La fronde des petits bras de la Tech

Grèves, actions en justice, appels au boycott... Les revendications salariales ont germé en 2018 au sein des géants américains comme Amazon, Google, Facebook, mais aussi les startups de livraison de repas, comme Deliveroo.
Anaïs Cherif
Lors du Black Friday en novembre dernier, les salariés d'Amazon ont organisé des grèves, notamment en Allemagne, pour réclamer une revalorisation des salaires.
Lors du Black Friday en novembre dernier, les salariés d'Amazon ont organisé des grèves, notamment en Allemagne, pour réclamer une revalorisation des salaires. (Crédits : Jens Schlueter / Getty Image Europe / Getty Images / AFP)

Il y a comme un vent de rébellion, un air de « gilets jaunes » qui souffle dans les rangs des géants de la tech... Chez Amazon, Google, Facebook, ou encore les startups de livraison de repas comme Deliveroo, la fin de l'année 2018 a vu germer les revendications salariales. Pour tenter d'apaiser les tensions, Amazon a été le premier à consentir un geste inédit en octobre dernier. Régulièrement pointé du doigt pour ses conditions de travail, l'ogre de l'e-commerce a augmenté le salaire de base pour ses employés américains à 15 dollars de l'heure (12,90 euros), soit le double du salaire minimum aux États-Unis.

L'initiative a été dupliquée au Royaume-Uni avec un salaire minimum d'un montant de 10,50 livres (11,70 euros) à Londres et de 9,50 livres (10,50 euros) dans le reste du pays. « Ces salaires minimums vont bénéficier à 250.000 employés aux États-Unis [environ un tiers de l'effectif global d'Amazon, principalement des manutentionnaires présents dans les centres de logistique, ndlr] et 17.000 employés au Royaume-Uni », s'était félicité l'entreprise valorisée 735 milliards de dollars.

Heures supplémentaires obligatoires

Ce geste consenti par Jeff Bezos, l'homme le plus riche du monde avec une fortune personnelle estimée à 128 milliards de dollars, est loin d'être désintéressé. La firme de Seattle est régulièrement critiquée à cause des conditions de travail arides qu'elle impose dans ses centres logistiques - entre objectifs de performance quasi intenables et management brutal. En raison du plein emploi aux États-Unis, Amazon souhaite rester attractif tout en s'affichant comme un employeur modèle. Et le timing de l'annonce n'a pas été laissé au hasard.

Cette hausse des salaires est intervenue au début de la période de l'année la plus lucrative pour Amazon : le dernier trimestre, comprenant les promotions du Black Friday, du Cyber Monday et des fêtes de fin d'année. Soit six semaines où les employés sont soumis à une pression constante. Le nombre de colis est tel que les salariés à temps plein font des « heures supplémentaires obligatoires » , travaillant près de douze heures par jour, soixante heures par semaine, rapportait une enquête du Guardian publiée début décembre. En parallèle, les salariés à temps partiel sont incités à effectuer « autant de services que possible ». Les effectifs sont aussi renforcés par des travailleurs saisonniers qui sont moins payés et ne bénéficient d'aucun avantage.

Amazon fait la chasse aux syndiqués

Pour défendre leurs droits, les tentatives de créations d'organisations syndicales se multiplient depuis 2017 aux États-Unis. En septembre dernier, la presse américaine a révélé une vidéo de formation adressée aux managers d'Amazon pour « repérer les signaux d'alerte » et tenter d'endiguer la création d'organisations syndicales. « Notre business model repose sur la rapidité, l'innovation et l'obsession du client - des choses qui ne sont généralement pas associées au syndicalisme », expliquait la vidéo. Autre moyen de mobilisation : les grèves.

Lors du Black Friday en novembre dernier, des arrêts de travail ont été organisés en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni et en Italie. Quelques jours avant Noël, rebelote en Allemagne, où les salariés de deux centres logistiques ont réclamé une revalorisation des salaires et des conditions de travail décentes. Dans la presse américaine, des témoignages ou appels au boycott d'Amazon ont fleuri lors des fêtes de fin d'année.

Chez Google, les intérimaires se mettent en colère

Revalorisation des salaires, meilleure considération... Ces revendications sont également au coeur de la gronde des intérimaires chez Google. Désigné en interne par l'acronyme TVC (temps [intérimaires], vendors and contractors), ils font figure de salariés de seconde zone au sein de la firme de Mountain View. Serveurs dans les cafétérias du groupe, agents de nettoyage des locaux, employés des call centers, mais aussi modérateurs de vidéos chez YouTube, testeurs de voitures autonomes, cadres ou managers. Autant de postes pouvant être occupés par des intérimaires chez Google. Leur point commun ? Ils portent des badges rouges ou verts pour les différencier de leurs collègues salariés, qui affichent des badges blancs. Ce simple badge leur interdit l'accès à certaines pièces et réunions, et les privent de certaines récompenses.

Selon une enquête de Bloomberg publiée en juillet dernier, le nombre d'intérimaires a dépassé celui des salariés chez Google pour la première fois cette année, en vingt ans d'existence. À la fin du troisième trimestre 2018, Alphabet (maison mère de Google) employait 94 372 salariés directs, mais le géant américain ne communique pas le nombre de ses travailleurs de l'ombre... Contrairement à leurs collègues salariés, les intérimaires ne touchent pas les salaires exorbitants en vigueur dans la Silicon Valley. La plupart n'ont pas d'assurance maladie, de primes, de stock-options et de congés payés. Pour sa défense, l'entreprise valorisée 713 milliards de dollars fait savoir dans la presse américaine qu'elle recourt à cette main-d'oeuvre sous-payée pour effectuer des remplacements de congés parentaux ou aider en période tendue. « Les TVC représentent une part importante de notre main-d'oeuvre étendue, mais ils sont employés par d'autres compagnies [comme les agences Adecco ou Randstad], pas Google », selon un communiqué de presse relayé par le Guardian.

Lire aussi : Record : Amazon multiplie par dix son bénéfice net sur un an

Après une manifestation début décembre, une lettre ouverte a été adressée dans la foulée à Sundar Pichai, PDG de Google, « de la part des TVC ». Ils réclament « un traitement équitable », « plus de transparence » et un « changement structurel » au sein de l'entreprise. Les intérimaires souhaitent être traités de la même façon que les salariés directs (meilleur salaire, congés payés, arrêts maladie, bonus...). « L'exclusion des TVC d'une partie importante de la communication interne et d'un traitement équitable fait partie d'un système de racisme institutionnel, de sexisme et de discrimination », écrivent-ils.

Les startups de livraison de repas à domicile ne sont pas en reste

« Nous effectuons un travail essentiel - du marketing à la gestion d'équipes d'ingénieurs, sans oublier le fait qu'on vous nourrit, vous et le reste du personnel de Google - le tout sans avantages ni reconnaissance. Google ne peut pas fonctionner sans nous. » Une fronde similaire a également été menée en décembre par une vingtaine d'intérimaires de Filter Digital, sous-traitant de la division Facebook consacrée à la recherche sur la réalité virtuelle. Ils réclamaient de meilleures conditions de travail, des arrêts maladie, une hausse des salaires et des aides au transport.

Les revendications salariales touchent également les startups, en particulier celles de la livraison de repas à domicile. Ces dernières sont régulièrement accusées de recourir au salariat déguisé en imposant un statut d'auto-entrepreneur à leur flotte de coursiers. Selon leur argumentaire, le statut d'auto-entrepreneur, qui vient de fêter ses dix ans, donne davantage de flexibilité aux livreurs en leur fournissant un « complément de revenu », et non un salaire. Ce statut leur permet de ne pas avoir à verser de congés payés ni de couvrir les arrêts maladie, ou encore de ne pas garantir de salaire minimum... Tout en imposant certaines conditions pour l'exercice de leur travail, comme une disponibilité minimum sous peine d'encourir des pénalités.

Les livreurs à vélo réclament justice

Courant 2018, une petite musique de fond a commencé à se faire entendre : et si le salariat était possible pour les livreurs à vélo ? En France, la Cour de cassation s'est penchée sur ce sujet délicat à la suite des poursuites entamées par un ancien coursier de Take Eat Easy, startup belge spécialisée dans la livraison de repas à vélo qui avait brutalement mis la clé sous la porte en 2016, laissant 2.500 livreurs sur le carreau en France.

Dans un arrêt rendu le mercredi 28 novembre, la Cour de cassation a reconnu un lien de subordination et donc, la possibilité de salariat pour cet ancien coursier. Si la décision doit encore être confirmée par un nouveau jugement devant la cour d'appel de renvoi, une tendance de fond semble émerger au niveau européen. Début novembre, une décision similaire a été rendue en Espagne concernant un livreur Deliveroo. 

Lire aussi : Deliveroo, UberEats, Glovo... En grève, les coursiers dénoncent leur statut précaire

Anaïs Cherif

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Commentaires 4
à écrit le 20/01/2019 à 22:25
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Une seule réponse : Qwant le moteur de recherche Français qui ne vous surveille pas.

à écrit le 19/01/2019 à 10:20
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C'est finalement à se demander ce qu'il peut bien y avoir de 'Tech' dans les entreprises de la tech. Amazon: un logiciel très puissant qui balaye les modèles traditionnels de la logistique mais en back office une armée hallucinante d'invisibles qu...

le 21/01/2019 à 13:32
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Il n'y a rien, à part le portail, de bien technologique chez Amazon. C'est de la VPC comme il en existe depuis plus d'un siècle. Rien de bien technologique non plus chez Deliveroo, c'est une entreprise de coursiers à vélo.

le 20/05/2019 à 17:10
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@frank exact..... donc je m interdis et l un et l autre..... quant au délivero et consorts..... si j invite des amis je fais la cuisine.... et si j ai envie de manger au restaurant, j y vais......surtout que les restaurant qui font la bouffe d...

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