains investisseurs Tibi [les investisseurs institutionnels qui avaient promis d'injecter 6 milliards d'euros dans le financement de la tech, ndlr] prennent leur temps, mais on ne peut pas leur en vouloir. Que tout le monde soit moins actif est une évidence. Et il ne faut pas oublier qu'un fonds dure entre 5 et 10 ans. Donc il est urgent pour tout le monde d'attendre quelques mois, ce n'est pas grave.

Comment les startups peuvent-elles s'adapter ?

La bonne nouvelle, c'est qu'il est possible pour les startups de tailler dans le gras sans mourir. La culture financière était différente avant la crise, toutes les boîtes consommaient beaucoup de cash, trop même, sans vraiment rationaliser leurs dépenses puisqu'elles savaient que le robinet à cash était grand ouvert. La valorisation était calculée sur la base du chiffre d'affaires et de la croissance plutôt que sur la profitabilité. Il était plus simple de lever 10 millions d'euros de plus que de rationaliser ses coûts !

Cela va changer et ce n'est pas une mauvaise chose. Aujourd'hui, une startup qui perd 30% de son chiffre d'affaires à cause du Covid-19 n'a pas d'autres choix que de gérer différemment son argent. Elle apprend à consommer moins de cash qu'avant la crise, à devenir résiliente et efficiente. C'est ce qui m'intéresse en premier lieu désormais en tant qu'investisseur. Grâce aux prêts garantis par l'Etat (PGE), les entrepreneurs peuvent aussi se financer autrement. Et puis, est-il si gênant que ça de lever moins d'argent ? La crise va changer notre rapport au succès, la course aux fonds et à l'hyper-croissance n'est pas le seul horizon des startups.

Vous avez pris les rênes de France Digitale en fin d'année dernière. Où voulez-vous l'amener et aidez-vous les startups et les investisseurs pendant cette crise ?

Je suis membre de France Digitale depuis sa fondation en avril 2012. J'ai été administrateur entre 2012 et 2014, je le suis redevenu en 2018 et je préside désormais le collège Investisseurs. Notre force est de représenter les deux côtés de l'entrepreneuriat, c'est-à-dire les entrepreneurs et les investisseurs. Nous pouvons donc créer des ponts en cette période difficile car nous avons l'oreille de Cédric O et de son cabinet, ainsi que de Bpifrance et de Bercy. Nos idées ont été largement reprises par le gouvernement pour permettre aux startups d'accéder plus facilement aux prêts bancaires et aux mesures de chômage partiel. Nous avons aussi lancé des kits à destination des entrepreneurs pour les aider à s'adapter au confinement et désormais au déconfinement, nous organisons des webinars sur de nombreux thèmes pour partager les bonnes pratiques et leurs donner tous les conseils dont ils ont besoin pour passer cette crise. Enfin, nous avons lancé une Charte de bonnes pratiques, signée par la quasi-totalité de nos 1500 membres entrepreneurs et investisseurs.

Cette charte est-elle une réaction à la grogne d'entrepreneurs sur les abus de certains investisseurs qui profitaient de la crise pour monter davantage au capital des entreprises, réduire la valorisation et imposer des conditions plus contraignantes ?

Non, la Charte n'a pas été créée suite à ces critiques, elle a lancée un peu avant. Elle ne se destine pas uniquement aux investisseurs, mais aussi aux entrepreneurs. Comme le gouvernement aide beaucoup l'écosystème, l'idée était de créer un code de bonne conduite et de prévenir les abus. Du côté investisseurs, les signataires s'engagent à ne pas profiter de la crise, qui se traduit par un accès plus difficile au financement, pour prendre 90% d'une startup lors d'une levée de fonds, ou se désengager d'un processus en cours. Ils s'engagent à agir comme ils le faisaient avant-crise. De leur côté, les entrepreneurs s'engagent à ne pas abuser des aides de l'Etat, sur le chômage partiel par exemple où il peut être tentant d'utiliser ce dispositif pour réduire ses coûts tout en continuant de travailler. La charte a aussi été approuvée par d'autres fédérations professionnelles du numérique comme France Biotech, Syntec Numérique et Croissance+.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 08/05/2020 à 12:31
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