Airbnb entre en Bourse : comment le champion du tourisme s'est réinventé face à la crise

Au fond du trou en mai, à Wall Street le 10 décembre en visant une valorisation record de 42 milliards de dollars : 2020 aura été une année de montagnes russes pour Airbnb. Au prix d'une casse sociale majeure -25% de ses effectifs licenciés-, le leader mondial du tourisme de courte durée a su pivoter son modèle économique et afficher une grande résilience face à la crise de la Covid-19.
Anticipant l'ampleur de la crise et d'importants changements dans les attentes de ses clients, Airbnb a rapidement pivoté son modèle d'affaires.
Anticipant l'ampleur de la crise et d'importants changements dans les attentes de ses clients, Airbnb a rapidement pivoté son modèle d'affaires. (Crédits : CHARLES PLATIAU)

Airbnb, le phénix de la tech ? Malgré des turbulences majeures en 2020, le leader mondial de la location de courte durée va entrer en Bourse à New York jeudi 10 décembre. Et cette IPO s'annonce triomphante. L'entreprise fondée et dirigée depuis 2008 par Brian Chesky s'est même permise, lundi, de relever son prix d'introduction sur le marché, désormais fixé entre 56 et 60 dollars l'action, contre entre 44 et 50 dollars auparavant. A ce prix, le champion de la "gig economy" devrait lever entre 2,8 et 3 milliards de dollars d'argent frais, et obtenir une valorisation jusqu'à 42 milliards de dollars...

La reprise en main est spectaculaire : en mai dernier, au plus fort de la crise, les analystes estimaient la valorisation de la pépite de San Francisco à seulement 18 milliards de dollars ! Son entrée en Bourse, prévue avant la crise pour "courant 2020", était alors repoussée aux calendes grecques...

Lire aussi : Airbnb lève 1 milliard de dollars pour résister au coronavirus, l'entrée en Bourse repoussée ?

Réinvention express en misant sur le local et les séjours longue durée

Comment diable une entreprise du secteur du tourisme, le plus touché par la crise, a-t-elle pu rebondir aussi vite alors que la pandémie bat toujours son plein dans le monde et notamment aux Etats-Unis, où le virus paraît à nouveau incontrôlable ?

Le cas Airbnb peut paraître paradoxal. Contrairement à beaucoup de startups, l'entreprise n'a pas bénéficié de la pandémie, bien au contraire : elle a dû licencier 1.900 personnes, soit un quart de ses employés, et emprunter deux fois un milliard de dollars pour rembourser les hôtes confrontés à une cascade d'annulations.

Anticipant l'ampleur de la crise et d'importants changements dans les attentes de ses clients, Airbnb a rapidement pivoté. Les investissements dans les hôtels, les transports et les studios Airbnb ont été drastiquement réduits. Dès le mois d'avril, l'entreprise a mis l'accent sur les locations situées à courte distance et en milieu rural, permettant aux citadins, à l'approche de l'été, de prendre l'air sans risquer d'attraper le virus. Changement subtil, mais qui est loin d'être anodin : la page d'accueil du site propose désormais de « voyager local », avec l'image d'une cabane dans les bois en fond de page. Aux États-Unis, les hôtes proposant des locations en milieu rural ont engrangé 200 millions de dollars rien qu'au mois de juin, un bond de 25% par rapport à l'année précédente.

Airbnb IPO

 [La popularité des locations en milieu rural a bondi sur Airbnb cette année. © AirDNA]

Airbnb a également mis l'accent sur les logements à plus long terme, pour les travailleurs nomades. Kristina Sprindyte, analyste pour AirDNA, un cabinet d'intelligence de marché, note que de plus en plus de clients d'Airbnb recherchent des logements à moyen et long terme. "Depuis le 17 février 2020, la durée moyenne d'un séjour est passée de 3,3 à 7,7 jours. Les réservations de moins d'une semaine, qui comptaient jadis pour 80% des réservations totales, ne comprennent plus que 30% de celles-ci", indiquait-elle à La Tribune en mai dernier. Si ces chiffres peuvent avoir évolué depuis, ils traduisent néanmoins une réelle tendance pour Airbnb.

Lire aussi : Airbnb contraint de se réinventer pour survivre au "coronakrach" du tourisme mondial

Une alternative plus sûre par rapport aux hôtels

Afin de rassurer les clients, des protocoles ont également été mis en place pour permettre aux hôtes proposant des conditions sanitaires premium d'afficher un médaillon correspondant. Loin de l'expérience sociale des débuts, nombre de locations proposent désormais des prestations proches de celles d'un hôtel ou d'un gîte, afin de limiter les contacts. Finie la convivialité de l'hôte qui vous accueille et dort dans la chambre à côté : désormais les clients arrivent le plus souvent dans un logement dépersonnalisé au ménage impeccable, croisent à peine leur hôte -quand celui-ci ne délègue pas l'accueil des clients à une agence-, voire entrent à l'aide d'un code digital.

Au fil des années, Airbnb a mis de côté sa proposition de valeur initiale -permettre aux particuliers de dégager un complément de revenus en louant de temps à autre une chambre vacante dans leur logement-, pour devenir l'équivalent d'une chaîne d'hôtels géante. Ainsi, sur le 1,1 million de logements disponibles sur Airbnb aux États-Unis, 600.000 appartiennent à des hôtes qui listent au moins trois logements sur la plateforme. Cet indicateur montre que Airbnb attire une quantité non négligeable de professionnels de la location, qui ont souvent investi des sommes conséquentes pour acheter et rénover des biens immobiliers à cet usage, contribuant à "dévitaliser" des quartiers touristiques dans de nombreuses villes, dont Paris.

Contrairement à ce que l'on aurait pu prévoir au début de la pandémie, Airbnb apparaît donc comme une alternative plus sûre par rapport aux hôtels, qui brassent davantage de monde. Ainsi, après avoir vu ses revenus chuter de 72% au second trimestre par rapport à la même période l'an passé, l'entreprise est parvenue à générer un profit de 219 millions de dollars au trimestre suivant.

« Les réservations de la part de voyageurs internationaux sont toujours très faibles, mais les réservations locales et celles à long terme sont en hausse, de nombreuses personnes fuyant les centres-villes pour travailler à distance. La capacité d'Airbnb à s'adapter est impressionnante, et rendue possible par le fait qu'ils possèdent très peu d'actifs », affirme Richard Holway, président de TechMarketView.

Lire aussi : Impactée par la Covid-19, la galaxie Airbnb prépare déjà la reprise

Meilleure résilience que les concurrents, perspective du vaccin, présence en Chine : Airbnb conserve de nombreux atouts

Le moment n'est donc pas si mal choisi pour Airbnb, d'autant que les investisseurs tiendront compte du contexte général morose dans l'industrie du tourisme pour relativiser les difficultés de l'entreprise cette année. Booking.com a ainsi également vu ses revenus chuter de près de 50% au troisième trimestre. Les récentes annonces positives autour des vaccins en développement ont également généré de l'optimisme et ouvert une fenêtre de tir qui pourrait se refermer si l'entreprise attend trop. Enfin, Airbnb est l'une des rares startups de la Silicon Valley à bénéficier d'une présence en Chine. Les tensions avec l'Empire du Milieu ne sont donc pas bonnes pour ses affaires, et la récente élection de Joe Biden laisse en la matière espérer une amélioration.

« Lorsqu'il s'agit de participer ou non à une entrée en Bourse, les investisseurs ne regardent pas en arrière, mais s'intéressent aux perspectives d'avenir. La façon dont une entreprise s'est comportée face à une crise en dit long sur son management, et il s'agit certainement d'un élément que les investisseurs sauront prendre en compte », affirme Lise Buyer, fondatrice de Class V Group, un cabinet de conseil spécialisé dans les entrées en bourse.

De plus, le simple fait qu'Airbnb soit parvenu à dégager des bénéfices trimestriels peut représenter un atout à Wall Street, où nombre de sociétés relevant de l'économie du partage, comme Uber, sont entrées en Bourse sans avoir jamais réussi à être rentables.

Les IPOs tech reprennent aux Etats-Unis

L'entrée en Bourse d'Airbnb au Nasdaq de New York s'inscrit dans un contexte favorable pour la tech américaine. Malgré la pandémie, le deuxième semestre s'avère particulièrement dynamique.

En septembre, plusieurs grosses entreprises de logiciel de la Silicon Valley, dont Snowflake (spécialisée dans le cloud), Palantir (entreprise de traitement des masses de données fondée par Peter Thiel), Asana (gestionnaire de communication d'équipes) et Unity (moteur de jeux vidéo), sont entrées en Bourse, réalisant toutes de bonnes performances.

Lire aussi : Avec Palantir, Peter Thiel part à l'assaut de Wall Street et du conformisme de la Silicon Valley

Airbnb fait partie d'une deuxième vague d'IPOs d'entreprises tech également issues de la Silicon Valley mais avec un business BtoC. Mercredi 9 décembre, la startup de livraison de repas DoorDash, qui a largement bénéficié des confinements, fait aussi ses débuts à Wall Street. Roblox, une plateforme de jeux vidéo dont le confinement a également fait les choux gras, doit aussi s'introduire sur les marchés avant la fin de l'année, tout comme Affirm -qui propose des crédits à la consommation- et Wish, la place de marchés de produits numériques à prix cassés.

Lire aussi : Introductions en Bourse : très bon cru 2020 pour la tech malgré la crise

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Commentaires 2
à écrit le 10/12/2020 à 11:20
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Force est de reconnaître que le modèle Airbnb, même s'il pose des problèmes aux villes, est efficace, sérieux, réactif. Pour un loueur en meublé non professionnel passer par Airbnb est une solution simple, raisonnable.

à écrit le 10/12/2020 à 8:15
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De façon général les GAFAM misent sur le local, il n'y a pas que des effets d'annonces comme l'affirment nos médias de masse au service d'une oligarchie européenne dévorée par la jalousie envers ces nouveaux maître du monde. J'ai reçu le magasin ...

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