« Voilà une bonne nouvelle : Gettr s'est hissé dans le top 10 (#9) de l'App Store en France. » Sur Twitter, Jason Miller, ancien conseiller de Donald Trump, se félicite d'un succès récent du réseau social qu'il a lancé à l'été 2021. Problème : son message d'auto-congratulation omet un détail important, pourtant indiqué dans la capture d'écran qui l'accompagne, et relevé par son équipe française.
Si Gettr se retrouve bien neuvième d'un classement des téléchargements de l'App Store, il ne s'agit pas du classement global, mais de celui d'une des 28 catégories du magasin d'application, la rubrique 'réseaux sociaux'. Autrement dit, la plateforme s'est temporairement hissé au rang de neuvième réseau social le plus téléchargé de France, mais il n'apparaît même pas dans le top 50 des applications les plus téléchargées.
Enième réseau anti-censure
Peu importe : même si le raz-de-marée annoncé n'est pas là, Gettr fait doucement mais sûrement son trou. L'entreprise se présente comme « une nouvelle plateforme de réseau social fondée sur les principes de la liberté d'expression, de la pensée indépendante, qui rejette la censure politique et la "cancel culture". » Bref : il s'agit, après Parler, Gab ou encore Rumble, d'un énième réseau alternatif, censé servir de refuge aux figures de la droite dure américaine, régulièrement bannies de Twitter, Facebook ou encore Instagram pour leurs propos contraires aux conditions d'utilisation.
Dans le détail, Gettr a copié toute son interface sur Twitter, et il se nourrit également d'une de ses API pour relayer l'intégralité de comptes Twitter sur Gettr. Par exemple, le compte @zemmoureric, suivi par plus de 6.600 personnes, reprend tous les tweets de l'ancien éditorialiste et candidat putatif à l'élection présidentielle de 2022, sans ajouter de contenu original. Ce compte porte même la marque des comptes vérifiés, ce qui signifie qu'il appartiendrait au vrai Eric Zemmour. Suite à la publication de l'article, une représentante de Gettr nous a contacté pour nous indiquer qu'elle « confirmait que le compte lui appartient et qu'il est géré par son équipe dédiée aux réseaux sociaux ». Contacté par La Tribune, Eric Zemmour, qui par ailleurs n'est toujours pas vérifié sur Twitter, n'a pour l'instant pas confirmé ce propos.
En septembre, le réseau revendiquait 2,5 millions d'utilisateurs. Il a réussi à attirer les figures habituelles liées à Trump, comme Mike Pompeo et Steve Bannon, ainsi que des soutiens en dehors des Etats-Unis, comme le président Brésilien Jair Bolsonaro.
Campagne de séduction en France
A l'origine du relatif succès français du réseau social se trouve l'arrivée de plusieurs "influenceurs" de la droite dure française : le YouTuber Papacito, récemment épinglé pour une mise en scène de meurtre ; Thaïs d'Escufon, ancienne porte-parole de l'association Génération Identitaire dissoute pour incitation à la haine en mars, ou encore Tom Czechowicz, responsable du site "Génération Zemmour".
Sur son compte, Papacito désigne Gettr comme « un réseau social qui n'a pas de compte à rendre aux Gafam et à la bien-pensance. » Il compte y proposer de « l'analyse d'actualité », et « continuer à être subversif ». Il rappelle que « l'élection se rapprochant il devrait y avoir beaucoup de comptes qui vont sauter » sur les réseaux sociaux traditionnels, d'où l'intérêt pour ses semblables d'investir un réseau "alternatif".
Pour recruter ces têtes d'affiches, contrairement à Parler et Gab avant lui, Gettr a nommé un responsable pour son développement en France, Alister Rivière. Ce dernier a fait la publicité du réseau sur différents médias de l'extrême droite, et il se félicite des nouvelles arrivées.
Reste que pour l'instant, Gettr n'a pas convaincu de personnalités politiques françaises. Outre le cas Zemmour qui ne publie pas de contenu exclusif à la plateforme, le Rassemblement National semble pour l'instant ignorer le réseau. Dans son email envoyé à La Tribune, la représentante du réseau refuse qu'il soit désigné comme refuge de l'extrême droite, et ajoute : « Gettr est une plateforme pour la liberté d'expression pour tous, et nous accueillons les utilisateurs de toutes couleurs politiques. »
En attendant Trump
Le principal problème de Gettr, à la source de bien d'autres, c'est qu'il n'arrive pas à convaincre Donald Trump de le rejoindre, alors qu'il se présente comme un réseau dédié à ses soutiens. L'ancien président, bien connu du fondateur Jason Miller, n'a pas fermé cette possibilité, mais il patiente. D'après Axios, il aurait notamment conditionné son arrivée à l'obtention de parts dans l'entreprise. Par ailleurs, Trump a fondé son propre réseau social, Truth ("vérité", en anglais).
L'amateurisme dont a fait preuve Gettr jusqu'ici pourrait également justifier son attentisme. Si le réseau social a copié l'interface de Twitter, il ne dispose pas des mêmes moyens de cybersécurité. Résultat, comme Parler et Gab avant lui, il s'est facilement fait pirater. Dès son lancement, un problème de configuration sur son API a permis à des hackers de siphonner les adresses emails de ses 85.000 premiers utilisateurs, avec leur nom et leur date de naissance, comme l'a relevé Techcrunch. Puis des pirates se sont emparés des plus gros comptes de la plateforme, dont celui du fondateur Jason Miller. Enfin, le réseau se confronte à de gros problèmes de modération : comme le relève un rapport de l'Observatoire d'Internet de l'Université de Francfort, il ne disposait pas à son lancement de mécanismes de base de détections des contenus pédophiles ou des contenus de violences extrêmes. Suite à la publication de l'article, Gettr précise qu'il a fait vérifier 45.000 publications françaises par ses modérateurs en septembre, et que 300 d'entres elles ont été retirées.
Reste que Gettr a besoin de redresser la pente, et il peut pour cela compter sur un financement de 75 millions de dollars, alimenté notamment par le milliardaire chinois Guo Wengui, proche de Steve Bannon, et responsable de campagnes de désinformation massives sur le vaccin contre la Covid-19. S'il parvient à convaincre des figures politiques, il pourrait jouer un véritable rôle dans l'élection présidentielle française.
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