L'argument d'Elon Musk pour annuler le rachat de Twitter a-t-il déjà du plomb dans l'aile ?

Victoire pour Twitter. La Cour du Delaware a tranché : le procès pour contraindre Elon Musk à aller jusqu'au bout du rachat de l'entreprise pour 44 milliards de dollars se tiendra en octobre. Le camp Musk a profité de ce premier débat public pour de nouveau insister lourdement sur la question des faux comptes. Le milliardaire accuse Twitter d'avoir sous-estimé leur nombre, et il compte se servir de cet argument pour sortir de la transaction. Le problème, c'est qu'à trois mois du procès, le milliardaire n'a toujours pas révélé d'informations qui lui permettraient de soutenir ses lourdes accusations. Décryptage.
François Manens
(Crédits : ANDREW KELLY)

Twitter 1 - Elon Musk 0. Mardi 19 juillet, le réseau social est sorti victorieux de sa première bataille juridique avec le milliardaire. L'audience à la cour de justice du Delaware portait sur la date du procès qui déterminera le futur du rachat à 44 milliards de dollars. Cette victoire sur la date paraît insignifiante mais elle est pourtant centrale dans le jeu de pouvoir entre les deux partis.

Twitter voulait un procès à la mi-septembre, sur 4 jours. Le camp Musk souhaitait qu'il se tienne à mi-avril 2023, sur 10 jours. La chancelière de justice Kathaleen McCormick a tranché dans la direction du réseau social : le procès se tiendra en octobre, sur 5 jours, à moins d'un retournement de situation. Au-delà de l'histoire des dates, ce premier débat public entre les avocats des deux partis a laissé entrevoir la défense de chacun.

Face aux arguments économiques et financiers de Twitter, le camp Musk a misé tous ses jetons sur la question du nombre de faux utilisateurs du réseau social, à laquelle la juge a semblé peu réceptive. Un avant-goût du procès ?

Lire aussiElon Musk vs Twitter : pourquoi la date du procès à venir est le nerf de la guerre

Twitter entendu

Dans sa conclusion, la juge a fait écho à l'argumentaire de Twitter sur la nécessité de résoudre le litige rapidement, pour éviter de plonger l'entreprise dans une situation financière encore plus délicate qu'elle ne l'est déjà. "De manière générale, plus l'acquisition s'éternise, plus le nuage d'incertitude autour de l'entreprise s'épaissit, et plus les risques de dommages irréparables envers les vendeurs s'accentuent", a-t-elle déclaré. Le réseau social a perdu plus de 25% en Bourse depuis l'annonce de la tentative de rachat début avril, et plusieurs de ses projets sont gelés en attendant le dénouement de l'affaire.

Pour rappel, Twitter ne veut pas seulement des dommages et intérêts de la part du milliardaire : l'entreprise veut que le rachat à 44 milliards de dollars aille à son terme. Une éventualité laissée ouverte par la juge : "il n'est absolument pas évident que des dommages et intérêts soient un remède suffisant si Twitter prouve au final ce qu'il avance". Mais il reste difficile d'anticiper la décision de la justice, tant l'affaire est unique dans l'histoire des fusions et acquisitions, de par son ampleur, la personnalité d'Elon Musk et les retournements de situation successifs.

Elon Musk fait tapis sur l'argument des faux comptes

Face à Twitter, l'argumentaire du camp Musk s'est concentré sur ses soupçons quant aux nombres de faux utilisateurs de la plateforme. Le milliardaire défend incessamment cette rhétorique depuis la mi-mai : d'après lui, Twitter déclarerait au marché quatre fois moins de faux comptes (5%) qu'il en a réellement. Et puisque cet écart aurait des effets sur le chiffre d'affaires publicitaire du réseau social, Elon Musk s'en trouverait lésé.

Le patron de Tesla a fait de cet argument la pièce centrale de son dossier de retrait de la transaction, alors que son estimation ne part que d'une intuition, et qu'il a jusqu'ici échoué à ne montrer ne serait-ce qu'un début de preuve. Le camp Musk espère tout de même invoquer cette histoire de faux comptes pour activer la clause MAC (material adverse effect), une clause habituelle dans ce genre de contrat, qui lui permettrait de nullifier son engagement légal. Problème : les utilisations effectives de cette clause s'appuient sur des cas bien plus extrêmes que celui présenté -comme la perte de 90% du chiffre d'affaires entre la signature du contrat et l'accord final. Autrement dit, quand bien même le milliardaire parviendrait à prouver ce qu'il affirme, il risquerait fortement de se voir refuser la clause.

L'autre porte de sortie envisagée par l'homme d'affaire revient à prouver que Twitter a retenu volontairement des informations sur les faux comptes, et ainsi manqué à ces obligations d'honnêteté inscrites dans le contrat. Encore une fois, un scénario difficile à envisager. La chancelière de justice n'a pour l'instant pas précisé si le procès nécessiterait de vérifier les déclarations de Twitter sur les comptes de spam.

La question des bots a-t-elle sa place au procès ?

En réponse à l'exposé des avocats de Musk sur les faux comptes, ceux de Twitter ont taillé : "ce n'est pas le sujet de l'accord d'acquisition, alors ce ne sera pas le sujet du procès." Et pour cause : l'incertitude autour du nombre de faux utilisateurs, tout comme la question du volume de spam, ne figure nulle part dans le contrat et sortirait donc du cadre du jugement. Lors de la signature de l'accord d'achat, le milliardaire avait décliné son droit à demander plus de précisions sur les indicateurs économiques de l'entreprise.

Ce n'est pas tout : Twitter a plusieurs fois rappelé qu'il n'affirme pas catégoriquement avoir moins de 5% de comptes de spam. Son propos officiel à la SEC (le régulateur des marchés américain) est plus fin. Il explique qu'il a un système pour estimer le nombre de faux comptes, que cette méthode implique du jugement humain, et qu'elle aboutit à un chiffre inférieur à 5%. Autrement dit, il s'agit d'une estimation, avec des marges d'erreurs, notamment humaine, qui peuvent être importantes.

En conséquence, pour attaquer le réseau social sur l'estimation, le camp Musk ne peut pas vraiment mener une guerre de chiffres, qui n'irait pas frontalement à l'encontre de ce qu'affirme Twitter. Ses options ? Démontrer que Twitter a menti et qu'il n'a pas de système d'évaluation ; prouver que cette méthode d'estimation n'a pas été construite de bonne foi ; ou encore prouver que le réseau social a menti sur le nombre sorti par ses estimations. Un débat tout autre qu'une simple guerre d'évaluation.

Le camp Musk profite d'une impasse

En mai, le CEO de Twitter Parag Agrawal expliquait publiquement qu'il avait présenté  le processus d'estimation à Elon Musk. Puis, début juin, après que le milliardaire a déclaré qu'il "gelait" le rachat, le réseau social lui avait ouvert une base de données de tous les tweets en temps réel, pour qu'il fasse ses propres calculs. Un acte de bonne foi destiné à calmer la rhétorique de l'homme d'affaires. Mais les avocats de Musk campent sur leurs positions : "nous n'avons pas leur système. Nous n'avons pas les consignes données aux évaluateurs, ni comment ils les ont appliquées."

S'ils peuvent maintenir ce discours, c'est en grande partie parce que Twitter ne peut pas légalement leur donner accès à leur outil d'évaluation. Ce dernier implique l'analyse de métadonnées [des données rattachées aux tweets, ndlr] dont certaines entrent dans la case des données personnelles, et nécessitent un consentement libre et éclairé des utilisateurs pour être traitées.

Résultat : deux mois après que le sujet de Elon Musk a évoqué le sujet des faux comptes, aucune contre-estimation n'est parue. Pire, son camp voulait que le procès se tienne dans 7 mois pour trouver ce chiffre -un processus "complexe" et "très demandeur en expertise" selon eux. Avec la décision d'hier, l'homme d'affaire n'a plus que 3 mois pour appuyer concrètement ses propos, ou trouver d'autres arguments valides pour se sortir du rachat.

François Manens

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Commentaires 3
à écrit le 21/07/2022 à 19:31
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Bien content de ne pas participer à l enrichissement de Twitter et Facebook .. je n ai aucun réseau social et je ll en porte pas plus mal mes amis eux sont sont réels et j ai pas besoin de me mette en scène ou faire le show …. je ne suis pas narci...

à écrit le 20/07/2022 à 20:07
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Je comprends le vendeur qui s'accroche : 40 milliards pour un site web, de la pure folie ! Rien n'empêche Musk, dans faire un pour quelques dollars . L'humain est fou et completement dément ,il est temps qu'il tire sa révérence, parte sur Mars et...

le 21/07/2022 à 9:38
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En faire un, lui-même, ou faire faire, comme Trump avec Truth ? Un truc en place est plus facile à gérer que créer du nouveau qui n'attirera peut-être pas grand monde. "Flop" ça fait un bruit désagréable à l'oreille. :-) Si vous êtes sur Twee* vous a...

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