Levées de fonds : la chute s'amplifie en avril à -31% sur un an... et ce n'est pas fini

D'après nos données, les startups de la French Tech ont levé 355,36 millions d'euros au mois d'avril 2020, essentiellement grâce à des opérations signées avant le début du confinement. La chute est de presque un tiers par rapport à avril 2019. Mais le "vrai" impact de la crise du Covid-19 se fera sentir dans quelques mois, quand les opérations qui auraient dû être signées depuis la mi-mars, et qui ont été stoppées ou repoussées, manqueront à l'appel.
Sylvain Rolland
A cause du délai de plusieurs mois entre le processus d'investissement et l'annonce de la levée, le ralentissement très réel de l'activité des investisseurs depuis la mi-mars ne se traduit que marginalement dans les chiffres d'avril.

Les chiffres sont parfois trompeurs. Avec 355,36 millions d'euros levés en avril pour 37 opérations d'après nos calculs, on pourrait croire que les startups françaises résistent plutôt bien malgré une crise économique d'une ampleur historique. Car alors que la France est paralysée par le confinement, les investisseurs ont davantage financé de pépites technologiques en avril qu'en mars (355 millions d'euros contre 326), et la French Tech a continué à engendrer de grosses levées de fonds, comme en témoignent les 59 millions d'euros du champion du e-commerce Vestiaire Collective, les 50 millions de l'assurtech Alan et de la medtech Dynacure, ou encore les 40 millions de Robocath, spécialisée dans la robotique pour le secteur de la santé.

Mais sous la surface se cache une réalité moins joyeuse, et annonciatrice de mois plus sombres à venir. Car après une baisse de 16% sur un an en février et de 23% en mars, la décroissance des levées de fonds continue et s'amplifie avec une chute de 31% par rapport à avril 2019, où la French Tech avait levé 514 millions d'euros. Et cette tendance devrait se poursuivre dans les mois à venir, estiment les experts du secteur.

Lire aussi : Levées de fonds : grosse chute à venir au 2è trimestre pour la French Tech

Le confinement a un impact réel sur le capital-risque, mais il est encore peu visible

Contrairement à la plupart des autres secteurs qui pâtissent directement et fortement du confinement de la population, l'effet de la crise sur le capital-risque se mesurera vraiment dans un second temps, comme un effet boomerang. "Il faut en moyenne entre trois et six mois pour "closer" un tour de table", raconte Franck Sebag, associé au sein du cabinet de conseil EY, et dont le métier consiste à assister les startups et les investisseurs pendant le processus long et complexe de la levée de fonds. C'est seulement après la signature, puis la validation par le conseil d'administration de la startup, que la levée est rendue publique, et c'est à ce moment-là qu'elle est comptabilisée dans les décomptes mensuels, dont celui de La Tribune. Autrement dit, les levées de fonds annoncées en avril ont pour la plupart été finalisées avant le confinement de la mi-mars, voire même avant que le Covid-19 soit un sujet de préoccupation général en France.

Or, le confinement impacte fortement l'activité des fonds d'investissement et des business angels, comme l'expliquait dans nos colonnes l'investisseuse Stéphanie Hospital, de OneRagtime. Certaines de ces conséquences sont déjà visibles, d'où la chute de 31% sur un an en avril alors que la tendance était à une forte augmentation des montants levés avant la crise du Covid-19. Sous couvert d'anonymat, entrepreneurs et investisseurs confient que certains deals en cours de finalisation avant la crise ont été soit stoppés net et repoussés à une date ultérieure, soit renégociés pour tenir compte du contexte macro-économique, avec des conditions moins avantageuses pour les entrepreneurs, une valorisation revue à la baisse (-20% en moyenne d'après les estimations), et parfois un ticket moins important que prévu.

Du coup, les entrepreneurs qui le peuvent décident de repousser leur tour de table : d'après plusieurs investisseurs contactés par La Tribune, "beaucoup moins" de dossiers arrivent sur leur bureau depuis la mi-mars. Et de toutes façons, ceux-ci se montrent frileux. Même si de nombreux fonds gardent les poches pleines et doivent investir l'argent dont ils disposent, le réflexe des investisseurs en temps de crise est l'attentisme et la volonté de protéger avant tout les startups qu'ils ont déjà dans leur portefeuille, en réinjectant de l'argent si besoin. "C'est pourquoi certaines startups très touchées par la crise et qui ne comptaient pas relever de l'argent avant l'année prochaine, vont se refinancer auprès de leurs investisseurs déjà présents au capital dès que possible, pour leur permettre de tenir bon", ajoute Franck Sebag.

Cet attentisme des investisseurs, doublé au fait qu'il est plus compliqué de mener à bien un processus d'investissement de manière virtuelle à cause du confinement, se fait surtout au détriment des nouveaux investissements. Les entrepreneurs en quête de financements d'amorçage ou d'une Série A, c'est-à-dire la première levée avec des investisseurs institutionnels, sont les plus touchés. "Au moment du confinement je faisais mon road show [rencontres avec les investisseurs intéressés par le dossier, NDLR], j'avais plusieurs touches mais tout s'est arrêté", raconte un entrepreneur dépité au stade de la Série A, au diapason de plusieurs témoignages recueillis par La Tribune. Mais de manière globale, à cause du délai de plusieurs mois entre le processus d'investissement et l'annonce de la levée, ce ralentissement très réel ne se traduit que marginalement dans les chiffres d'avril.

Lire aussi : "Investir dans les startups en amorçage est moins risqué que la Bourse ces temps-ci !" (Stéphanie Hospital, OneRagtime)

Effet boomerang à partir de juin ?

D'après les investisseurs et spécialistes consultés par La Tribune, cet effet boomerang du capital-risque se ressentira surtout à partir du mois de juin. "Le vrai trou d'air risque d'arriver un peu plus tard, quand les deals qui devraient être en préparation en ce moment auraient dû être signés et annoncés, car tout fonctionne vraiment au ralenti", estime Arthur Porré, cofondateur et managing partner du cabinet de conseil Avolta Partners. De son côté, Franck Sebag s'attend à un mois de mai dans la lignée du mois d'avril, c'est-à-dire avec toujours quelques grosses levées de refinancement et de moins en moins de Série A et d'investissements d'amorçage.

"Dans les dossiers qu'on voit en ce moment, les fonds d'investissement privilégient les obligations convertibles, il y a beaucoup plus de dette et moins de capital dans les opérations. Mais globalement, c'est vraiment très calme. Si on considère que les effets du Covid-19 commencent début mars, alors on devrait vraiment sentir le ralentissement à partir de juin", ajoute-t-il.

Dans le détail, sur les 37 opérations du mois d'avril 2020, six startups ont levé plus de 20 millions d'euros, quatre ont levé entre 10 et 20 millions d'euros (Adjaro, Phost'In Therapeutics, D-Aim et Slite), six ont levé entre 5 et 10 millions d'euros, huit entre 2 et 5 millions d'euros, et douze ont récolté moins de 2 millions d'euros.

Plus de 20 millions d'euros : Vestiaire-Collective (59M), Alan (50M), Dynacure (50M), Robocath (40M), InsideBoard (25M) et Iten (20M)

Entre 10 et 20 millions d'euros : Andjaro (13,4M), Phost'In Therapeutics (10,3M), D-Aim (10M) et Slite (10M)

Entre 5 et 10 millions d'euros : Certideal (8M), MyLightSystems (6,5M), Qarnot Computing (6M), Chance (5,6M), Creads (5,5M) et Spareka (5M)

Entre 2 et 5 millions d'euros : Libeo (4M), Energie IP (3M), Qotto (2,24M), Bowo (2M), Seraphin.legal (2M), Warmango (2M), Isybot (2M) et Sarus (2M)

Moins de 2 millions d'euros : Easyblue (1,6M), EkWateur (1,5M), Dianosic (1,5M), Solaire Box (1,4M), Nyctale (1M), Jus Mundi (1M), Lizee (1M), TOOPI Organics (1M), Adrenalead (1M), Cosmoz (0,35M), Fabulabox (0,24M), Namaki Cosmetics (0,13M), Polymate (0,1M).

Lire aussi : Back Market, ManoMano, Meero, Doctolib... toutes les méga-levées de fonds des startups françaises

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