Twitter contre Elon Musk en justice : pourquoi le réseau social est déjà le grand perdant

Elon Musk affirme ne plus vouloir racheter Twitter, mais le réseau social juge son retrait « invalide et injustifié » et entend le forcer en justice à finaliser le rachat, au prix prévu dans le contrat soit 44 milliards de dollars. En réponse, le fantasque entrepreneur milliardaire se moque publiquement de Twitter, qui apparaît d'ores et déjà comme le grand perdant de l'histoire, peu importe l'issue devant les tribunaux. Décryptage.
Sylvain Rolland
(Crédits : iStock)

Pourquoi diable Elon Musk fait-il tout cela ? C'est la question à un milliard de dollars, la clé de cette saga financière rocambolesque - et parfois grotesque - entre l'homme le plus riche du monde et son réseau social préféré, Twitter. Moins de trois mois après avoir forcé en deux semaines l'oiseau bleu à se vendre, Elon Musk a jeté l'éponge vendredi 8 juillet au soir. Immédiatement, Twitter a annoncé porter l'affaire devant les tribunaux pour le forcer à poursuivre la transaction, au prix prévu par le contrat soit 44 milliards de dollars. Un juge d'une cour spécialisé en droit des affaires, dans l'Etat du Delaware (est des Etats-Unis), devra donc déterminer si le multimilliardaire peut, ou non, mettre fin à l'accord d'acquisition qui prévoit des indemnités de rupture d'un milliard de dollars.

En réponse, le fantasque milliardaire s'est contenté de tweets moqueurs et énigmatiques, qui sous-entendent qu'il tire les ficelles d'un plan aussi obscur que génial. Comme ce meme où il s'imagine en Chuck Norris -l'acteur culte des années 1970- menant une partie d'échecs qu'il va gagner seul contre tous.

Musk Twitter

Alors que s'engage un bras de fer en justice, personne n'est capable de décrypter ce qui se joue réellement pour Elon Musk. Souhaite-t-il toujours acheter Twitter mais forcer la baisse du prix ? S'est-il ravisé en comprenant trop tard que ses marges de manœuvre pour monétiser le réseau social et lui redonner sa « liberté d'expression » sont réduites ? Pire encore, Elon Musk a-t-il vraiment voulu acheter Twitter en premier lieu ? S'agit-il juste pour lui d'un jeu machiavélique, le milliardaire souhaitant casser son jouet préféré -avec lequel il a toujours eu une relation d'amour/haine-, en détruisant la réputation du réseau social, en semant le doute auprès des investisseurs sur sa capacité à survivre, tout en faisant progresser son propre agenda politique pro-Trump et libertarien ?

« Jamais, dans l'histoire économique, a-t-on vu une opération d'achat de dérouler de cette manière. Tout est inédit : l'assaut public d'Elon Musk début avril, sa montée au capital ultra-rapide, sa manière de forcer la main de Twitter avec une proposition d'achat très avantageuse pour les actionnaires. Encore plus inédit est le retournement du futur acheteur dès qu'il a signé le contrat : attaques publiques contre la direction et sa stratégie, accusations graves de mensonges sur le nombre de faux comptes, publication d'un émoji caca en réponse à un thread du directeur général, jusqu'à son annulation de la vente. C'est du jamais-vu à tous les niveaux », s'estomaque Asma Mhalla, professeure à Science Po spécialiste de l'économie de la data et experte associée à la European Research Executive Agency.

Twitter droit dans ses bottes

Depuis le début, Twitter fait preuve de sang-froid et de rationalité face aux provocations d'Elon Musk. Très bien conseillé par son armée d'avocats, le réseau social ne s'est pas laissé déstabiliser par la rapidité de l'assaut : le contrat signé fin avril est extrêmement solide. « Le contrat est engageant pour les deux parties, les conditions de sorties sont très limitées », juge Emmanuel Perais, avocat spécialisé en fusions/acquisitions chez Linklaters. « Elon Musk ne peut pas sortir du contrat », sauf s'il se produisait « des événements qui mettent en danger l'économie de l'acquisition », décrypte de son côté Karl Hepp de Sevelinges, avocat associé chez Jeantet, également spécialiste M&A. Tout en précisant que même si cette clause de sortie pour Musk était activée, elle n'empêcherait pas le milliardaire de payer une pénalité d'un milliard de dollars.

Twitter a même ajouté une clause spécifique liée à la personnalité d'Elon Musk, qui protège l'opération si le réseau social est affecté de quelque manière que ce soit par les propos tenus par Elon Musk. « C'était fin de la part de Twitter, car cela protège le réseau social de manœuvres de communication de Musk dans le but de déstabiliser l'entreprise pour ensuite conclure qu'il ne peut plus l'acheter », évalue Pierre-Emmanuel Perais.

Fort de ce contrat en béton, Twitter ne tremble pas. Lundi 11 juillet, le réseau social a estimé dans une nouvelle lettre à la SEC -le gendarme des marchés financiers- que l'annulation du rachat par Elon Musk est « invalide et injustifiée ». L'oiseau bleu accuse Musk d'avoir « sciemment, intentionnellement, volontairement et matériellement violé l'accord » et invoque, entre autres dispositions, la clause qui stipule qu'il est interdit à Musk de dénigrer Twitter ou ses employés.

Lire aussi Comment Twitter tente de forcer Elon Musk à payer le prix fort pour le rachat

Scénario 1 - Musk ne veut plus acheter

Twitter est également droit dans ses bottes concernant la raison officielle du retrait de Musk : le conflit sur le nombre de faux comptes. Twitter estime depuis des années qu'ils pèsent moins de 5% des utilisateurs, mais Elon Musk l'accuse de mentir à l'autorité boursière. L'entrepreneur estime, sans apporter aucune preuve, qu'il y aurait « au moins 20% » de faux comptes.

Pour clore le débat, Twitter a annoncé début juin donner à Musk l'accès à l'intégralité des 500 millions de tweets postés chaque jour sur la plateforme, pour lui permettre de mesurer le nombre de faux comptes par lui-même. Mais Elon Musk estime que ce n'est pas suffisant, évoquant la nécessité d'accéder également aux métadonnées associées aux comptes (identifiants, adresses IP...) Il évoque aussi des licenciements récents d'employés et le gel des recrutements, contraires selon lui à l'obligation pour l'entreprise de continuer à fonctionner normalement.

Pourtant, si de nombreux juristes estiment que les arguments d'Elon Musk sont bancals, cela ne signifie pas pour autant que Twitter gagnera la bataille devant les tribunaux. « Aux Etats-Unis, les actions en justice dans le cadre de fusions/acquisitions se soldent le plus souvent par un accord financier », explique Etienne Drouard, avocat spécialisé au sein du cabinet Hogan Lovells.

L'expert ne croit pas beaucoup à l'hypothèse du rachat forcé au prix initial :

« Si on reprend l'affaire depuis le début, seul le marché s'est montré enthousiaste par la perspective du rachat. Musk, lui, n'a cessé de faire des reproches à la société qu'il disait vouloir acheter, avant de répudier la mariée. Quel investisseur aurait confiance dans une entreprise dirigée par quelqu'un qui n'en veut pas et qui a été forcé de la racheter ? », s'interroge-t-il.

D'autant plus qu'en attaquant Twitter sous l'angle des faux comptes, Elon Musk s'engouffre dans une zone grise. « Ce n'est pas anodin, car il n'y a aucun consensus sur la méthodologie pour mesurer le nombre de faux comptes et le directeur général de Twitter lui-même avoue cette faiblesse. Il y a donc une brèche qui profite à Musk dans son coup de force politique et médiatique contre ce réseau qu'il accuse d'être partisan. Et même s'il perd au bout de mois de conflits, et doit payer un milliard de dollars de pénalités ou même plus, ce n'est pas tant un problème pour l'homme le plus riche du monde », rappelle à La Tribune la chercheuse Asma Mhalla.

Scénario 2 - Musk veut faire baisser le prix

L'issue transactionnelle semble donc avoir la préférence des experts : soit pour annuler l'achat en échange de pénalités payées par Elon Musk, soit pour poursuivre le rachat mais à un prix nettement inférieur.

« Dans des situations de fusions/acquisitions similaires, les négociations à l'amiable, qui ont lieu parallèlement au déroulé de l'action en justice, débouchent sur une renégociation du prix, comme cela est arrivé dans le cas de l'achat de Tiffany par LVMH », explique Pierre-Emmanuel Perais, avocat spécialisé dans les fusions/acquisitions, à La Tribune.

Annoncées en novembre 2019, les fiançailles de Tiffany et LVMH, numéro un mondial du luxe, avaient été rompues en septembre 2020 à cause de la crise économique causée par le Covid-19. Les deux groupes s'étaient ensuite entendus un mois plus tard sur un prix revu à la baisse de 131,50 dollars par action, contre 135 auparavant.

Grâce au flou entourant la mesure des faux comptes, Elon Musk pourrait obtenir du tribunal un rabais sur le prix d'achat, fixé à 44 milliards de dollars mi-avril, avant l'aggravation de la chute des valeurs tech sur les marchés à cause du retournement économique. Aujourd'hui, le titre Twitter se situe à 32,65 dollars, soit 40% de moins que ce qu'avait offert l'entrepreneur lorsqu'il avait annoncé son intention de mettre la main sur Twitter en avril.

Twitter perd dans tous les cas

Quoi qu'il arrive, les deux parties laisseront des plumes dans le conflit. Elon Musk, dont personne ne comprend la stratégie, aura étalé son imprévisibilité, son agressivité et même sa puérilité (l'émoji caca pour répondre à un thread du directeur général de Twitter, Parag Agrawal) au grand jour. L'affirmation de positions politiques radicales -soutien au candidat de la branche la plus conservatrice du parti Républicain, envolées agressives contre les démocrates- inquiète aussi. La presse américaine a déjà fait écho de tensions chez Tesla et SpaceX liées à l'image renvoyée par Elon Musk dans le dossier Twitter. « La réputation de Musk en tant que contrepartie sérieuse pour des deals futurs pourrait être écornée », note Pierre-Emmanuel Perais.

Mais le grand perdant sera certainement Twitter. Si le deal est annulé, les attaques de Musk sur son modèle économique, sa stratégie et sa gestion, laisseront des traces. Les investisseurs risquent de regarder la plateforme avec défiance : si même le génial Elon Musk renonce alors qu'il est réputé pour son nez et ses succès entrepreneuriaux, Twitter peut-il vraiment devenir durablement profitable ?

Les analystes de l'agence de notation S&P Global Ratings notent que dans tous les cas, y compris l'option d'un rachat au prix ou à un prix réduit, le spectacle délétère qui court depuis trois mois « accroît l'incertitude et les risques pour la réputation » de Twitter. D'autant plus qu'Elon Musk n'a toujours pas présenté de modèle économique crédible pour la plateforme. Pour ne rien arranger, le contexte macroéconomique difficile (récession probable, inflation, tensions géopolitiques), devrait « affecter de façon significative les revenus publicitaires » de Twitter, qui constituent environ 90% de son chiffre d'affaires.

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 13/07/2022 à 21:08
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"Elon Musk, dont personne ne comprend la stratégie.." <p> Non, la stratégie est simple a déviner - une grande opération de manipulation de la prix de l'action avec grands achats des "put options" par quelqu'un "au longeur du bras" pour en profiter....

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