French Tech : près de 700 millions d'euros levés en octobre, le verrou du "late stage" a sauté

ANALYSE. Comme tous les mois, La Tribune sort son propre baromètre des levées de fonds de la French Tech. En octobre 2020, les startups françaises ont récolté 697 millions d'euros, soit une progression importante de 51% sur un an, pour un total de 71 opérations, stable sur un an. Ces chiffres donnent deux enseignements : le premier est qu'après avoir chuté de 19% sur un an depuis la crise du Covid-19, le nombre d'opérations repart enfin à la hausse, même si le reconfinement menace cette reprise. Le deuxième est qu'avec deux nouvelles méga-levées en octobre, le verrou du financement de "late stage" semble bel et bien avoir sauté cette année. Explications.
Sylvain Rolland
Ynsect, startup des Hauts-de-France spécialisée dans la production de protéines alternatives pour l'alimentation animale, a signé la plus grosse levée de fonds du mois d'octobre, de 190 millions d'euros.
Ynsect, startup des Hauts-de-France spécialisée dans la production de protéines alternatives pour l'alimentation animale, a signé la plus grosse levée de fonds du mois d'octobre, de 190 millions d'euros. (Crédits : DR)

S'il n'y avait pas eu de deuxième confinement, qui risque de ralentir à nouveau l'activité des investisseurs, la French Tech aurait-elle terminé l'année en fanfare en rattrapant la baisse historique du premier semestre ? Tout porte à le croire. D'après nos chiffres, les startups françaises ont levé 697 millions d'euros en octobre 2020 pour 71 opérations. Sur un an, c'est une progression sur tous les tableaux : 51,5% en valeur (460 millions d'euros en octobre 2019) et 1% en volume (70 opérations en octobre 2019).

Lire aussi : Levées de fonds : la French Tech est résiliente mais accuse le coup depuis la crise du Covid-19

Des signes tangibles d'une reprise... menacée par le reconfinement

Ce dernier chiffre est particulièrement révélateur de la reprise du capital-risque français, car la crise du Covid-19 a surtout impacté le nombre d'opérations, qui a chuté de 19% entre mars et septembre 2020 par rapport à la même période l'an dernier. Dans le sillage d'un été plus ensoleillé qu'attendu et meilleur que l'an dernier sur le nombre d'opérations, et d'un mois de septembre canon mais toujours en retrait sur le critère du nombre d'opérations, le fait qu'octobre renoue avec la croissance sur ce critère est donc un vrai indicateur de reprise.

En revanche, le reconfinement du pays depuis fin octobre, prévu au moins jusqu'au 1er décembre, pourrait enrayer cette belle dynamique de reprise. Le premier confinement entre mars et mai avait mis un brutal coup d'arrêt aux nouveaux projets de financement, impactant donc surtout l'amorçage et les Série A, qui représentent l'essentiel des tours de table de la French Tech en volume. Si le deuxième confinement, moins strict, sera moins impactant que le premier car les investisseurs se sont adaptés à la nouvelle donne, de nombreux projets pourraient tout de même être ralentis ou décalés. Comme nous l'expliquait en avril l'investisseuse Stéphanie Hospital, la rencontre physique est primordiale pour l'investissement d'amorçage. Cette phase est un pari sur une innovation et une équipe pour la porter, décidé essentiellement en fonction du "feeling avec les entrepreneurs", mis à mal par le confinement :

"Avec le confinement, il n'y a pas de rencontre physique, ni de visite des locaux. Or, ce sont des étapes cruciales avant de prendre une décision, surtout pour l'amorçage où l'investisseur ne peut pas s'appuyer sur des critères de performance étant donné que la startup est au tout début de sa vie, sans clients et parfois sans produit fini. La décision d'investir se prend donc en fonction du feeling avec les personnes qui portent le projet. C'est le critère principal. Bien sûr, les outils de visioconférence sont très utiles, mais le confinement ajoute un facteur de risque supplémentaire".

Lire aussi : Méga-levée de 255 millions pour Mirakl, nouveau record de la French Tech en 2020

Le verrou du "late stage" a sauté et fait exploser les montants levés

La progression spectaculaire des montants levés en octobre sur un an s'explique par le fait que trois opérations de "late stage" -les 190 millions d'euros de Ynsect, les 140 millions d'euros de Sendinblue et les 80 millions d'euros d'Aledia- pèsent à eux seuls 410 millions d'euros, soit près de 60% du total du mois et près de 90% du montant d'octobre 2019. Octobre confirme ainsi une tendance observée en 2020 malgré la crise : le verrou du "late stage" a bel et bien sauté en France.

"Les très grosses levées de fonds, qui étaient très rares jusqu'à l'an dernier, sont devenues courantes cette année malgré la crise. C'est un vrai changement, un signe de maturité de l'écosystème et la conséquence d'une politique volontariste pour combler ses faiblesses" a indiqué Cédric O, le secrétaire d'Etat à la Transition numérique, début novembre, lors d'une conférence de presse.

Effectivement, 9 méga-levées de fonds (les tours de table d'au moins 100 millions d'euros) ont été annoncées pour l'instant en 2020, soit davantage que les trois dernières années réunies (5 en 2019, 3 en 2018, 0 en 2017). La crise du Covid-19 impacte peu ces grosses levées. Ces dernières concernent des startups déjà bien établies dans des secteurs qui tirent profit de l'accélération de la digitalisation des entreprises et de la société toute entière, conséquence du contexte sanitaire.

Le déverrouillage du "late stage" est également une conséquence logique de l'hyper-croissance de la French Tech, qui bénéficie d'un effet de rattrapage par rapport à ses voisins britannique et allemand. Plus les startups lèvent des fonds et réussissent des Séries A et des Séries B -ce qui était le cas ces dernières années-, plus elles grandissent et finissent par avoir besoin de lever encore plus d'argent pour conquérir leur marché et devenir des géants. Ynsect, par exemple, avait levé sa Série A de 1,8 million d'euros début 2014, puis une Série B de 5,5 millions d'euros fin 2014, une Série C de 14,2 millions d'euros en décembre 2016, et une Série D de 110 millions d'euros fin 2019, avant de repasser à la caisse en octobre 2020 pour devenir le leader mondial des protéines alternatives pour l'alimentation animale. Sendinblue, Mirakl, ContentSquare, Back market et la plupart des autres méga-levées de 2020 ont levé leurs premiers tours de table il y a plus de cinq ans.

Autrement dit, la French Tech arrive à un point où la croissance de l'écosystème entraîne mécaniquement des méga-levées de fonds, parfois synonymes de licornes (startups valorisées plus d'un milliard d'euros et non cotées en Bourse), dont le nombre explose également depuis deux ans. L'écosystème privé s'est structuré ces dernières années pour pouvoir les financer, en partie grâce à la puissance publique et notamment Bpifrance qui investit massivement en direct et en fonds de fonds pour créer un effet de levier. Le plan Tibi, qui a encouragé les investisseurs institutionnels à promettre 6 milliards d'euros -dont 3 milliards pour le "late stage" et 3 milliards pour développer les entrées en Bourse-, joue également un rôle. Enfin, l'attrait des investisseurs étrangers pour les pépites françaises est aussi de plus en plus fort, puisque six des neuf méga-levées de 2020 ont été menées par un investisseur étranger (2 américains, 2 britanniques, 2 asiatiques).

Lire aussi : Ÿnsect, Mirakl, Sendinblue, ManoMano, Doctolib... toutes les méga-levées de fonds des startups françaises

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 10/11/2020 à 18:29
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Et revoilà la French Tech, la deuxième arnaque du siècle qui, à en croire l'article, supporte très bien le covid, les confinements et la dictature, contrairement aux petits commerçants, indépendants, libéraux et cette p... de classe moyenne que Ma...

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