CAC 40 et transformation digitale : peut mieux faire…

Selon le baromètre 2015 de la transformation digitale du cabinet de conseil Weave, l'Electronic Business Group (EBG) et IBM, les entreprises du CAC 40 sont toujours démunies lorsqu’il s’agit d’adapter leur business model à la numérisation de la société et de l’économie. Avec un paradoxe : si elles en mesurent la nécessité, elles peinent toujours à en comprendre les enjeux et ont du mal à l’appliquer concrètement.
Sylvain Rolland
Un déficit global de culture digitale au sein de l'entreprise empêche les grands groupes français de mener une transformation digitale vraiment efficace.

Peut mieux faire. Tel est, en substance, le verdict de l'étude sur la Transformation digitale 2015 du cabinet de conseil Weave, de l'Electronic Business Group (EBG) et de IBM sur la progression de la transformation digitale des entreprises du CAC 40.

Au rayon des bonnes nouvelles, la prise de conscience de la nécessité de mettre en place la transformation digitale est bel et bien là. Terrifiées à l'idée de se faire "ubériser", c'est-à-dire se faire voler des parts de marché par un nouvel acteur sorti de nulle part qui révolutionne le secteur, toutes ont mis en place, ces dernières années, une stratégie digitale.

S'adapter ou périr comme Kodak ou Virgin Megastore

L'objectif : répondre à la pression des concurrents, mais aussi des clients dont les habitudes de vie changent avec le numérique. Une "petite révolution", selon Thomas Papadopoulos, associé chez Weave.

"En trois ans, les directions générales des grands groupes ont intégré le digital comme une priorité stratégique. Les directions intègrent qu'un nouveau monde est en gestation et que ceux qui ne seront pas capables de s'y adapter périront comme Kodak, Virgin Megastore et la plupart des boutiques de DVD", souligne-t-il à La Tribune.

Ainsi, les initiatives innovantes et les investissements dans le digital se multiplient. Le groupe hôtelier Accor, attaqué frontalement par de nouveaux services comme Airbnb, vient ainsi de réorienter sa stratégie en injectant 225 millions d'euros en 4 ans dans le développement de ses services numériques. Les grands groupes n'hésitent plus à injecter des sommes considérables pour prendre le train en marche. Michel-Edouard Leclerc a dévoilé un plan d'investissement d'1 milliard d'euros sur trois ans dans le digital et la logistique afin d'éviter à son groupe de distribution de se faire doubler par Amazon. L'Oréal, Renault ou Orange font aussi partie des entreprises avec une stratégie digitale claire et des investissements conséquents.

Le périlleux passage de la théorie à la pratique

Problème: malgré de réelles avancées dans la prise en compte des enjeux digitaux, près de deux tiers des entreprises du CAC 40 peinent à passer de la théorie à la pratique. "Pour réussir sa transformation digitale, il faut à la fois la volonté, la stratégie et une vision industrielle, car il n'y a pas de modèle magique. Chaque entreprise doit trouver elle-même comment tirer parti du numérique en fonction de son modèle économique, de son secteur d'activité, de ses concurrents et de ses clients", résume Thomas Papadopoulos.

Une constellation d'éléments très difficiles à appréhender, et qui révèlent cinq grandes faiblesses chez les sociétés du CAC 40.

Le concept de transformation digitale reste flou

Par où commencer ? Face à la digitalisation de l'économie et l'intensification de la concurrence internationale, source de pression, les entreprises comprennent la nécessité d'accélérer leurs transformations internes... sans véritablement mesurer comment elles pourraient en tirer parti.

Chiffres révélateurs, seules 40% des sociétés du CAC 40 considèrent que le digital pourrait impacter en profondeur leur modèle économique. Encore plus inquiétant : 10% à peine (soit 4 groupes sur 40) estiment que l'évolution des usages numériques pourrait remettre en question la survie de leur entreprises... alors même que des secteurs entiers, comme le tourisme avec Airbnb ou les déplacements urbains avec Uber, changent radicalement sous l'effet des nouvelles technologies.

Le "chief digital officer", une fonction peu influente

Désormais, les "chief digital officer" (CDO), ces M. Digital chargés de définir et de mettre en musique la digitalisation des activités de l'entreprise, fleurissent dans les grands groupes français. Ainsi, 73% des sociétés du CAC 40 disposent d'un CDO. A l'image de Lubomira Rochet, ex de Microsoft recrutée par L'Oréal, ou d'Yves Tirode, débauché de chez Orange par la SNCF, ils viennent souvent de la high-tech et des télécoms pour introduire de nouveaux usages dans ces grosses structures.

Mais un éléphant reste difficile à manœuvrer, et la transversalité nécessaire pour changer profondément les pratiques peine à se mettre en place. Les entreprises font bien appel à des CDO, mais ils ont peu de pouvoir : 82% ne siègent pas au Comex, le comité exécutif de l'entreprise, où se prennent les décisions stratégiques.

Le cloud et du big data pas encore bien pris en compte

Si 45% des entreprises du CAC 40 identifient la technologie comme un accélérateur de croissance, des instruments comme le cloud ou le big data, qui sont pourtant des leviers de croissance bien identifiés, restent trop peu compris et utilisés. Ainsi, seules un tiers (33%) des sociétés étudiées utilisent opérationnellement les technologies du big data.

Difficile à mettre en œuvre en raison de la masse de données qu'il faut savoir collecter et traiter, le big data effraie les entreprises autant qu'il les attire. Le manque de personnel qualifié pour en tirer parti ou le coût de faire appel à un opérateur spécialisé rebutent toujours les grands groupes, quelques peu dépassés par le phénomène.

"La question est moins de savoir comment récupérer et stocker d'immenses quantités données issues des réseaux sociaux par exemple, mais de savoir concrètement ce qu'on en fait", révèle Romain Roulleau, le directeur e-commerce d'Accor.

Alors que la question des données et de leur utilisation par les entreprises (notamment les GAFA) et l'Etat fait débat dans la société, les entreprises hésitent à l'utiliser ouvertement. "Nous n'aimons pas utiliser le terme "big data", qui génère beaucoup de suspicions", explique Odile Roujol, d'Orange, citée dans l'étude.

Pas assez de transversalité

A l'image des chief digital officers, peu intégrés dans les organes de prise de décision, la nécessaire transversalité entre les services qu'impose le numérique peine à aboutir. Ce phénomène se manifeste notamment par un isolement des services informatiques (DSI), qui restent souvent à la marge du processus de digitalisation.

"En France comme ailleurs, le top management doit parvenir à se rapprocher des collaborateurs qui comprennent et savent tirer parti des instruments de la transformation digitale", indique l'étude. Le fait que les actions menées par exemple par la direction marketing, la supply chain ou le service client ne soient pas bien coordonnées nuit à l'efficacité de l'ensemble de la stratégie digitale.

Conséquence : 70% des sociétés du CAC 40 n'ont pas réussi à mettre en place des outils de mesure de la performance du digital. "Aujourd'hui, les démarches digitales fleurissent de façon décentralisée. Moins de 20% des entreprises étudiées ont une démarche structurée au niveau du groupe, il est très difficile d'organiser ce foisonnement d'initiatives autour d'une vision globale et cohérente", précise Thomas Papadopoulos.

Un manque de culture digitale

C'est, peut-être, le nerf de la guerre. Contrairement aux pays anglo-saxons, où la direction digitale se voit confier des objectifs clairs en matière de revenus pour l'entreprise, les équivalents français "sont plutôt dans un rôle de transition, sans objectifs concrets" souligne l'analyste.

La faute à un déficit global de culture digitale. Si la génération Y, qui a grandi avec les outils numériques, se montre beaucoup plus perméable à une évolution digitale de l'entreprise,  cette tranche d'âge (moins de 35 ans), n'est pas encore aux commandes. "Il arrive fréquemment que des managers avec des parcours brillants dans des grandes entreprises, soient bloqués par leur approche traditionnelle du travail", indique Thomas Papadopoulos.

Renault, par exemple, a mis en place une "Digital Academy" pour parfaire l'éducation digitale de l'ensemble des employés. "Le piège est de ne pas réussir à embarquer son entreprise et ses employés. Il faut que chacun s'approprie le digital, devienne un acteur de l'évolution du système et un ambassadeur, pour faire disparaître le digital comme discipline à part", affirme Régis Migdal, ancien chef de l'innovation digitale chez Unibail Rodamco. Un vrai défi pour les grandes entreprises françaises.

Sylvain Rolland

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