Les startups françaises ont levé 5 milliards d'euros en 2020... comme l'an dernier

EXCLUSIF. Malgré la crise du coronavirus et deux confinements, la résilience du capital-risque français en 2020 est réelle : les startups ont levé pile 5 milliards d'euros en 2020, exactement comme l'an dernier (-0,1%), d'après le baromètre exclusif de La Tribune. Grâce à un écosystème de financement de mieux en mieux structuré, le verrou du "late stage" -les tours de table supérieurs à 50 millions d'euros- a sauté en 2020, ce qui a compensé la chute de 13% du nombre d'opérations (640 contre 736 l'an dernier). Décryptage.
Sylvain Rolland
(Crédits : LT)

Malgré la crise, la French Tech tient bon et peut garder la tête haute. D'après le baromètre des levées de fonds de La Tribune, les startups tricolores ont levé pile 5 milliards d'euros en 2020 (4,996 milliards), pour un total de 640 opérations. En valeur, il s'agit d'une stagnation quasi-parfaite par rapport à 2019 (5,03 milliards d'euros d'après le décompte officiel de EY, soit -0,1%), ce qui confirme la grande résilience de l'écosystème d'innovation français malgré la Covid-19.

En revanche, l'impact de la crise se ressent surtout en volume : le nombre d'opérations a chuté de 13% en 2020, à 640, loin du record de 736 en 2019. Les startups en amorçage ou qui cherchaient à lever des fonds pour la première fois, ont pâti du contexte économique morose plus que les autres, qui ont trouvé à se refinancer sans trop de problèmes si la crise leur ouvrait des opportunités.

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A noter que certaines startups -24 dans la liste de La Tribune- n'ont pas révélé le montant de leur levée de fonds en 2020. Généralement, cette discrétion s'explique parce que le montant est très faible : il ne change donc que très marginalement le total. En 2020, c'est vraisemblablement le cas pour la quasi-intégralité des startups dont on ne connaît pas le montant du tour de table, à l'exception notable de Voodoo. L'éditeur de jeux vidéos a annoncé en août l'entrée du chinois Tencent à son capital, à l'occasion d'une opération financière dont les détails n'ont pas été révélés, mais qui valorise la startup 1,2 milliard d'euros.

Soutien massif de l'Etat aux startups

Le verre est donc à la fois à moitié plein et à moitié vide. A moitié plein car la tech est logiquement le secteur qui tire le plus profit de la crise : la numérisation à marche forcée de la société et de l'économie à cause des confinements et de la nécessité de la distanciation sociale, poussent à l'adoption de nouvelles solutions de télétravail, de télémédecine, d'éducation à distance ou encore de logiciels de transformation numérique et autres services dématérialisés (fintech, assurtech, legaltech, jeux vidéos, sport en ligne...).

A l'exception des secteurs du tourisme et de l'événementiel, qui ont pris la crise de plein fouet, les autres secteurs ont plus que jamais besoin d'innovations, ce qui accélère le business de nombreuses startups existantes et ouvre de nouvelles perspectives aux entrepreneurs. D'autant plus que la prise de conscience écologique déclenchée par le contexte actuel donne un coup d'accélérateur inédit aux innovations dans le domaine de l'énergie et de l'environnement, ainsi qu'aux deeptech, ces innovations de rupture dont le but est de répondre aux défis économiques, technologiques et environnementaux du XXIè siècle.

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Autrement dit : malgré l'incertitude économique, les investisseurs ont tout de même ouvert leur portefeuille en 2020 pour financer les startups, ce qui devrait aboutir sur un record de levées de fonds en Europe, d'après les perspectives du britannique Atomico. Et d'autant plus en France, où l'écosystème a été fortement soutenu par l'Etat. Le secteur a bénéficié d'un plan de soutien de 4 milliards d'euros annoncé dès le premier confinement de mars, auquel il faut ajouter les 3,7 milliards d'euros budgétés dans le cadre du plan de relance dévoilé en septembre, ainsi que des initiatives comme les prêts garantis par l'Etat, qui ont bénéficié à plus de 80% des startups d'après France Digitale.

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Déblocage du verrou du "late-stage"

La résilience de la French Tech en 2020 s'explique aussi par le passage d'un cap dans le financement des startups. Jusqu'à présent, la France était très en retard sur ses voisins britannique et allemand sur le "late stage", c'est-à-dire les levées de fonds de plus de 50 millions d'euros, et notamment sur les méga-levées, c'est-à-dire les tours de table dépassant les 100 millions d'euros. L'écosystème français n'était pas capable de financer les plus gros tickets, et les startups françaises attiraient peu les investisseurs internationaux.

Ce verrou a sauté en 2020. Neuf startups (Mirakl, Ynsect, EcoVadis, ContentSquare, Sendinblue, ManoMano, Back Market, Qonto et Kineis) ont réussi des méga-levées de fonds de plus de 100 millions d'euros. Il y en a même eu davantage en 2020 qu'en 2017, 2018 et 2019 réunis (9 contre 8). Mirakl (257 millions d'euros en octobre), accroche même le top 10 européen, à la 7è place d'après Atomico. Tout un symbole : c'est la première fois qu'une startup française s'introduit dans le top 10 européen de l'année.

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Ce déverrouillage très attendu du "late stage" est une conséquence logique de l'hyper-croissance de la French Tech, qui bénéficie d'un effet de rattrapage par rapport à ses voisins britannique et allemand. Plus les startups lèvent des fonds et réussissent des Séries A et des Séries B -ce qui était le cas ces dernières années-, plus elles grandissent et finissent par avoir besoin de lever encore plus d'argent pour conquérir leur marché et devenir des géants. Ynsect, par exemple, avait levé sa Série A et sa Série B en 2014 (1,8 et 5,5 millions d'euros), sa Série C de 14,2 millions d'euros fin 2016, et sa Série D de 110 millions d'euros fin 2019, avant de repasser à la caisse en octobre 2020 pour devenir le leader mondial des protéines alternatives pour l'alimentation animale. Sendinblue, Mirakl, ContentSquare, Back market et la plupart des autres méga-levées de 2020 ont signé leurs premiers tours de table il y a plus de cinq ans. Autrement dit, la French Tech arrive à un point où la croissance de l'écosystème entraîne mécaniquement des méga-levées de fonds, parfois synonymes de nouvelles licornes (startups valorisées plus d'un milliard d'euros et non cotées en Bourse), dont le nombre explose également depuis deux ans.

L'écosystème privé s'est également structuré ces dernières années pour pouvoir les financer, en partie grâce à la puissance publique et notamment Bpifrance. La banque publique investit massivement en direct et en fonds de fonds pour créer un effet de levier. Elle a encore été en 2020 le principal investisseur dans les startups françaises. Le plan Tibi, qui a encouragé les investisseurs institutionnels à promettre 6 milliards d'euros -dont 3 milliards pour le "late stage" et 3 milliards pour développer les entrées en Bourse-, joue également un rôle. Enfin, l'attrait des investisseurs étrangers pour les pépites françaises est aussi de plus en plus fort, puisque six des neuf méga-levées de 2020 ont été menées par un investisseur étranger (2 américains, 2 britanniques, 2 asiatiques).

Les méga-levées de fonds, l'arbre qui cache la forêt en 2020 ?

Malgré ces bonnes nouvelles, les montants levés par les startups françaises stagnent par rapport à 2019. Le déverrouillage des méga-levées de fonds permet donc à peine de masquer en valeur une vraie chute en volume : à cause de la crise, le nombre d'opérations a chuté de 13%, à 640 contre 736 en 2019. Certes, la French Tech a été résiliente en atteignant encore la barre symbolique des 5 milliards d'euros levés. Mais 2020 marque un très net coup d'arrêt de la dynamique d'hyper-croissance, qui s'élevait autour de 40% par an ces trois dernières années : 41% entre 2017 et 2018, 39% entre 2018 et 2019... et donc -0,1% entre 2019 et 2020.

Dans le détail, seul le segment du late stage progresse sur un an. Tous les autres sont en baisse : en 2020 il y a eu 9 opérations à plus de 100 millions d'euros (4 en 2019, +125%), 14 entre 50 et 100 millions d'euros (12 en 2019, +17%), 33 de 20 à 50 millions d'euros (47 en 2019, -30%), 52 opérations entre 10 et 20 millions d'euros (72 en 2019, -28%), 76 entre 5 et 10 millions d'euros (91 l'an dernier, -16%) et 454 de moins de 5 millions d'euros (510 en 2019, -11%). Autrement dit, il a été facile de se refinancer pour les startups-stars ou particulièrement bénéficiaires de la crise. Beaucoup d'autres, en revanche, ont dû accepter moins que ce qu'elles espéraient, car globalement, les investisseurs ont tout de même réduit -un peu- la voilure.

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Le Top 20 des levées de fonds en 2020

  • 1. Mirakl (257,8 millions d'euros, septembre)
  • 2. Ynsect (190 millions d'euros, novembre)
  • 3. EvoVadis (180 millions d'euros, janvier)
  • 4. ContentSquare (174 millions d'euros, mai)
  • 5. Sendinblue (140 millions d'euros, octobre)
  • 6. ManoMano (125 millions d'euros, janvier)
  • 7. Back Market (110 millions d'euros, mai)
  • 8. Qonto (104 millions d'euros, janvier)
  • 9. Kineis (100 millions d'euros, février)
  • 10. Aledia (80 millions d'euros, octobre)
  • 11. Exotec (77,2 millions d'euros, septembre)
  • 12. Lydia (72 millions d'euros, décembre)
  • 13. Swile (70 millions d'euros, juin)
  • 13ex. Innovafeed (70 millions d'euros, novembre)
  • 15. LumApps (63 millions d'euros, janvier)
  • 16. Owkin (62 millions d'euros, juin)
  • 17. Aircall (60,2 millions d'euros, mai)
  • 18. Vestiaire Collective (59 millions d'euros, avril)
  • 19. Withings (53 millions d'euros, juillet)
  • 20. MWM (50 millions d'euros, mars)
  • 20ex. Dynacure (50 millions d'euros, avril)
  • 20ex. Alan (50 millions d'euros, avril)
  • 20ex. Luko (50 millions d'euros, décembre)
Sylvain Rolland

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Commentaires 4
à écrit le 08/01/2021 à 17:24
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Une grande partie de cet argent dépensé en pure perte. Mais ça ne doit pas être bien grave, puisque l'argent coule à flot dans le fleuve du "Quoi qu'il en coûte".

le 10/01/2021 à 14:44
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Tout n'est pas perdu pour les copains à Manu qui ont traversé la rue pour créer une "startup" avec zéro client et une poignée d'utilisateurs en bénéficiant de rétro-commission (cf. TousseAntiCovid)...

à écrit le 08/01/2021 à 10:23
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Au vue de l'économie du pays, de sa structure, disons que si la crise peut avoir un sens, ce n'est pas dans l'argent que l'on donne, mais de celui que l'on crée ! Et comme les système techno sont antifragiles par définition, la structuration même ...

à écrit le 08/01/2021 à 10:17
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Levez autant d'argent pour accoucher de si peu d'innovation, les riches jouent a ce simili loto faute de mieux! Sachant que la majorité, des soit disant innovations, ne sont que des systèmes pour jouer les intermédiaires! Du parasitisme!

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