Grogne chez Microsoft : les employés ne veulent pas "créer des armes"

Microsoft développe avec l'armée américaine des casques de réalité augmentée, destinés à améliorer la capacité des soldats à tuer plus rapidement. Un contrat à 479 millions de dollars, qui provoque la gronde de certains salariés. Les employés exigent que Microsoft se retire du projet.
François Manens
Les partenariats entre Microsoft et l'armée américaine sont de plus en plus contestés par les employés du géant de l'informatique.

Gronde dans les rangs de Microsoft... Dans une tribune publiée vendredi 22 février par Microsoft Workers 4 Good (organisation d'employés soucieux de l'éthique au sein du groupe), des salariés exigent l'abandon d'un projet pour le compte de l'armée américaine. En novembre 2018, la firme de Redmond a remporté un appel d'offre de 479 millions de dollars pour développer 100.000 HoloLens, casques de réalité augmentée, dédiés au combat. Le but : permettre aux soldats de développer leur faculté de tuer plus rapidement sur le terrain.

Dans le cadre de ce programme, baptisé "système intégré de vision augmentée" (IVAS), le département américain de la Défense a posé son cahier des charges. Il souhaite que le casque HoloLens soit doté d'une vision nocturne et thermique, puisse mesurer les signes vitaux (respiration, tension des muscles)... Tout en protégeant l'ouïe des soldats et en pouvant servir d'aide au diagnostic en cas de blessure. Autant d'éléments qui sont incompatibles avec l'éthique de Microsoft, selon certains employés. "Jamais Microsoft n'avait dépassé la limite du développement d'arme", arguent les auteurs de la lettre.

"Nous refusons de créer de la technologie destinée à la guerre et l'oppression. Nous n'avons pas signé pour développer des armes, et nous demandons d'avoir un mot à dire sur la façon dont notre travail est utilisé" - Microsoft Workers 4 Good

Les employés exigent la création d'une charte éthique

Les signataires de la tribune demandent l'arrêt de tout développement d'arme technologique, la création et publication d'une charte éthique quant à l'usage de leurs technologies, ainsi que la constitution d'un conseil d'éthique indépendant pour s'assurer de son application.

"Il y a de nombreux ingénieurs qui ont contribué à HoloLens avant que ce contrat n'existe, en croyant qu'il serait utilisé pour aider architectes et ingénieurs à construire des bâtiments et des voitures", argumente la tribune.

Lancé en 2014, ce casque se destinait initialement au grand public ou à des applications professionnelles. Mais Microsoft, qui n'a vendu que 50.000 exemplaires depuis sa sortie, voit avec ce contrat l'occasion de doper ses ventes. L'armée américaine souhaiterait 2.500 modèles, rien que pour cette année, selon Bloomberg.

Précédente opposition pour un contrat à 10 milliards de dollars

Cette nouvelle contestation des employés de Microsoft fait écho à l'opposition qu'ils avaient déjà formulée l'année dernière, face au projet JEDI (Joint Enterprise Defense Infrastructure) cloud project. Cette initiative du gouvernement Trump vise à refaire l'infrastructure informatique du département de la Défense, du Pentagone jusqu'aux bureaux de terrain. Représentant du département de la défense, l'officier John H. Gibson avait levé les doutes sur l'objectif du programme : "Nous devons être très francs. Ce programme consiste vraiment à améliorer la capacité à tuer de notre département."

A la clé : un appel d'offre avec un contrat de 10 milliards de dollars sur 10 ans. Parmi les favoris pour décrocher le gros lot, figurent les spécialistes du cloud Amazon Web Services et Microsoft Azure, alors que Google a jeté l'éponge. Le moteur de recherche, qui a publié une charte éthique en juin dernier, avait alors justifié qu'il ne pouvait "pas s'assurer que sa mise en place s'alignerait avec leur principes en termes d'IA".

L'enveloppe du JEDI ne sera pas attribuée avant avril 2019, mais les salariés de Microsoft avaient publié dès octobre une lettre intitulée "Microsoft, ne fait pas d'enchères sur le projet militaire américain JEDI". Les employés du géant d'informatique souhaitaient que le conseil d'éthique sur l'intelligence artificielle (IA) de Microsoft se penche sur la question, puisque les services de Microsoft Azure "font partie des technologies intelligentes de pointe".

"Si Microsoft est tenu responsable pour ses produits et services, nous avons besoin de lignes de conduite éthiques et d'une vraie responsabilité quant à la façon dont nous déterminons quels usages de notre technologie sont acceptables, et lesquels sont hors de question." - Employés de Microsoft

Pour étouffer la contestation, Microsoft promeut "la mobilité des talents"

Le 26 octobre 2018, le président de Microsoft, Brad Smith, avait répondu à cette lettre anti-JEDI. Après avoir rappelé que l'entreprise travaille avec le département de la Défense américain depuis plus de 40 ans, le dirigeant répétait son engagement : "Nous voulons que les personnes qui défendent les Etats-Unis aient accès aux meilleures technologies de la nation, y compris celles de Microsoft". S'il affirmait prendre en compte les nouveaux enjeux éthiques provoqués par l'usage des technologies pour la guerre, il ne mentionnait qu'à peine les contestations.

"Comme toujours, si nos employés veulent travailler sur un projet différent ou avec une équipe différente - quelque soit la raison - nous voulons qu'ils sachent que nous soutenons la mobilité des talents", proposait-il comme solution aux contestataires.

Microsoft avait déjà fait sourde oreille lorsque ses employés s'était inquiétés de son contrat avec l'administration douanière américaine (ICE). "L'entreprise fournit des services cloud d'Azure "critiques à la mission", qui ont permis à l'ICE de faire régner la violence et la terreur auprès des familles à la frontière et à l'intérieur des Etats-Unis", accusaient les auteurs de "Microsoft, ne fait pas d'enchères sur le projet militaire américain JEDI".

François Manens

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Commentaires 4
à écrit le 27/02/2019 à 8:03
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Mais bien sur, ils préfèrent fermer les yeux pudiquement sur les ordinateurs utilisés par les pirates informatiques qui envoient des ransomwares partout grâce à leurs ordinateurs... Tartuffe n'est pas mort. L'important, c'est de monnayer son "éthique...

à écrit le 26/02/2019 à 12:58
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Une entreprise appartient à ses actionnaires, pas à ses employés. Comportement totalement abjecte d’une minorité active, comme d’habitude au détriment des règles, des autres employés et de la rationalité économique.

à écrit le 26/02/2019 à 11:31
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ils veulent bcp d'ethique, mais ils veulent un gros salaire en fin de mois....... le mieux c'est qu'ils changent d'entreprise pour ne pas travailler sur qqch qui ne va pas avec leur conviction, mais ca ils ne vont pas le faire, ils ne sont pas idiot...

le 26/02/2019 à 11:58
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Fuir ou lutter, tu sembles avoir choisi ton camp. Churchill avait choisi de se battre...

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