
Après l'échec de la "loi Avia", largement censurée par le Conseil constitutionnel en juin dernier, le gouvernement planche sur un nouvel arsenal juridique pour lutter contre la haine en ligne. Il examinait ce mercredi en conseil des ministres son projet de loi sur les "les principes républicains" - anciennement dénommé "projet de loi contre le séparatisme".
Après plus d'un an et demi de gestation, le projet de loi d'une cinquantaine d'articles, qui sera débattu l'année prochaine au Parlement, englobe donc un périmètre large : lutte contre l'islamisme radical, amélioration du contrôle des associations, renforcement du principe de neutralité religieuse pour les agents du service public, limitation de la scolarisation à domicile...
Le texte a été enrichi d'un volet numérique, suite à l'assassinat en octobre du professeur Samuel Paty, attaqué sur les réseaux sociaux après avoir montré en classe des caricatures de Mahomet dans le cadre d'un cours sur la liberté d'expression.
Diffuser ou révéler des informations personnelles sur Internet pour nuire
Il s'agit du principal apport de ce texte en matière de lutte contre la haine en ligne. L'article 18 du projet de loi consacre la création d'un délit qui sanctionne le fait de "révéler, diffuser ou transmettre" par quelque moyen que ce soit -comme les réseaux sociaux par exemple- des informations personnelles relatives à "la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne" et qui permettraient de l'identifier ou de la localiser "dans le but de l'exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique" ou à ses biens matériels, précise le projet de loi.
En clair, le fait de diffuser par exemple l'adresse du domicile d'une personne ou son lieu de travail, en assortissant le message d'insultes ou de menaces quelconques, tomberait dans ce cas de figure. Quand bien même les menaces ne seraient pas mises à exécution, la simple diffusion pourra être réprimée "indépendamment de l'existence d'un résultat".
Trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende
Le délit est puni de trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende. S'il est commis envers une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public - comme les policiers, par exemple - les peines sont alourdies à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.
"Nous sommes partis de la situation Samuel Paty. Nous avons examiné scrupuleusement là où nous aurions pu intervenir, judiciariser plus tôt", a expliqué ce matin le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti au micro de France Inter.
Et de poursuivre : "Dans l'affaire Samuel Paty, vous avez une première vidéo, commentée, abondée de propos haineux qui vont devenir des propos mortifères, et qui vont conduire à la mort de cet homme". "Quand on regarde de façon pragmatique la situation, sans émotions, on se dit qu'on ne pouvait pas judiciariser plus tôt. Maintenant on le peut", a souligné Eric Dupond-Moretti.
Vers une procédure de comparution immédiate
Autre apport : l'article 20 du projet de loi prévoit une modification du code de procédure pénale afin de permettre des comparutions immédiates devant un tribunal correctionnel pour juger les auteurs des faits les plus graves.
Il s'agit "d'apporter une réponse rapide aux comportements qui, dans un contexte d'évolutions majeures des outils de communication, portent une atteinte grave à notre capacité à vivre ensemble", peut-on lire dans l'exposé des motifs du projet de loi.
En souhaitant modifier le code de procédure pénale, le garde des Sceaux a cherché à esquiver deux critiques. D'une part, cela permet d'éviter de laisser le pouvoir aux réseaux sociaux et autres hébergeurs -c'est-à-dire des entreprises privées- de déterminer de façon unilatérale ce qui est considéré comme licite ou non sur Internet. Il s'agissait de la plus grande critique à l'encontre de la loi Avia, qui voulait imposer aux plateformes de retirer en moins de 24 heures les propos qu'ils considéraient comme haineux, et ce, sans passer par l'intervention d'un juge. D'autre part, cela permet d'éviter de toucher à la fameuse loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Afin de pouvoir mettre en application ce projet de loi, le ministre de la Justice a annoncé la création d'un pôle spécialisé dans la lutte contre la haine en ligne au sein du parquet de Paris. Il sera dans un premier temps composé de trois magistrats, d'un juriste assistant et des greffiers. "Nous sommes presque sur le terrain expérimental", c'est suffisant "pour le moment", a estimé Eric Dupond-Moretti au micro de France Inter ce matin.
Sujets les + commentés