Haine en ligne, abus, transparence : Bruxelles tente d'imposer de nouvelles règles aux géants du Web

Les représentants des institutions de l'Union européenne sont réunis à Bruxelles afin de finaliser un texte destiné à contraindre les plateformes numériques à mieux lutter contre les contenus illégaux et à coopérer avec les autorités. Des mesures concernent spécifiquement les géants du Web, dont les Gafam, qui se verront par exemple imposer une transparence accrue sur leurs données et algorithmes de recommandation.
Le texte, discuté depuis près d'un an et demi, doit responsabiliser les très grandes plateformes du numérique, comme Facebook (Meta) ou Amazon, en les contraignant à mieux lutter contre les contenus illégaux et à coopérer avec les autorités.
Le texte, discuté depuis près d'un an et demi, doit responsabiliser les très grandes plateformes du numérique, comme Facebook (Meta) ou Amazon, en les contraignant à mieux lutter contre les contenus illégaux et à coopérer avec les autorités. (Crédits : Yves Herman)

L'UE veut ramener l'ordre dans le Far West de l'Internet avec une nouvelle législation, le règlement sur les services numériques ("Digital Services Act", DSA), qui doit être finalisée ce vendredi 22 avril par les États membres et le Parlement européen. Les représentants des institutions de l'UE se sont réunis peu après 10h00 à Bruxelles. Ils espèrent trouver un accord sur ce projet phare qui a suscité un lobbying intense des géants de la tech et de vifs débats sur la liberté d'expression.

Le texte, discuté depuis près d'un an et demi, doit responsabiliser les très grandes plateformes du numérique, comme Facebook (Meta) ou Amazon, en les contraignant à mieux lutter contre les contenus illégaux et à coopérer avec les autorités.

Pour rappel, ce DSA constitue l'un des deux volets d'un plan d'envergure présenté en décembre 2020 par la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, et son homologue au Marché intérieur, Thierry Breton. Le premier volet, le règlement sur les marchés numériques ("Digital Markets Act", DMA), qui s'attaque aux pratiques anticoncurrentielles, a été conclu fin mars.

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Interdire en ligne ce qui l'est hors ligne

Le DSA met à jour la directive e-commerce, née il y a 20 ans quand les plateformes géantes étaient encore embryonnaires. Objectif : mettre fin aux zones de non-droit et aux abus sur Internet. « Ce qui est interdit hors ligne doit l'être en ligne », a lancé ce vendredi 22 avril Thierry Breton sur Twitter.

Concrètement, toutes les plateformes en ligne (réseaux sociaux, places de marché...) devront se doter d'un système gratuit de réclamations permettant de contester des décisions de retrait d'information, de suspension ou de résiliation de compte. Elles devront suspendre les utilisateurs fournissant « fréquemment » des contenus illégaux (discours de haine, annonces frauduleuses...) et informer « promptement » les autorités judiciaires quand elles soupçonnent une « infraction pénale grave » menaçant « la vie ou la sécurité des personnes ».

Du côté des sites de vente en ligne, ils devront contrôler l'identité de leurs fournisseurs avant de les autoriser sur leur plateforme et bloquer les fraudeurs récidivistes. Les eurodéputés voudraient aussi imposer l'obligation de mener des tests aléatoires sur certains produits.

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Dans leur rapport annuel, les plateformes en ligne devront rendre compte des litiges avec leurs utilisateurs et des sanctions prises (retraits de contenus, suspensions de compte...).

Concernant la publicité, les plateformes devront permettre à chaque utilisateur de connaître les paramètres utilisés pour le cibler et le financeur de l'annonce. À la demande du Parlement européen, devrait s'ajouter l'interdiction d'exploiter les données « sensibles » des utilisateurs (genre, tendance politique, appartenance religieuse...) pour de la publicité ciblée, afin notamment d'empêcher les manipulations de l'opinion. Dans le cas des mineurs, cette interdiction s'appliquera à l'ensemble des données personnelles.

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À noter également que le Parlement souhaite interdire les interfaces truquées ("dark pattern") qui poussent les internautes vers certains paramétrages de compte ou certains services payants. Enfin, le texte devrait mentionner spécifiquement le "revenge porn" et imposer un retrait de ce type de contenus.

Des obligations spécifiques contre les géants du Web

Au cœur du projet se trouvent aussi de nouvelles obligations imposées aux « très grandes plateformes », à savoir celles comptant « plus de 45 millions d'utilisateurs actifs » dans l'UE. Cela concerne donc une vingtaine d'entreprises, dont la liste reste à déterminer, mais qui incluront les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), ainsi que Twitter, et probablement TikTok, Zalando ou Booking.

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Ces acteurs devront évaluer eux-mêmes les risques liés à l'utilisation de leurs services et mettre en place les moyens appropriés pour retirer des contenus problématiques. Ils se verront imposer une transparence accrue sur leurs données et algorithmes de recommandation. Ils devront fournir au régulateur un accès à leurs données afin qu'il puisse contrôler le respect du règlement. Ces données pourront aussi être ouvertes à des chercheurs agréés.

Les géants du numérique seront audités une fois par an par des organismes indépendants et placés sous la surveillance de la Commission européenne qui pourra infliger des amendes atteignant 6% de leurs ventes annuelles en cas d'infractions répétées. Pour faire cesser une infraction, une astreinte jusqu'à 5% du chiffre d'affaires quotidien pourra être infligée.

Ces sanctions concernent l'ensemble des plateformes, pas seulement les très grandes. Les microentreprises et petites entreprises sont par contre exemptées des obligations prévues par le règlement.

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Un texte salué, avec réserves

L'ancienne secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a apporté jeudi soir son soutien au projet. « Pendant trop longtemps, les plateformes technologiques ont amplifié la désinformation et l'extrémisme sans avoir à rendre de comptes (...). Je demande instamment à nos alliés transatlantiques de faire franchir la ligne d'arrivée à la loi sur les services numériques et de soutenir la démocratie mondiale avant qu'il ne soit trop tard », a-t-elle écrit sur Twitter.

La lanceuse d'alerte américaine Frances Haugen, qui a dénoncé la passivité de Facebook face aux nuisances de ses réseaux sociaux, avait salué en novembre le « potentiel énorme » du DSA qui pourrait devenir une « référence » pour d'autres pays, y compris les États-Unis.

La fédération des associations européennes de consommateurs (BEUC) redoute toutefois que le texte n'aille pas suffisamment loin. Elle souhaiterait une interdiction de toutes les publicités basées sur la surveillance des internautes, notamment dans la vente en ligne. Elle juge indispensable que soient imposés aux vendeurs en ligne des contrôles aléatoires sur les produits de leurs fournisseurs.

« La proposition contient beaucoup de très bonnes innovations. Mais si finalement on n'oblige pas les places de marché à contrôler ce qu'elles vendent, ce pourrait être une opportunité manquée », estime Claudio Teixeira, juriste pour le BEUC.

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(Avec AFP)

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Commentaires 3
à écrit le 22/04/2022 à 18:08
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La haine qui les gène pas celle qui les arrange bien entendu ces gros hypocrites.

à écrit le 22/04/2022 à 17:12
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On cherche surtout des excuses pour limiter la liberté d'expression, pour designer un bouc émissaire idéal! Cela afin de diviser toute opposition comme ce fut le cas ces dernières années!

à écrit le 22/04/2022 à 16:57
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le pb, c'est de savoir ce qu'est la haine en ligne......il est parfaitement interdit de faire du racisme contre des gens de couleur, par contre, contre les blancs, ca ne pose aucun probleme, vu que c'est de la discrimination positive......c'est un pe...

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