Pourquoi Launchmetrics a recalé des grands fonds américains pour lever 50 millions avec Bpifrance

Malgré "une trentaine" de sollicitations de la part de fonds américains, Michaël Jaïs, le Pdg de la startup franco-américaine Lauchmetrics, spécialisée dans les logiciels de marketing pour les secteurs de la mode, du luxe et des cosmétiques, a choisi Bpifrance pour mener sa levée de fonds de 50 millions de dollars. Une rareté dans le paysage français.
Sylvain Rolland
La startup Launchmetrics, spécialisée dans le marketing analytics pour les secteurs du luxe, de la mode et de la beauté, annonce une levée de fonds de 50 millions de dollars (environ 43 millions d'euros) menée par le fonds Large Ventures de Bpifrance.
La startup Launchmetrics, spécialisée dans le marketing analytics pour les secteurs du luxe, de la mode et de la beauté, annonce une levée de fonds de 50 millions de dollars (environ 43 millions d'euros) menée par le fonds Large Ventures de Bpifrance. (Crédits : DR)

Lorsque les startups françaises réalisent de "grosses" levées de fonds, des investisseurs non-européens, souvent américains, sont généralement de la partie. Ce fut le cas cette année pour Voodoo (172 millions d'euros auprès de la banque Goldman Sachs) OpenClassrooms (51 millions d'euros, General Atlantic), ou encore la MedTech Enyo Pharma (40 millions auprès de l'américain OrbiMed). Entre autres. La raison ? Le manque de fonds français spécialisés dans le "growth", c'est-à-dire capables de mener un tour de table de plusieurs dizaines de millions d'euros, et la nécessité pour la plupart des startups dotées d'ambitions mondiales de recourir à des fonds américains pour pénétrer leur immense marché, clé d'une présence globale.

50 millions de dollars auprès de Bpifrance

La startup Launchmetrics, spécialisée dans le marketing analytics (analyse de données et logiciels de gestion des campagnes) pour les secteurs du luxe, de la mode et de la beauté, fait office d'exception qui confirme la règle. La pépite de la MarTech annonce une levée de fonds de 50 millions de dollars (environ 43 millions d'euros) menée par le fonds Large Ventures de Bpifrance, et complétée par les français Seventure et Famille Courtin-Clarins, ainsi que le fonds allemand Cipio Partners. La startup commercialise en SaaS une gamme de six logiciels qui permettent à ses clients d'identifier les influenceurs pertinents pour leurs campagnes marketing (sportifs, artistes, personnalités, experts, testeurs...), d'organiser logistiquement des événements comme la Fashion week ou des ouvertures de boutiques, de réaliser du placement de produits, de partager des images, de payer les influenceurs et d'analyser l'impact des campagnes grâce aux données.

"L'ADN de la société est avant tout français et européen. Non seulement je n'ai pas envie de renforcer son côté américain, mais en plus je n'en ai pas besoin. Launchmetrics peut devenir un leader mondial sans financements américains", affirme Michaël Jaïs, son Pdg.

L'entrepreneur de 49 ans n'est ni protectionniste ni petit bras. Il revendique au contraire sa volonté de devenir un géant dans son domaine. Plus surprenant encore, Launchmetrics, déjà rentable grâce à son millier de clients dont les 70 premières marques mondiales de mode et de luxe (Dior, Fendi, Ralph Lauren, LVMH, Fendi, Topshop...), réalise 50% de son chiffre d'affaires de 25 millions d'euros aux Etats-Unis, et dispose de son siège social à New York. Internationale dès sa naissance, Launchmetrics est le fruit d'une fusion en 2015 entre la startup parisienne Augure, référence parmi les logiciels de marketing d'influence, et la new-yorkaise Fashion GPS, premier fournisseur de technologies pour l'industrie de la mode.

Meilleure approche du marché et de la culture de la croissance externe en France

Pourquoi alors refuser les investisseurs américains ? Lorsque la société s'est mise en quête de fonds pour accélérer sa croissance mondiale, "une quarantaine de fonds ont voulu investir, dont une trentaine des Etats-Unis et une dizaine en France", raconte Michaël Jaïs. Finalement, l'entrepreneur choisit Bpifrance, via son fonds de capital croissance Large Ventures, l'un des rares acteurs du "growth" en France. Le choix de l'entrepreneur s'explique à la fois par sa volonté de "ne pas se laisser aspirer" par les Américains, mais surtout par des raisons très terre-à-terre:

"Le luxe, la mode et la beauté, c'est-à-dire ce que les Américains appellent le lifestyle, sont des secteurs où la France excelle, avec des leaders mondiaux comme LVMH et L'Oréal. On a aussi d'excellents ingénieurs et data scientists, meilleurs et moins chers qu'aux Etats-Unis. Cela veut dire que l'innovation dans ces secteurs-là peut venir d'Europe. Dans des niches qui représentent quand même de gros marchés, avec de l'innovation verticale comme ce que nous faisons dans le domaine du marketing, nous pouvons créer des géants mondiaux du numérique plus forts que les acteurs américains. Nous n'avons pas besoin d'eux", revendique l'entrepreneur.

Même si Launchmetrics est très présente aux Etats-Unis -le CEO passe une semaine sur deux à New York-, le "fit" (contact, ndlr) est aussi mieux passé avec les investisseurs français.

"Culturellement, les investisseurs américains préfèrent la croissance organique à la croissance externe. Or, dans le secteur du lifestyle, les géants comme Dior ou LVMH se sont construits à coup d'acquisitions, et c'est aussi un levier essentiel pour nous. Bpifrance avait une meilleure vision industrielle du secteur ", détaille Michaël Jaïs.

Nicolas Hershtel, Directeur d'investissement du fonds Large Ventures de Bpifrance, confirme:

"Au-delà du fait que Lauchmetrics a déjà atteint une taille critique significative qui lui permet d'être rentable, c'est l'acteur qui nous paraît le plus capable de consolider le marché autour de lui car il a déjà intégré avec succès des sociétés et il possède une véritable vision de l'avenir de son secteur".

Vers la première "solution intégrale" de marketing pour les professionnels du luxe, de la mode et des cosmétiques

Effectivement, Launchmetrics est née d'une fusion et a déjà acquis trois sociétés depuis sa création. L'argent de la levée de fonds servira donc aussi à effectuer plusieurs rachats, dont le premier d'ici à la fin de l'année 2018. Dans le viseur : des startups qui apporteront des briques qui manquent aujourd'hui à Launchmetrics, dans l'univers de la beauté par exemple.

L'objectif à terme est extrêmement ambitieux : créer la première "solution intégrale" de marketing dans l'univers mode-luxe-cosmétiques, grâce à son positionnement unique au croisement du logiciel dans le cloud et de la data. Jusqu'à, peut-être, devenir "la" plateforme mondiale indispensable à la fois pour les marques mais aussi pour les influenceurs, y compris dans la distribution de leurs contenus (textes, vidéos, photos publiés sur les réseaux sociaux et les blogs), qui revêtent une grande valeur pour les marques en quête d'un marketing plus authentique, mais qui restent aujourd'hui sous-exploités et sous-rémunérés.

En attendant de trouver le modèle de cette activité, Launchmetrics a de quoi faire pour conforter sa position. L'entreprise espère quadrupler son chiffre d'affaires dans les trois prochaines années, pour atteindre 100 millions de dollars par an dans le monde. Présente à New York, Paris, Londres, Milan, Madrid et Tokyo, la startup compte doubler ses effectifs pour passer de 180 à 360 salariés, notamment pour se doter enfin d'une force commerciale qui lui fait aujourd'hui défaut (passer de seulement 12 à 40 commerciaux). Des recrutements d''ingénieurs et de data scientits pour améliorer la partie data analytics, notamment en intégrant de l'intelligence artificielle, sont aussi au programme.

Sylvain Rolland

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